La dot est le moyen de contrôler l’appropriation et la circulation des femmes. Encore célibataire, la jeune fille appartient à son père; celui-ci dispose de sa force de production et de sa capacité de reproduction; ainsi les enfants qu’une jeune fille a avant le mariage reviennent à son père; elle ne pourra les emmener avec elle lorsqu’elle quittera la maison paternelle pour se marier. Une fois dotée, la femme mariée appartient à son mari et doit aller vivre dans sa belle-famille; elle n’a pas la disposition des biens du ménage et n’a aucun droit sur ses enfants.
Dans la société traditionnelle la dot était constituée d’objets considérés comme précieux et difficiles à se procurer; avec l’introduction de la monnaie ces objets ont été remplacés par des sommes d’argent, les montants des dots sont extrêmement variables; ils sont fixés au cours de longues négociations entre les parties intéressées. Quoi qu’il en soit, une fois l’accord conclu, la femme dotée appartient à la famille qui a donné la dot. La dot revient au père de la jeune fille; elle est en général immédiatement réutilisée pour marier un fils de la famille. Dans les familles fangs, c’est la dot de la sœur qui sert à marier le frère. Si le père n’a plus de fils à marier, il prendra lui-même une nouvelle épouse. Ainsi les dots circulent constamment; elles ne sont ni capitalisées, ni monopolisées.
Dans la société fang traditionnelle, les filles sont dotées toutes jeunes. Le futur mari attendra que la jeune fille ait un âge suffisant (environ quinze ans) pour en faire véritablement son épouse, mais d’ores et déjà il sait qu’elle lui appartient. Le plus souvent d’ailleurs, la jeune fille va vivre dans sa belle-famille qui se charge de son éducation. Néanmoins le père peut rembourser la dot, et venir reprendre sa fille pour la remarier à quelqu’un qui lui a proposé une somme plus élevée; il y a ainsi des pères qui n’hésitent pas à remarier plusieurs fois leur fille pour en tirer un plus grand profit.
La femme fang peut être répudiée à tout moment sous n’importe quel prétexte; souvent ce sont les relations extra-conjugales d’une femme qui entraînent sa répudiation, alors que pour un homme marié celles-ci sont considérées comme normales. La stérilité est aussi très souvent cause de répudiation. Répudiée, la femme repart en général dans sa famille, mais reste la propriété de son mari, sauf si elle rembourse sa dot. Dans les familles fangs, les femmes vivent dans l’insécurité permanente, car elles savent que du jour au lendemain, on peut les faire partir. Comme elles n’ont la plupart du temps aucune indépendance économique, on comprend que, sous la menace constante de la répudiation, et hantées par la peur de perdre leurs enfants, elles acceptent l’inacceptable. Elles n’expriment ni leurs sentiments ni leurs propres désirs, et supportent tout ce qui peut leur arriver.
Ainsi la dot est un système bien codifié qui permet à un groupe social de s’attribuer la force de travail et la capacité de reproduction d’une femme. Que la dot soit symbolique (quelques milliers de francs C.F.A. dans certaines régions, des objets de plus ou moins grande valeur dans les sociétés traditionnelles avant l’apparition de la monnaie) ou qu’elle soit exorbitante (500000 F C.F.A. et plus actuellement au Gabon) ne change rien à sa signification profonde : la femme ne dispose pas d’elle-même. Le fait que la femme ne partage avec son mari ni les biens ni les droits sur les enfants n’en est qu’une conséquence. Lorsqu’une femme a réussi à quitter son mari en emmenant ses enfants, on dit qu’ « elle a volé ses enfants ».
Chez les Fangs du Gabon, certaines coutumes sont encore très vivantes, malgré la démolition des structures économiques et sociales sur lesquelles elles étaient fondées. Ainsi en est-il de la dot : dans la société fang agricole traditionnelle, la finalité de cette coutume est apparente : il s’agit d’assurer la prospérité d’un groupe familial constitué autour d’un ancêtre commun. Celle-ci reposant sur l’appropriation des femmes puisqu’elles sont à la fois les éléments productifs et reproductifs de la société, le contrôle de la circulation des femmes s’impose. La dot est le moyen d’exercer ce contrôle. Par contre dans la société gabonaise actuelle la production agricole est délaissée et, si le groupe familial a toujours une réalité sociale, il n’a plus aucune fonction économique. Le travail salarié s’est développé, les populations se sont déplacées des campagnes vers les villes. Dans ce nouveau contexte les rôles économiques de l’homme et de la femme sont bouleversés : l’élément le plus productif de la société, maintenant, c’est l’homme. Néanmoins la femme conserve une fonction essentielle : c’est toujours elle qui est chargée de subvenir aux besoins alimentaires de la famille. L’homme, même salarié, donne rarement de l’argent à sa femme « pour le marché ». A celle-ci de se débrouiller en allant à l’extérieur de la ville faire quelques plantations vivrières, ou en tenant un petit commerce, ou en se trouvant un petit emploi, pour arriver à nourrir ses enfants. Si dans ce nouveau contexte avoir beaucoup de femmes et beaucoup d’enfants ne conduit plus à la prospérité, cela ne conduit pas non plus à la ruine, tant que la femme se charge de nourrir la famille. Ceci explique que, contrairement à ce que les sociologues avaient affirmé lors du début du développement industriel, la polygamie ne soit pas disparue d’elle-même pour des raisons économiques.
Bien plus, nombre d’intellectuels gabonais défendent le maintien des coutumes fangs relatives au mariage sous prétexte qu’elles appartiennent à leur passé culturel. Le fait de se démarquer par rapport à certaines coutumes leur paraît une infidélité coupable à leurs origines et le signe de leur aliénation culturelle à l’Occident. Comme si le propre d’une culture n’était pas d’évoluer constamment; comme si cela avait un sens de maintenir des coutumes dont la finalité a disparu.