La droite européenne a décidé mercredi de suspendre le parti du dirigeant populiste hongrois Viktor Orban de ses rangs, pour une durée indéterminée, à la suite de ses dérapages contre Bruxelles ou l’immigration, deux mois avant le renouvellement du Parlement de Strasbourg.
Le Parti populaire européen (PPE), qui réunit les formations de droite et du centre-droit de l’UE, comme la CDU de la chancelière allemande Angela Merkel ou les Républicains en France, a pris cette décision à une écrasante majorité (190 pour, 3 contre), lors d’une assemblée politique du parti à Bruxelles.
Concrètement, cette suspension signifie que le Fidesz n’aura, jusqu’à nouvel ordre, plus le droit de participer aux réunions du PPE, sera privé de ses droits de vote et ne pourra pas présenter de candidats à des postes, a précisé le président du PPE, le Français Joseph Daul, dans un tweet.
« La présidence du PPE et le Fidesz ont convenu d’un commun accord la suspension du Fidesz jusqu’à la publication d’un rapport par un comité d’évaluation (de ce parti, ndlr) », selon le texte de compromis adopté.
Aucune durée de suspension n’est mentionnée dans le compromis. Selon l’eurodéputé français Franck Proust qui participait au vote, « une décision sera prise à la remise du rapport des experts, à l’automne ». Ce comité indépendant d’évaluation doit notamment être présidé par Herman Van Rompuy, ancien Premier ministre belge et ancien président du Conseil européen.
Avant la réunion, la tension était montée d’un cran. Le gouvernement hongrois avait averti qu’en cas de suspension, le Fidesz « quitterait immédiatement le PPE ».
Mais un compromis a finalement été trouvé, avec la précision que cette suspension avait lieu « d’un commun accord », selon plusieurs sources.
Dans un entretien mercredi à la radio allemande Deutschlandfunk, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avait réclamé une fois de plus une exclusion du Fidesz. « Sa place est hors du PPE », avait affirmé M. Juncker, membre de ce parti mais qui ne participait pas à cette réunion, affirmant que « depuis des années », le Fidesz « s’éloignait des valeurs démocrates-chrétiennes ».
Certains craignaient qu’exclure l’enfant terrible du PPE, une première dans l’histoire de cette formation, la plus importante du Parlement européen, n’ouvre la voie à une scission entre l’Est et l’Ouest du continent.
« Une ruse politique qui fait honte »
Guy Verhofstadt, le patron des libéraux au Parlement européen, juge qu’il s’agit « d’une ruse politique qui fait honte à l’Europe ». Car la droite européenne a renoncé à exclure le Fidesz, qui est donc placé sous surveillance et suspendu du parti le temps qu’un comité examine la situation dans le pays. Puisque son avis doit être rendu à l’automne, ce sera ainsi bien après les élections européennes de la fin mai.
Viktor Orban, lui, affirme que son parti s’est « auto-suspendu ». Judith Sargentini, elle, ne comprend pas cette décision. L’eurodéputée écologiste est l’auteure du rapport qui dénonce des violations de l’Etat de droit en Hongrie, rapport sur la base duquel le Parlement européen a déclenché des poursuites contre la Hongrie.
« Le rapport que j’ai écrit et que le Parlement européen a voté à la majorité des deux tiers date d’il y a à peine 6 mois, et pendant ce temps-là, la situation s’est encore aggravée en Hongrie, avec un nouveau système judiciaire où Orban peut lui-même choisir les juges, des choses comme ça. Et que fait ce parti politique ? Il le suspend au lieu de l’exclure, dit-elle.
Bien sûr ils doivent faire leurs propres investigations, mais peut-être que je devrais envoyer aux enquêteurs le rapport que j’ai fait, celui d’ailleurs que la majorité de leur groupe a voté. Parce que ce qui se passe en Hongrie est clair, on n’a pas vraiment besoin de vraiment vérifier ça. Ce qu’il faut en revanche essayer de comprendre, c’est pourquoi le PPE a abrité le parti de Viktor Orban pendant 9 ans, en légitimant la destruction de la démocratie dans ce pays. »
Le PPE a longtemps toléré la dérive autoritaire d’Orban
Au fil des ans, la tension entre Viktor Orban et la grande famille des conservateurs européens n’a cessé de monter, rapporte notre correspondante à Budapest, Florence La Bruyère. Le Parti populaire européen a longtemps toléré la dérive autoritaire de Viktor Orban.
En 8 ans de pouvoir, le Premier ministre hongrois a fait voter de nombreuses lois liberticides, mais le PPE n’a jamais bronché. En 2017, Viktor Orban lance une offensive contre les ONG et contre l’Université d’Europe centrale, fondée par le philanthrope américain George Soros. Les conservateurs du PPE ont alors averti le dirigeant hongrois de ne pas dépasser la ligne rouge.
Mais ce dernier la franchit allègrement sans être sanctionné : les ONG sont harcelées et l’Université d’Europe centrale annonce son départ de Hongrie. Il aura fallu que le gouvernement de Viktor Orban attaque Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, pour que les choses bougent.
Il y a un mois, le gouvernement hongrois a fait placarder dans tout le pays des affiches accusant Jean-Claude Juncker d’encourager l’immigration illégale en Europe. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Début mars, 13 partis membres du PPE réclamaient l’exclusion ou la suspension du parti de Viktor Orban.
Rfi