Un lieu unique, un laboratoire de création ouvre ce samedi 10 mars ses portes à Paris. Avec sa Fondation Lafayette Anticipations, le groupe des Galeries du même nom lance un nouveau centre d’art contemporain dans un bâtiment industriel du XIXe siècle, réhabilité par l’architecte-star Rem Koolhaas. Les 2 200 mètres carrés accueillent des salles d’exposition, mais aussi un élément inédit, un vrai atelier de production pour les artistes. Le tout construit dans un lieu classé en plein cœur du Marais, grâce à une tour ingénieuse érigée à la place de la cour de l’immeuble.
La première impression de l’intérieur de cet ancien entrepôt transformé en icône de l’art contemporain ? Des paillettes arc-en-ciel au sol et le bruit d’un souffle de plus en plus gênant dans l’air. Sinon rien, du vide, sur tous les niveaux des salles d’exposition. Bienvenu à Lafayette Anticipations, la fondation « utile pour les artistes ».
« Le motAnticipations indique que nous parlons de l’avenir du futur, affirme Guillaume Houzé, le président de la Fondation. L’idée est de permettre aux artistes de produire, de leur donner les moyens pour penser et réaliser des projets tout à fait nouveaux, sur place ici. »
L’artiste pourra choisir le point de vue du public sur ses œuvres
Le jour du vernissage presse, Rem Koolhaas est resté bloqué à Amsterdam. Tant pis. De toute façon, l’architecte-star néerlandais aspire depuis des années à « disparaître » et à s’effacer devant ses créations. Contraint par les lois de la protection du patrimoine de ne pas toucher aux façades de l’immeuble, il a fait un pied de nez artistique et implanté une imposante tour d’exposition en acier et en verre pas seulement au milieu de la cour, mais à la place de celle-ci !
Dommage que l’innovation principale de son agence OMA restera invisible pour les visiteurs : la mobilité de cette tour, 19 mètres de haut et composée de grands planchers modulables. Donc, les sols peuvent bouger vers le haut ou vers le bas, le long de six crémaillères. Résultat : l’artiste pourra choisir le point de vue du public sur ses œuvres. Hélas, pour des raisons de sécurité, ce système ingénieux ne peut pas être activé lors qu’il y a du public…
Quant à l’artiste invité pour l’ouverture, Lutz Bacher, la New-Yorkaise ne parle pas, nous invite à devenir imaginatifs et rester silencieux à notre tour. Dans les années 1970, Bacher faisait partie de l’art contestataire en Californie, et pourtant, cette artiste renommée n’a jamais exposée en France. Aujourd’hui, avant tout, elle souhaite garder son anonymat et son pseudonyme masculin. Pour faire oublier son absence, elle nous a laissé une vidéo, projetée sur les murs latéraux des salles d’expositions, The Silence of the Sea. « Cette exposition n’est pas une exposition », admet l’artiste elle-même. Ce sont des paysages austères, des blockhaus abandonnés, rythmés par un flou artistique et le bruit d’un souffle fort, presque insoutenable. Disons, légèrement déroutante, son installation laisse souffler librement l’esprit de l’architecture et du centre d’art dont Guillaume Houzé nous explique le concept : « La vocation de ce lieu est de parler d’une manière très ouverte sur la création et donc de façon totalement pluridisciplinaire. L’idée n’est pas d’avoir un lieu exclusivement tourné vers l’art contemporain, mais de montrer surtout toute la porosité qui existe entre l’art, la mode ou bien encore le design.
Lafayette Anticipations, Fondation Cartier, Fondation Louis-Vuitton…
Est-ce que Lafayette Anticipations a vocation de devenir aussi prestigieuse comme d’autres fondations d’entreprises, à l’instar de la Fondation Cartier ? « Oui, certainement, répond François Quintin, le directeur artistique du nouveau lieu qui avait longtemps travaillé à la Fondation Cartier. Le fait de produire souvent des œuvres avec de très grands artistes a été certainement aussi très influant sur la constitution d’un projet comme Lafayette Anticipations. »
Certes, Lafayette Anticipations n’a rien à voir avec la grandeur des « cathédrales » d’autres fondations d’art contemporain déjà réalisées ou encore à venir (Cartier, Louis-Vuitton, Pinault), néanmoins, elle dispose d’un budget non négligeable de 21 millions d’euros sur 5 ans. Cela fait plus de 4 millions d’euros par an et ainsi plus que le budget d’acquisition annuel d’un Louvre ou du Centre Pompidou qu’on peut apercevoir du dernier étage.
Payer moins d’impôts ?
Reste à connaître les motivations pour créer une telle fondation : partager sa passion ? Améliorer l’image de l’entreprise ? Payer moins d’impôts ? « Aucun de trois, rétorque Guillaume Houzé, à la fois descendant du fondateur des Galeries Lafayette, mais aussi président de la Fondation et directeur de l’image et de la communication des Galeries Lafayette et du BHV. Cette fondation n’est absolument pas un faire-valoir supplémentaire pour inventer une nouvelle stratégie de communication. Cela s’inscrit dans la continuité de l’engagement de la famille actionnaire depuis 120 ans de soutenir la création. Les Galeries Lafayette ont été toujours extrêmement impliquées dans l’art et la création. Et avec cette fondation, on va encore un pas plus loin. On trace un sillage dans le temps et souhaite se rendre utile pour les artistes. Peut-être cela servira aussi l’entreprise. Le temps nous le dira. En tous cas, ce n’est pas la raison première. »
Trois à quatre expositions sont attendues chaque année, plus des cycles de performances ou des ateliers. Une exposition avec des artistes contemporains africains, à l’image d’Africa Now, initiée par Marie-Ann Yemsi à la Galerie des Galeries de Lafayette en 2017, n’est pas prévue pour l’instant : « D’abord, il est important de dire que la programmation de la Galerie des Galeries est indépendante de la programmation ici, souligne François Quintin. Lafayette Anticipations est une fondation d’intérêt général. L’espace de la Galerie des Galeries se situe à l’intérieur du magasin. Pour l’instant, je ne peux pas dire quelle importance auront les artistes africains parmi d’autres artistes, mais la programmation sera une programmation internationale et très ouverte sur d’autres scènes artistiques. »
Un atelier de production pour les artistes au sous-sol
Le point fort et unique de Lafayette Anticipations se trouve au sous-sol. Un atelier de production pour travailler le bois, le métal et la peinture avec des machines sophistiquées accueillera les artistes pour inventer les modes de production du futur. Un autre espace est réservé pour des productions plus légères comme la sérigraphie, la couture, la photo ou encore la vidéo. L’idée est simple : tout faire pour que la création naisse directement au ventre du centre d’art contemporain.
Même si, à l’ouverture, l’esprit du vide règne dans les salles et les œuvres d’art ne seront pas en vente, à Lafayette Anticipations, le visiteur partira difficilement avec les poches vides. Une boutique toute léchée, dotée d’objets exclusifs créés par des artistes, attendra le public à la sortie.