LA MODE N’EST PAS SOUTENUE AU SENEGAL

La styliste Thiané Diagne revient au- devant de la scène après une pause de quelques années. Elle sera, le samedi 1èr décembre au Grand Théâtre pour présenter « La nuit du boubou » qui en est à sa troisième édition. La belle dame de la boutique à l’enseigne « Thiane Diagne Jour J » s’est confiée au Témoin.

Vous allez célébrer la troisième édition de « La nuit du boubou… ». Que recoupe ce concept ?

« La nuit du boubou» magnifie déjà la culture sénégalaise. Durant les deux éditions passées, on a eu à revisiter l’histoire du Sénégal en évoquant surtout nos coutumes en matière de confection. On a aussi eu à revisiter l’histoire de certaines femmes qui se sont révélées de véritables battantes. Cette édition est particulière en ce sens que j’ai voulu mettre en scène les relations très particulières qui existent- entre le Mali et le Sénégal à travers la filière du « Thioup » qui est en pleine expansion.

Qu’est – ce qui explique le choix porté sur la Mali ?

C’est par rapport à la filière textile du « Thioup » qui est en plein développement. Dans la tradition sénégalaise, on aime toujours s’habiller en « Thioup ». C’est un tissu en bazin que l’on teint au Mali. Nos compatriotes ont une large préférence pour ces produits venus de ce pays frère. Il est vendu à travers toute l’Afrique. Cependant, il faut reconnaitre que même si ce sont les Maliennes qui le fabriquent, elles préfèrent venir au Sénégal pour y faire la confection. Ce qui veut dire que le savoir- faire sénégalais est reconnu sur le plan international. Ceci, grâce à nos brodeurs qui excellent dans ce domaine. Il y a aussi le fait que le nombre de femmes entrepreneuses, qui ont vu le jour à travers cette filière, sont très nombreuses et sont devenues des chefs d’entreprise reconnues. Je me suis alors dit qu’il fallait s’arrêter sur tout cela. Ces deux pays sont très proches et nous sommes des frères. Il fallait donc faire un focus sur cette relation étroite qui a su prospérer grâce à cette matière qui nous lie et toute cette main d’œuvre qui se déploie autour et qui constitue un véritable poids économique. Ce qui explique le choix du thème et l’honneur fait au Mali, le pays invité.

Quel sera le contenu en ce qui concerne votre collection?

Il y aura toujours un tableau traditionnel. Mais cette fois -ci, on va beaucoup plus le développer sur le Bazin et le Thioup. On a pris comme marraine, Mme Ramatoulaye Ndiaye, le ministre de la Culture du Mali. Cependant on ne l’a pas choisie parce qu’elle est juste ministre de la Culture de son pays, mais c’est surtout parce qu’elle porte super bien le boubou. Pour sa préférence aux produits africains et surtout qu’elle apprécie l’expertise sénégalaise en matière de création, elle mérite d’être la marraine de cette soirée. Cela constitue le point focal de cette présente édition. Nous en profiterons également pour le lancement d’un de mes projets sur lequel je travaille depuis deux ans…

Pouvez-vous nous parler de ce projet ?

Non, je ne peux pas vous en dire plus(Rires). Parce que dans ce cas, ce ne sera plus une surprise et j’ai décidé d’en réserver la primeur aux invités de la soirée. Toujours est-il que c’est dans l’ordre de voir dans quelle mesure je pourrais apporter ma modeste participation pour essayer d’augmenter la visibilité de la mode sénégalaise à travers le monde. Je peux juste vous concéder qu’il s’agit d’un projet qui va dans ce sens.

Quelle sera la déroulée du programme ?

D’habitude, je fais des tableaux avec une mise en scène chorégraphique pour ne pas laisser les mannequins faire l’aller- retour classique observé habituellement durant les défilés. Parce que je me dis que ce boubou est magnifique et il danse sur le corps d’une personne. C’est pourquoi je préfère faire des chorégraphies pour montrer ce côté élégant de ce boubou. Je faisais cinq plateaux, mais pour cette année, je n’en ferai que trois… Il y aura donc des tenues en Bazin, en thioup sans oublier la soie que j’affectionne tant et que tout le monde attend. Et puis, il y aura l’avant dernier tableau qui sera consacré à tout ce qui est glamour avec des tenues beaucoup plus sophistiquées.

Et au niveau de l’animation ?

En termes d’animation et de participation de stars de la musique, il y aura forcément ma sœur Viviane qui m’accompagne depuis des années. J’ai aussi choisi Djiby Dramé pour compléter le tableau car on ne peut pas inviter le Mali et ne pas leur proposer un artiste qui est proche de leur culture musicale. La styliste, Mme Maïga d’Evidence Couture, présidente de l’Association des couturières du Mali sera de la partie.

Des stylistes sénégalais seront –ils invités ?

Depuis la première édition, j’ai toujours préféré faire « La nuit du boubou » toute seule. C’est parce qu’il y a beaucoup de fashion -weeks qui regroupent tous les stylistes. Il y a Adama Paris, Collé Ardo et Emma Style entres autres qui en font régulièrement. J’ai voulu faire le contraire et organiser une nuit dédiée au boubou tous les deux ans. C’est pour me permettre de revenir sur tout le travail abattu en matière de création durant cette période de vingt -quatre mois. J’ai ainsi la latitude de présenter une centaine de tenues. C’est juste pour cette raison que je ne puisse me permettre d’inviter d’autres stylistes. Maintenant, il y a le fait que tout le monde a envie de montrer son savoir -faire avec le boubou. Peut-être qu’un jour, je vais, en dehors de « La nuit du boubou », organiser une manifestation où toutes les stylistes du Sénégal montreront leur savoir- faire dans ce vaste domaine. Parce que c’est typiquement sénégalais et chacun dispose de sa touche particulière dans ce domaine précis.

Vous souffrez aussi beaucoup de la contrefaçon …

La copie existe depuis très longtemps. Il est vrai que nous avons la Sodav et l’OAPI où on dépose tout ce qui est création. Vous entrez dans le Net et vous verrez des créations d’Yves Saint Laurent et de Christian Dior. Mais ceux qui sont vraiment intéressés vont commander au niveau de la boutique mère. On est obligé de subir, parce qu’on ne pourrait pas passer tout notre temps à poursuivre ces gens. Heureusement, il y a des clients qui nous soutiennent et qui ont fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Ces gens- là vont toujours s’approvisionner auprès de la créatrice ou du créateur originel. Nous pouvions juste nous contenter de déposer nos copies à l’OAPI. Mais il y a toute une procédure en cas de contrefaçon et on a fini par laisser faire dès lors que l’on n’y peut pratiquement rien. Ces gens ne reculent devant rien. l y a un mois, quelqu‘un a poussé le bouchon jusqu’à copier intégralement le nom « d’Emma Style » à l’enseigne de sa boutique. Nous sommes vraiment toujours confrontés à cette lancinante question de la contrefaçon. On ne fait que subir. Peut- être qu’un jour, il y aura des textes plus restrictifs et répressifs. Le mal est déjà là et rien n’est sécurisé.

Pour le budget, vous dites toujours que vous êtes rarement soutenue au Sénégal. Qu’en est- il pour cette édition ?

Très sincèrement, le budget est colossal car il tourne aux environs de cinquante à soixante millions de francs CFA. Ce n’est pas du tout petit et c’est pourquoi je ne peux pas me permettre de le faire chaque année. C’est d’ailleurs pour cette raison que je n’ai pas pu le faire en 2016. Normalement, je l’organise tous les deux ans. Cependant en 2016, j’ai déménagé ma structure et il fallait tout réorganiser. Donc je ne pouvais pas me permettre d’organiser une édition dans ces conditions. Il nous arrive également de nous endetter pour respecter ce rendez- vous.

Qu’en est – il du soutien de l’Etat ?

Je vais vous dire (Gros éclats de rire). L’Etat, c’est à la fois le ministère de la Culture, celui de l’Artisanat etc. Parfois ! Je dis bien parfois, ces ministères nous soutiennent. En 2014, le ministère de l’Artisanat m’avait remis une enveloppe dont je ne dirais pas le montant par pudeur. Je crois qu’il y avait aussi le ministère de la Femme. Bref, il y a juste quelques actions périphériques et les enveloppes ne dépassent jamais deux millions. Toutefois, j’ai l’OIF (L’Organisation Internationale de la Francophonie) qui m’accompagne depuis le début. Sincèrement, le soutien de l’OIF, personne ne l’a encore fait au Sénégal. C’est très loin de tout ce que me donne l’Etat. L’OIF accompagne des créateurs et nous avons fait des séminaires et des ateliers qu’elle organise régulièrement pour nous les stylistes. J’ai toujours crié haut et sur tous les tons que je n’ai jamais eu de sponsors. Cette année également, j’ai encore déposé au Sénégal mais le sponsor que j’ai eu, vient du Mali. Je suis partie jusqu’au Mali où le ministre de la Culture m’a mise en contact avec des partenaires. C’est grâce à ce soutien que j’ai pu décrocher un très gros sponsor qui est Getzner d’Autriche. Ce gens- là sont surbookés et ils sont off jusqu’en fin 2019. Je crois que tout cela découle de la volonté divine car chez Getzner, ils n’ont pas le temps. S’ils prennent vraiment le temps de venir et de me sponsoriser, je dis vraiment que c’est juste par la volonté de Dieu. L’autre sponsor que j’ai réussi à décrocher nous vient encore du Mali. Il s’agit de Bocar Yara. Au Sénégal je n’ai pas encore de sponsor et c’est la triste réalité.

Quelles sont les retombées de cette « Nuit du boubou » ?

Pour les retombées, sur les cent tenues, les 50 sont déjà achetées sur scène. Les Sénégalaises aiment s’habiller et c’est pratiquement sur scène qu’elles envoient des SMS pour faire des commandes. Cela nous permet de vivre et de voir venir. Si vous êtes endettés et que vous vendez la collection, vous allez juste payer les dettes. Y a aussi cette tradition établie et devenue même une exigence où il faut offrir la moitié des billets à des proches. Personne n’achète le ticket ! C’est un fait avéré. Vous offrez gratuitement la moitié des billets et c’est toujours comme ça.