Les services de renseignements suédois (Säpo) avaient donné l’alerte voici plus de deux ans. Pour la première fois depuis 2001, Säpo, tout en considérant l’islamisme radical comme la principale menace à la sécurité du royaume, pointait du doigt le « nationalisme radical étendu et croissant », de la part « d’organisations néonazies et d’un milieu xénophobe plus lâche », faisant craindre « des crimes motivés par la xénophobie ».
Dans un rapport de plus de 400 pages, publié fin août, le Centre d’étude du terrorisme et des menaces asymétriques (CATS), rattaché à l’Université suédoise de la défense à Stockholm, décrit dans le détail cette mouvance en pleine expansion et la menace qu’elle fait peser sur la société suédoise. Magnus Ranstorp, un des principaux experts du terrorisme en Suède, qui a cosigné le rapport, est catégorique : « Il faut se préparer à de nouveaux attentats, qui viseront les musulmans, les juifs ou les immigrés. »
Le royaume scandinave a une longue expérience de la violence d’extrême droite. Selon une étude réalisée par le Centre de recherche sur l’extrémisme, basé à Oslo en Norvège, aucun autre pays d’Europe de l’ouest, proportionnellement à sa population, n’a connu autant d’attaques mortelles, commises au nom d’une idéologie d’extrême droite, depuis 1990. Au total, elles ont coûté la vie à vingt et une personnes. En comparaison, les deux attentats commis par des terroristes islamistes, en janvier 2010 et en avril 2017, ont fait cinq morts.
Organisations néonazies
Dans le rapport du CATS, les services de renseignement révèlent qu’au moins 507 extrémistes de droite, ont fait l’objet d’une surveillance, entre 2018 et 2019. 85 % sont des hommes, près de quatre sur cinq sont célibataires. Quasiment la moitié d’entre eux a entre 25 à 34 ans. Centre quatre-vingt-dix ont été condamnés, plus de la moitié pour une infraction à la loi sur le port d’arme blanche et presque autant pour coups et blessures.
Selon Säpo, dix-sept ont suivi un entraînement paramilitaire à l’étranger, en Russie, en Tchéquie, en Pologne ou en Bulgarie, et neuf ont participé à la guerre en Ukraine, pas toujours du même côté. Certains appartiennent à des organisations néonazies, telles que le Mouvement de résistance nordique (NMR), qui compte quelques centaines de militants. D’autres font partie de ce que les auteurs du rapport désignent comme « l’alt right » suédoise.
« On ne peut pas les séparer, argue Magnus Ranstorp. Il faut voir cela comme un spectre très large. » Ses acteurs, précise-t-il, « propagent le mème discours, avec une ambition commune, qui est de radicaliser le débat public, déjà très polarisé en Suède, et de bouger les lignes sur ce qu’il est acceptable de dire ou pas. Ils sont en contact, s’invitent dans leurs podcasts, et échangent entre eux la littérature identitaire mondiale ».
Connexions avec la Russie
Le rapport du CATS analyse le rôle de la Russie, à travers des médias tels que Russia Today et Sputnik, qui reprennent fréquemment la rhétorique de ces groupuscules, avec pour objectif de « l’amplifier ». Leur mobilisation a été particulièrement frappante, en amont des élections législatives de 2018, avec une publication massive d’articles et de reportages sur une Suède en plein délitement, ravagée par l’immigration.
Les chercheurs soulignent les connexions entre la mouvance nationaliste radicale suédoise et le Mouvement impérial russe, une organisation paramilitaire ultranationaliste : plusieurs extrémistes suédois ont participé à ses camps d’entraînement. Parmi eux, Viktor Melin et Anton Thulin, deux anciens militants du NMR qui, à peine rentrés de Saint Pétersbourg en 2016, ont posé une bombe devant un local syndical et deux centres d’hébergements de demandeurs d’asile à Göteborg, faisant un blessé grave.
En mars 2015, des dirigeants de NMR ont, eux, participé à une conférence à Saint-Pétersbourg organisée par le parti nationaliste Rodina. A cette occasion, les néonazis suédois ont visité les locaux du Mouvement impérial russe, dont le leader, Stanislav Vorobjev, s’est ensuite rendu en Suède. Selon le magazine antiraciste Expo, il aurait versé une contribution financière de 30 000 couronnes (3 000 euros) à NMR. « Ça peut paraître dérisoire sauf que NMR est une organisation extrêmement pauvre », rappelle Magnus Ranstorp.
Pic de violence dans les années 1990
En mars 2019, les services de renseignements suédois voyaient deux types de menaces : attentat terroriste, commis par un individu isolé, radicalisé sur Internet, et une déstabilisation du système démocratique, sur le plus long terme, menée par des groupuscules d’extrême droite.
Jusqu’à présent, la majorité des attaques mortelles, en Suède, ont été commises par des personnes liées à des organisations néonazies. Discrètes à certaines époques, plus visibles à d’autres, mais toujours présentes, sous diverses formes, elles avaient été à l’origine d’un pic de violence dans les années 1990, avec une série de meurtres, visant un leader syndical, un joueur de hockey, des policiers… En 2016, une femme transsexuelle, est morte sous les coups de trois militants néonazis à Göteborg.
« Les Suédois ont tendance à l’oublier mais le pays a déjà subi les attaques de deux tueurs solitaires », rappelle Christer Mattsson, directeur du Segerstedtinstitutet, spécialisé dans la recherche sur l’extrémisme, à Göteborg. En 2013, Peter Mangs a été condamné à la prison à vie, pour deux assassinats et huit tentatives de meurtres, contre des immigrés, commis entre 2003 et 2010 à Malmö. Deux ans plus tard, le 22 octobre 2015, à Trollhätan, sur la côte ouest, Anton Lundin Pettersson, 21 ans, a tué trois personnes, dans son ancienne école, avant d’être abattu par la police.