L’affaire Lamine Diack, symbole d’une époque trouble pour la gouvernance du sport mondial

Le procès de Lamine Diack doit s’ouvrir aujourd’hui à Paris. L’ex-président de la Fédération internationale d’athlétisme est soupçonné d’avoir mis en place un système de corruption de grande ampleur au début des années 2010. En toile de fond : le dopage à grande échelle en Russie, un scandale que l’ancien dirigeant sportif sénégalais aurait aidé à couvrir.

La protection d’une vingtaine d’athlètes du pays de Poutine en échange de juteux pots-de-vin : c’est un rapide résumé de l’affaire Diack (lire ci-dessous), elle-même à l’origine des révélations sur un dopage institutionnel mis en place en Russie qui ont ébranlé le sport mondial.

Pour appréhender le procès du dirigeant sénégalais, il faut se replonger dans un certain contexte. Il y a quelques années, Vladimir Poutine a misé sur le sport et notamment sur l’organisation de compétitions comme la Coupe du monde de football 2018, les Jeux olympiques d’Hiver 2014 ou encore les Mondiaux d’athlétisme en 2013.

Mais le président russe ne voulait pas seulement accueillir les événements, il souhaitait également voir ses athlètes briller sur les pistes nous rappelle Lukas Aubin, chercheur en géopolitique, spécialiste de la Russie et du sport : « Pour bien comprendre le contexte de l’affaire Lamine Diack, il faut revenir en 2000. Au moment où Vladimir Poutine arrive au pouvoir, il entame un gigantesque ballet de séduction afin d’obtenir les plus grands événements sportifs de la planète : Jeux de Sotchi 2014, Coupe du monde 2018… Cette stratégie fonctionne ! L’idée est également de remporter les compétitions. À partir de là, il va y avoir un processus de dopage massif. Donc là on a affaire à une politisation du sport international par l’intermédiaire de Vladimir Poutine. »

Révélateur des largesses de la gouvernance sportive d’une époque
Face aux ambitions russes, les limites d’une gouvernance, celle de Lamine Diack, semblent s’être révélées. Le Sénégalais aurait privilégié des intérêts politiques ou privés au détriment des intérêts du sport. Dans l’affaire jugée à Paris, de l’argent aurait notamment servi à interférer dans des élections sénégalaises en 2012. Son népotisme est également pointé du doigt, son fils Papa Massata Diack faisant également partie des accusés.

Lamine Diack, ancien maire de Dakar et président de la Fédération internationale d’athlétisme de 1999 à 2015, vient de célébrer son 87e anniversaire et il a appartient à une ancienne génération de dirigeants sportifs à la réputation parfois sulfureuse.

Selon Pim Verschuuren, doctorant à l’université de Lausanne et spécialisé dans la gouvernance et l’intégrité du sport mondial, le parcours de l’ancien athlète fait notamment écho à celui de Sepp Blatter, ex-patron de la Fifa, balayé lui aussi par un scandale de corruption il y a cinq ans : « Les faits reprochés à Lamine Diack laissent penser que ce dirigeant évoluait dans une totale impunité. L’affaire semble révéler les largesses de la gouvernance sportive à l’époque et le profil de Lamine Diack rappelle effectivement celui d’autres dirigeants comme Sepp Blatter. Non seulement ces présidents n’avaient que peu de scrupules dans leur manière de gérer leurs fédérations, mais les structures internes de contrôle au sein de ces instances n’étaient pas à la hauteur ou en tout cas très éloignées des standards des multinationales et des administrations publiques. »

Ce que le sport est devenu

« L’affaire Diack » questionne donc le fonctionnement des institutions sportives lors des décennies écoulées, entre absence de contrôle des dirigeants et difficulté pour ces instances à se positionner par rapport aux intérêts des différents pays, nous explique Jean-Baptiste Guégan, auteur du livre Géopolitique du sport : une autre explication du monde : « La première chose c’est que dans les années 1980-1990, le mouvement sportif international s’est cru au-delà des États. Ils ont vraiment cru qu’ils échappaient au grand jeu géopolitique. Tout en en tirant profit ! En somme, ils se sont peut-être vus trop forts. L’affaire Lamine Diack montre à la fois ce que le sport est devenu, c’est à dire une véritable économie, mais elle montre aussi, en retour, la fragilité d’instances qui se pensaient finalement au-dessus des lois. Et qui ont d’abord été rattrapées par les personnes qui étaient à leur tête et ensuite par les lois des pays et des rapports de force. »

Ces dernières années, des mesures visant à améliorer la gouvernance du sport mondial ont été adoptées au sein de différentes instances sportives. Plus de séparation des pouvoirs, davantage de contrôle en interne… mais il est encore trop tôt pour vraiment mesurer leur efficacité.

Le procès : rappel des faits

En 2011, la russie craint pour son image : 23 de ses athlètes sont soupçonnés de dopage, alors que se profilent les JO de 2012 et surtout, les Mondiaux d’athlétisme de 2013 à Moscou. L’IAAF manque quant à elle de trésorerie. C’est dans ce contexte que Lamine Diack aurait conclu un accord avec Valentin Balakhnitchev, alors président de la Fédération russe d’athlétisme et trésorier de l’IAAF : retarder les sanctions contre ces athlètes en contrepartie d’une entente sur des contrats de sponsoring et de diffusion des Mondiaux avec des sociétés russes. Le dirigeant sénégalais aurait aussi obtenu que la Russie verse 1,5 millions d’euros pour soutenir l’opposition à Abdoulaye Wade lors des campagnes électorales de 2012.

Ses avocats rejettent aujourd’hui toutes les charges portées contre lui.

Mais Lamine Diack, d’après l’ordonnance de renvoi, a reconnu devant les enquêteurs l’existence d’un accord ; des enquêteurs qui accusent son fils, Papa Massata Diack, alors conseiller marketing de l’IAAF, d’avoir joué un « rôle central » dans ce système de corruption, aidé par l’avocat Habib Cissé, ex-conseiller de Lamine Diack. Papa Massata Diack sera jugé en son absence, tout comme Valentin Balakhnitchev et Alexei Melnikov, ex-entraineur russe.

Ces cinq hommes sont également poursuivis pour avoir soutiré d’importantes sommes à des athlètes en échange d’une protection contre des sanctions. Dans un dernier volet, Lamine Diack est aussi accusé d’avoir permis à son fils de s’approprier des millions d’euros de recettes de l’IAAF sur des contrats avec des sponsors. L’IAAF qui réclame plus de 40 millions aux accusés.

RFI