Pour son deuxième jour de visite dans son village de Mama, Laurent Gbagbo a reçu dans sa résidence plus de 200 chefs traditionnels et des cadres locaux de son parti. Après dix ans d’absence dont huit en détention provisoire, l’ancien président a pris la parole pendant plus de trente-cinq minutes, ponctuant son propos d’anecdotes et se présentant comme la victime d’un procès politique.
Avec notre envoyé spécial à Mama, François Hume-Ferkatadji
Sous l’imposant apatame qui trône au centre du parc de sa résidence de Mama, Laurent Gbagbo, chemise bleu ciel, se lève pour prendre la parole. Quelques mots en bété puis, enfin, il « donne des nouvelles », comme le veut la tradition après une longue période d’absence.
« Oui, on m’a amené là-bas… » (rire dans l’assistance). Là-bas, autrement dit au pénitencier de Sheveningen aux Pays-Bas, où il a passé huit ans de détention provisoire. Multipliant les figures de style, litotes ou euphémismes, Laurent Gbagbo raconte longuement sa détention sur un ton léger. « Je me suis fait des amis », dit-il, ou encore en affirmant qu’il « n’a pas vu le temps passer ». Il ponctue son récit d’anecdotes, comme lorsqu’il raconte comment il cotisait avec ses codétenus, le Libérien Charles Taylor et le Congolais Jean-Pierre Bemba, pour partager des repas meilleurs que ceux servis en prison.
Comme pour faire oublier sa demande officielle de divorce avec Simone Gbagbo qui lui vaut quelques critiques à demi-mot parmi ses partisans, il insiste sur le rôle de Nady Bamba, sa compagne actuelle. « Elle me nourrissait. C’est elle qui me donnait chaque mois de l’argent. Parce que la nourriture qu’on nous sert en prison n’est pas bonne. »
Règlement de comptes avec la CPI
Puis il remet en cause la procédure et les poursuites de la Cour pénale internationale (CPI) : « C’était pas sérieux, il fallait écarter un homme gênant, un concurrent gênant, alors on m’a mis là-bas » alors qu’« il n’y avait rien ». « Je ne suis pas un criminel », clame-t-il.
Laurent Gbagbo s’est appliqué à réécrire le scénario avancé par ses détracteurs, « on peut m’accuser de tout, mais je ne suis pas un criminel », et il s’appuie pour cela sur la décision de ceux qu’ils appellent les « Blancs », à savoir les juges de la CPI qui l’ont acquitté. « Même les Blancs qui ne nous connaissent pas là, qui connaissent pas nos petites querelles ici là, ont su que je ne suis pas un criminel. Voilà… »
En entrant parfois dans les détails, il a ironisé sur les difficultés de l’accusation pendant le procès et les échecs de la procureure, Fatou Bensouda : « En novembre 2018, on nous avait promis 135 témoins du côté de l’accusation. Il y a 82 qui sont passés. Le juge demande au procureur : « Vous avez encore des témoins ? » Il dit : « Non, c’est fini ». (Rires). Les autres là ne veulent pas venir. »
« C’est la politique qui va me sortir d’ici »
Enfin, Gbagbo ne cesse de ponctuer son intervention d’anecdotes ou de métaphores qui, toutes, ont pour but de faire comprendre à l’auditoire qu’il reviendra dans le jeu politique. En s’adressant au secrétaire exécutif du PDCI présent parmi les convives, il appelle entre les lignes ses partisans une alliance avec le PDCI. « Ne jetons pas l’anathème les uns sur les autres », plaide-t-il.
Il explique aussi comment, après avoir rencontré Henri Konan Bédié (le président du PDCI) à Bruxelles, un homme issu d’un ministère belge lui aurait demandé de ne pas faire de politique, puisque c’était l’une des conditions de sa liberté conditionnelle. Et à qui il a répondu : « Moi, vous m’avez amené ici à cause de la politique et vous ne voulez pas que je fasse de la politique ? Ce qui m’a amené ici là, c’est ce qui va me sortir d’ici. C’est la politique qui m’a amené ici, donc c’est la politique qui va me sortir d’ici ! Donc, il ne faut pas vous amuser en croyant que je ne vais pas faire de la politique, je fais de la politique toujours. »
Dans la salle, plusieurs chefs de terre ou de village ont confié lui avoir donné une mission : celle de la réconciliation de tous les Ivoiriens, mais Laurent Gbagbo donne des indications sur sa méthode. « Si on doit tous être d’accord, toujours, il y plus de démocratie, jure-t-il. C’est parce qu’on n’est pas d’accord qu’il y a la démocratie. »
Fait notable également, en trente-cinq minutes d’intervention, Laurent Gbagbo n’a pas prononcé une seule fois le nom d’Alassane Ouattara, le président ivoirien.