Le Brésil est « devenu une usine à variants du Covid-19 »

Alors que la France a annoncé mardi la suspension de tous les vols avec le Brésil, la situation sanitaire du pays sud-américain ne cesse de se détériorer : 92 variants du coronavirus y ont été identifiés, faisant du pays une véritable usine à mutations. Une menace qui pourrait annihiler tous les efforts de vaccination.

Le constat est brutal. Le Brésil vit une « catastrophe humanitaire » avec la crise du Covid-19, selon Médecins sans frontières, qui pointe du doigt un coupable : « l’absence de volonté politique » des autorités brésiliennes, dépourvues de « réponse coordonnée et centralisée ». « L’absence de volonté politique pour agir de manière adaptée face à cette pandémie est responsable de la mort de milliers de Brésiliens », a affirmé l’ONG dans un communiqué publié jeudi 15 avril.

Depuis quelques mois, la situation du coronavirus au Brésil « est complètement hors de contrôle », résume Fernanda Grassi, médecin infectiologue de Salvador de Bahia, dans un entretien à France 24.

En cause : la circulation active du variant P1, dit « brésilien », qui « est largement majoritaire ici, plus contagieux et mène à des cas plus graves que le variant dit classique. Donc, il y a plus de patients ayant besoin d’une hospitalisation », explique à France 24 la chercheuse à la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz – l’équivalent de l’Institut Pasteur).

Depuis quelques mois, la population atteinte change également : selon le dernier bulletin de l’Observatoire du Covid-19, le nombre de morts a fait un bond de 353 % entre janvier et mars 2021 parmi la tranche d’âge 30-39 ans.

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Selon les experts, la baisse d’âge n’est pas qu’un fait du variant. « Certes, le P1 en est en partie responsable, mais n’oublions pas que les jeunes sont aussi les plus exposés actuellement : ce sont surtout eux qui ont besoin de travailler, et qui parfois sentent le besoin de sociabiliser. D’autant plus sans mesures de restriction coordonnées au niveau national », précise Fernanda Grassi.

Au moins 92 variants en circulation

Pourtant la situation peut encore empirer, d’après Fernanda Grassi. Car « le Brésil est devenu une véritable usine à variants », regrette-t-elle.

Au-delà du variant P1, l’Institut Fiocruz a identifié 92 autres mutations du coronavirus en circulation au Brésil, selon une étude publiée mardi 13 avril. « Les mutations ont lieu quand on a un taux de transmission fort » : le phénomène, « normal lors d’une épidémie », débute lorsqu’un virus passe d’une personne à l’autre et « crée des mutations aléatoires dans son code génétique », poursuit-elle.

Dans le cas brésilien, où « le virus circule librement, on a une probabilité de voir apparaître beaucoup de nouveaux variants », explique l’infectiologue. Selon elle, le « chiffre de 92 est sûrement sous-estimé, car on ne fait pratiquement pas de séquençage ».

Selon la chercheuse, le variant P1 n’a été lui-même officiellement identifié qu’en janvier au Japon chez des voyageurs en provenance de l’État de l’Amazonas. Pourtant, il « circulait au moins depuis décembre », explique-t-elle. En janvier, il représentait déjà 73 % des infections à Manaus, capitale de l’État, pour ensuite atteindre deux mois plus tard 73 % des infections nationales, selon les données de Fiocruz.

« Des mutations résistantes aux vaccins peuvent apparaître »

Comme pour ce dernier et pour le variant dit « britannique », ces mutations deviennent dangereuses notamment « lorsqu’elles sont plus contagieuses et finissent par s’imposer », résume la médecin-chercheuse.

D’autant que l’apparition de nouveaux variants peut balayer d’un revers de main toute la campagne de vaccination. Pourquoi ? Car dans l’une de ces mutations, le virus peut finir par se renforcer et devenir insensible à certains vaccins. En février, l’Afrique du Sud a suspendu l’utilisation du vaccin d’AstraZeneca, qui s’est révélé efficace à seulement 22 % contre le variant sud-africain.

« Pour l’instant, les vaccins disponibles s’attaquent bien au variant P1. Mais des nouvelles mutations résistantes peuvent très bien apparaître », s’inquiète Fernanda Grassi.

Le riche État de São Paulo manque de sédatifs

Résultat : en 10 jours, le pays enregistre une moyenne quotidienne d’environ 3 000 décès dus au Covid-19, dépassant régulièrement les 4 000 victimes. Selon MSF, rien que dans « la semaine du 5 avril, 11 % des nouvelles infections au Covid-19 dans le monde étaient enregistrées au Brésil, ainsi que plus d’un quart des décès ».

En un peu plus d’un an, l’épidémie a fait plus de 360 000 morts dans le pays sud-américain, faisant de lui le deuxième plus endeuillé au monde après les États-Unis.

Pis, dans l’État de São Paulo, le plus riche et pourvu du système hospitalier le plus moderne du pays, les centres de santé sont désormais au bord de l’effondrement : à partir du vendredi 16 avril, les établissements pourraient manquer de médicaments nécessaires aux intubations et ne pourront plus soigner les patients atteints d’une forme grave du Covid-19, selon une lettre transmise au gouvernement fédéral rapportée par le quotidien Folha de São Paulo.

Selon les autorités locales, 68 % des centres de santé du réseau de la métropole utilisent déjà des médicaments « alternatifs » moins modernes pour combler le manque, et 61 % d’entre eux avaient épuisé leurs stocks de sédatifs.

Dans le reste du pays, la situation est tout aussi dramatique. « Pratiquement partout (…) le système de santé s’est effondré », a déploré Paulo Menezes, épidémiologiste à l’Université de São Paulo (USP) dans un entretien au Monde. Dans la plupart des 22 États brésiliens, le taux d’occupation des services de soins intensifs dépasse les 90 %.

Manque de vaccins
Face à une telle situation, les autorités locales misent tout sur la vaccination. Selon le consortium de presse qui compile les données quotidiennes de l’épidémie,15 % des Brésiliens ont reçu une première dose d’un vaccin contre le Covid-19, et 5 % la deuxième.

Le pays utilise majoritairement le vaccin CoronaVac, produit par l’Institut de recherche médical Butantan de São Paulo en partenariat avec le laboratoire pharmaceutique chinois Sinovac, ainsi qu’AstraZeneca. En raison de la contrainte liée à la chaîne du froid nécessaire à son stockage, le vaccin de Pfizer y est absent, alors qu’il « s’est montré le plus efficace contre tous les variants », déplore Fernanda Grassi.

Depuis quelques semaines, le pays doit faire face à une grande pénurie de doses. La vaccination a été arrêtée, mercredi 14 avril, dans trois métropoles du pays, selon le site d’informations G1, dont Salvador, où Fernanda Grassi habite. « Donc maintenant, nous avons un non seulement un virus complètement hors de contrôle, mais surtout un système de santé qui s’effondre… et bientôt pas de vaccins », martèle-t-elle.

Face à la situation brésilienne, la France a annoncé mardi 13 avril la suspension des vols avec le pays sud-américain. Officiellement jusqu’au 19 avril, la mesure pourrait s’étendre au-delà, car Paris va présenter lundi de nouvelles restrictions pour les voyageurs des pays où, à l’instar du Brésil, « un variant particulièrement à risque est dominant », a annoncé le porte-parole du gouvernement français Gabriel Attal.

France24