Le Liban en quête de vérité et de justice après l’explosion de Beyrouth

Le Liban en quête de vérité et de justice après l'explosion de Beyrouth

Emmanuel Macron est attendu ce lundi soir à Beyrouth pour sa deuxième visite en quelques semaines puisqu’il s’était rendu dans la capitale libanaise dans les jours qui ont suivi l’explosion du 4 août. Aujourd’hui, beaucoup de victimes souhaitent comprendre ce qui s’est passé et obtenir justice.

Au total, 19 personnes ont été arrêtées, parmi lesquelles le directeur du port de Beyrouth et le directeur des douanes. Mais quatre semaines après la déflagration exceptionnelle qui a coûté la vie à plus de 180 personnes, rien n’indique que l’enquête progresse. Le rapport préliminaire que les dirigeants libanais avaient promis juste après l’explosion se fait toujours attendre.

Restent donc des questions sans réponse : pourquoi des tonnes de nitrate d’ammonium (le chiffre de 2 750 tonnes est avancé) ont-elles été entreposées pendant des années dans un hangar du port alors que ce produit chimique peut s’avérer extrêmement explosif ? Pourquoi rien n’a été fait malgré les avertissements lancés par plusieurs responsables du site ? L’explosion du 4 août est-elle la conséquence de l’incurie et de la corruption que de nombreux Libanais reprochent à leurs dirigeants ? C’est ce que pense Alain Bifani, qui jusqu’à sa démission en juillet dernier était le numéro deux du ministère libanais des Finances. « On ne sait jamais qui est responsable de quoi. La dilution des responsabilités est tellement avancée que personne ne se sent concerné, on laisse pourrir. Alors évidemment lorsqu’on laisse pourrir une situation avec des explosifs en plein cœur de la capitale, voilà ce que ça donne », explique l’ancien haut-fonctionnaire.

De nombreuses théories sur la cause de l’explosion

Le jour de la catastrophe, les pompiers ont été appelés pour un incendie sur le port. Les dizaines de vidéos qui documentent la catastrophe montrent une première explosion, suivie de la seconde, terrible. Un enchaînement laissant la voie libre à de nombreuses interprétations. Dans les jours qui ont suivi, le président libanais Michel Aoun a lui-même évoqué l’hypothèse d’un « missile », sans avancer d’éléments en ce sens. Dans la population libanaise circulent aussi des doutes et d’autres scénarios. La thèse du produit chimique oublié sur le port ? « Je ne crois pas du tout à ça » s’exclame Omar Boustany qui a failli perdre la vie dans l’explosion qui a dévasté son appartement. Les médecins ont retiré un énorme morceau de verre dans son dos désormais orné de 26 points de suture, le quinquagénaire a six côtes cassées et souffre d’un pneumothorax. « Je crois que le Hezbollah stockait des armes de guerre très puissantes au milieu du port de Beyrouth, comme peut-être à d’autres endroits. Et je ne sais pas pourquoi mais malheureusement ça a explosé », avance ce créatif qui travaille dans la publicité. Pour ce Libanais, impliqué dans le mouvement de contestation qui a débuté en octobre 2019, « ce n’est pas n’importe quel produit chimique ou n’importe quelle petite négligence, c’est quelque chose de terrifiant qui était là-dedans, qui était fait pour des guerres ». Après la catastrophe, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah a catégoriquement rejeté les accusations en ce sens : « Nous n’avons rien dans le port. Pas d’entrepôt d’armes, pas d’entrepôt de missiles, pas une arme, pas une bombe, pas une balle, pas de nitrate d’ammonium », a-t-il affirmé.

La vérité pourra-t-elle se frayer un chemin dans le flot des théories, des accusations et des rumeurs sur fond de tension politique ? En tout cas, la société civile s’y attelle. Des avocats du barreau de Beyrouth et des experts se sont mobilisés pour recueillir bénévolement les plaintes des blessés ou des familles des personnes décédées. Sous des tentes installées dans sept endroits de la capitale libanaise, ils aident les victimes à constituer leurs dossiers. Dans les prochains jours ces avocats remettront plus de 600 plaintes à la justice.

Une enquête internationale

Des voix se sont élevées pour demander une enquête internationale, un scénario que le président Michel Aoun écarte pour l’instant, mais des avocats et des victimes de l’explosion ont toutefois lancé une initiative pour demander une telle enquête. La plateforme Victims Of August Beirut Massacre a déjà collecté plus de 1 000 signatures pour demander une enquête internationale sous l’égide du Conseil de sécurité de l’ONU. « Une enquête plus objective, plus professionnelle et moins exposée au pressions, politiques notamment », espère l’avocate Mirna Gemayel. « Je veux savoir pourquoi il y avait 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium en plein milieu d’une ville très peuplée, explique Sara Jaafar, l’une des signataires. Je veux savoir qui est responsable et je veux la justice » ajoute cette architecte en nous montrant les photos de son appartement réduit en miettes.

Ces dernières semaines, des enquêteurs français et le FBI américain ont déjà commencé à travailler sur les ruines du port de Beyrouth. Le Canada a récemment proposé son aide. L’enquête pourrait être à la fois libanaise et internationale, d’après Ayman Mhanna qui dirige le centre Samir Kassir, dédié à la démocratie et à la liberté d’expression. « Il y a plein d’experts internationaux et libanais. Des experts en explosif, en droit maritime, en gestion portuaire ou en audit qui peuvent être chargés d’une enquête internationale, sans avoir recours à l’ONU. Si on veut faire quelque chose de bien, il suffit d’en avoir la volonté politique. Malheureusement c’est ce qui nous manque au Liban ».

Une enquête a par ailleurs été ouverte en France puisque plusieurs des victimes du 4 août à Beyrouth avaient la nationalité française.

rfi