Le physicien Stephen Hawking a perdu son dernier pari

Peu de scientifiques ont eu l’histoire de leur vie portée à l’écran, des physiciens théoriciens encore moins. Stephen Hawking, qui s’est éteint ce 14 mars à l’âge de 76 ans, en fait partie. Considéré comme l’un des esprits les plus brillants depuis Albert Einstein, malgré une maladie très handicapante, il est celui qui aura su faire aimer la cosmologie à des millions de personnes.

Le grand public connaît surtout Stephen Hawking pour son immense talent de vulgarisateur scientifique. Son best-seller Une brève histoire du temps (A brief history of time), est resté pendant 237 semaines consécutives en tête des meilleures ventes du Sunday Times. Un tour de force pour un livre qui avait pour but de présenter au public les notions de relativité en physique, ou encore de mécanique quantique.

Pourtant, un tel succès était loin d’être joué d’avance, et comme souvent, Stephen Hawking a failli embrasser une tout autre carrière que celle de physicien. Né le 8 janvier 1942 à Oxford, d’un père biologiste et d’une mère militante politique, ses parents l’auraient bien vu médecin. C’était sans compter sur l’appétence de leur fils pour les sciences et son goût pour les mathématiques. Bon élève sans être exceptionnel, il voulait s’inscrire au département de mathématiques de l’université d’Oxford au grand dam de ses parents. A son grand dam à lui, cette formation n’était pas proposée, il se tourna alors vers la physique. Un domaine où il excellera, notamment aux cours de thermodynamique, de relativité générale et de mécanique quantique. Au moment de son examen oral final, son professeur de physique de l’époque, Robert Berman, déclarera même que « ses examinateurs ont été assez intelligents pour remarquer qu’ils s’adressaient à quelqu’un de plus intelligent qu’eux ».

Son diplôme en poche, Stephen Hawking se tourne alors vers l’astronomie, une discipline observationnelle qu’il délaissera vite pour la théorie pure. Il quitte alors Oxford pour Cambridge. Nous sommes alors en 1962 et les premiers symptômes de sa maladie commencent à apparaître.

Continuer à vivre malgré la maladie

La sclérose latérale amyotrophique (SLA, ou plus familièrement connue sous le nom de maladie de Charcot), est une maladie des neurones moteurs, qui ôte tout contrôle des muscles. Elle entraîne dans la moitié des cas la mort de la personne malade dans les trois ans qui suivent l’apparition des premiers symptômes, et n’a pas de traitement connu. Stephen Hawking sait tout cela, mais il continue cependant d’aller en cours. Il va ainsi passer deux années à Cambridge sans se distinguer particulièrement, ne voyant pas l’intérêt de débuter une thèse se sachant condamné. 1965 sera alors l’année qui va changer sa vie. Ses symptômes progressent moins vite que craint, et surtout, il épouse Jane Wilde, une étudiante en langue avec qui il aura trois enfants.

Stephen Hawking obtient son doctorat, et commence alors à travailler sur un concept physique et astronomique encore récent à l’époque, les singularités. Un domaine qui le mènera plus tard à étudier en profondeur la question du Big Bang et des trous noirs, des phénomènes où les lois de la physique sont poussées à l’extrême. De là, sa carrière est lancée et les honneurs et les récompenses pleuvent : il est élu membre de la Royal Society en 1974, fait commandeur de l’ordre de l’Empire britannique en 1982, devient Compagnon d’honneur 1989. Ses travaux lui offrent une renommée mondiale dans la communauté scientifique. Et ce, malgré le fait que sa maladie ne l’a pas oublié. En 1974, il ne peut déjà plus se nourrir par lui-même, ni se lever de son lit. En 1985, il perd définitivement l’usage de la parole à la suite d’une trachéotomie devenue nécessaire du fait une pneumonie.

C’est à ce moment-là que Walt Woltoz, un informaticien californien élabore un dispositif permettant à Stephen Hawking de communiquer. Il s’agit de lui laisser la possibilité d’écrire sur un ordinateur, grâce à un commutateur, le texte étant ensuite prononcé par un synthétiseur vocal. Stephen Hawking peut ainsi continuer ses travaux de recherche et continuer de donner des conférences de part le monde. Le physicien a depuis perdu l’usage de ses mains, en 2001, et c’est un dispositif mis au point par Intel qui lui permet de continuer à communiquer avec le monde extérieur : en analysant les mouvements de sa joue, un système infrarouge monté sur ses lunettes lui permet de choisir des lettres sur un clavier virtuel et ainsi de composer des mots, à un rythme de cinq par minute. Grâce à cela, Stephen Hawking peut même continuer d’écrire des livres, l’activité qui l’a rendu célèbre auprès du grand public.

L’astrophysicien Stephen Hawking et son épouse, en Espagne, en 2005.
REUTERS/Alonso Gonzales
Un pari singulier

Il est ainsi l’auteur de nombreux livres de vulgarisation scientifique, et son opus le plus connu, Une brève histoire du temps, écrit en 1988, a été un succès mondial. En 2001 sortira son second ouvrage, L’univers dans une coquille de noix, dans lequel il revient sur les concepts de supersymétrie, théorie des cordes, et autre théorie M. Car c’est là, l’un des buts qu’a poursuivi Hawking toute sa vie : l’élaboration d’une théorie du Tout, une théorie physique reine dont découlerait toutes les autres ; une théorie qui unifierait les quatre grandes forces de l’Univers en une seule. Il n’aura pas accompli ce rêve de son vivant, mais aura cependant contribué à des avancées majeures grâce à ses découvertes et ses intuitions.

Hawking laisse derrière lui de nombreux théorèmes et théories sur les trous noirs, et plus généralement sur les singularités, ces points de l’espace et du temps prédits par la relativité générale d’Einstein, où la structure même de l’Univers est poussée à l’extrême. Facétieux comme tout Anglais qui se respecte, Stephen Hawking aimait parier avec ses confrères sur des théories physiques. Il en perdra notamment un qui touche pourtant à son sujet de prédilection, les trous noirs. Dans les années 1970, il est en effet l’un des premiers à théoriser ces objets si massifs que rien ne peut s’en échapper, même la lumière. Cependant, il y a une nuance, qui ne paie pas de mine aux yeux du grand public, mais qui est capitale pour les physiciens : restait à savoir si l’information qui est contenue dans ce que le trou noir absorbe est définitivement perdue, broyée, ou au contraire subsiste toujours, Hawking étant partisan d’une destruction complète.

Relativité générale versus mécanique quantique

Derrière ce débat d’experts se cache l’un des enjeux majeurs de la physique actuelle, celui de l’opposition entre la relativité générale d’Einstein, et la mécanique quantique. Les deux modèles décrivent admirablement bien l’Univers à leur échelle. Quand la relativité générale explique l’infiniment grand, la mécanique quantique décrit l’infiniment petit. Mais voilà, les physiciens se heurtent à un mur, il est impossible de faire se rejoindre ces deux modèles. Par exemple, pour revenir à notre trou noir, l’hypothèse tenue par Hawking est en accord avec la relativité générale : tout ce que gobe ce gargantua céleste est détruit à jamais. Or, la mécanique quantique dit l’inverse : pour elle, tout événement peut-être « rejoué » à l’envers. En clair, on peut déduire d’un produit final ses conditions initiales. Cela signifie donc que le trou noir doit garder quelque part l’information des objets qui lui sont tombés dedans. C’est pointu, mais les physiciens, dont Hawking, se sont écharpés pendant un quart de siècle sur cette question, car l’enjeu est de taille : réunir enfin les deux grandes théories décrivant l’univers. Finalement, après toutes ces années à défendre son point de vue, Hawking changera d’avis sur les trous noirs en 2004, perdant du même coup l’encyclopédie qu’il avait pariée avec son collègue John Preskill. Son revirement a étonné les physiciens, mais comme disait de lui son ancien élève et collègue, le physicien Gary Gibbons : « sa façon de faire de la science est ainsi. Il propose une théorie et la défend jusqu’à la dernière énergie, jusqu’à ce qu’elle soit renversée par un meilleur raisonnement ».

Sa renommée internationale, aussi bien auprès du monde de la recherche qu’auprès du grand public en fait un personnage à part. Un film biographique lui sera même consacré en 2014, Une merveilleuse histoire du temps, qui rencontrera un grand succès mondial, offrant par la même occasion un Oscar à Eddie Redmayne, qui joue son rôle. Fan lui-même de science-fiction, et notamment de Star Trek, Stephen Hawking apparaîtra même dans un épisode ! Car au fil des ans, il est devenu une référence culturelle : de nombreux clins d’oeil lui sont adressés dans des séries télés, des livres, et même des jeux vidéo. Le temps passant, Stephen Hawking profite de cette popularité pour continuer d’écrire et de publier – notamment une trilogie de livres pour enfants écrits avec sa fille – et pour prendre part au débat public et politique. Ses sujets de réflexion hors sciences sont variés : de sa critique de la politique israélienne envers l’Autorité palestinienne, à ses mises en garde contre les dangers à terme des intelligences artificielles, les tribunes de Stephen Hawking auront jusqu’au bout eu une place de choix dans les publications généralistes du monde entier.

En 2009, Hawking a quitté la prestigieuse Lucasian Chair of Mathematics à l’université de Cambridge. Il avait atteint la limite d’âge. Cette chaire n’est pas n’importe laquelle : elle a été occupée par de grands noms de la physique, des personnes dont le travail a profondément changé notre perception et notre compréhension du monde, Isaac Newton et Paul Dirac.

rfi