Les Etats-Unis inaugurent ce lundi 14 mai leur ambassade à Jérusalem. C’est la concrétisation de la reconnaissance officielle par les Américains de la ville sainte comme capitale d’Israël. Cette décision, annoncée par Donald Trump le 6 décembre 2017, suscite la réprobation de la communauté internationale et est susceptible d’alimenter les très vives tensions déjà en cours dans la région. Joseph Bahout, chercheur au Carnegie Endowment for International Peace, répond aux questions de RFI sur ce dossier sensible.
RFI : Comment analyser cette décision de déménager l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem ?
Joseph Bahout : C’était une décision prévue dans le programme électoral [de Donald Trump], c’était une promesse qu’il avait faite. Donc il ne fait que concrétiser cette promesse. Ce qui est intéressant, c’est que la date d’ouverture de l’ambassade est très symbolique, puisqu’elle coïncide avec la proclamation de l’Etat d’Israël, le 14 mai 1948. Donc il y a là une reconnaissance de la fin de la construction de la frontière israélienne.
Pourquoi il le fait maintenant ? Je pense que cela correspond d’abord au fait qu’il prétend avoir une offre qu’il appelle le « deal du siècle », c’est-à-dire une offre qui vise à mettre fin à ce conflit israélo-arabe qui dure depuis plus de 70 ans. Mais quand on regarde de plus près, cette offre de résolution du conflit, c’est une offre de liquidation de la question palestinienne dans le sens où, en acceptant le transfert de la capitale israélienne à Jérusalem, officiellement, en le sanctionnant du point de vue américain, c’est une sorte d’enterrement de la solution des deux États. C’est-à-dire la fin du logiciel sur lequel tout le processus de paix depuis le début a reposé.
Alors tout cela se fait sur le fond bien entendu de violences potentielles, puisque le Hamas reste l’acteur du refus dans cette affaire-là et que les choses sont loin d’être acceptées par la partie palestinienne.
Cela veut-il dire que les Américains ne sont plus crédibles en tant qu’intermédiaires dans ce soi-disant processus de paix ?
Si l’on veut être vraiment concret, les Etats-Unis ont perdu quand même leur rôle de « honest broker » depuis un certain moment. D’abord parce que Barack Obama, il faut le dire, n’a pas fait grand-chose sur cette question palestinienne et a préféré se concentrer sur la question iranienne. John Kerry avait essayé de faire quelque chose et il s’est très vite heurté au mur israélien. Et puis les tentatives se sont arrêtées ici. Donc il n’y a plus vraiment de rôle actif de la médiation américaine.
La question est de savoir maintenant s’il y aura toujours un processus de paix. Quel sera le rôle des Etats-Unis, quel sera le rôle de la communauté internationale ? Et il faut bien aussi souligner qu’il y a un nouvel acteur dans cette région dont on parle très peu, qui devient de plus en plus puissant et qui a prétention à se prononcer sur des questions comme celle-là, qui est la Russie, avec un logiciel politique dont on ne connaît pas grand-chose encore à ce niveau.
Ce déplacement d’ambassade, cette reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, devrait gêner, y compris les Saoudiens. Ça ne met pas à mal ses alliances dans les pays arabes ?
La réaction du Golfe – Saoudiens, Emiratis, etc – est vraiment en dessous du seuil minimal, même verbal, qui serait satisfaisant pour les Palestiniens. Il suffit de relire les déclarations du prince héritier, Mohammed ben Salman, lors de sa visite quand même très marquante aux Etats-Unis ; son interview dans The Atlantic dans lequel il dit : « Il faudrait que les Palestiniens acceptent ce qui leur est proposé, ou la bouclent. » Il le dit de cette façon, en anglais, « shut up ». Donc je crois qu’il n’y a plus rien à attendre de ce que l’on appelle l’ordre officiel arabe en soutien aux Palestiniens.
Les Etats arabes qui sont supposés être les soutiens de la question palestinienne ne le sont plus et bradent cette question pour des intérêts qui sont tout inférieurs, que ce soit des intérêts de survie de leur propre régime, ou ce qu’ils perçoivent être la menace iranienne qu’ils veulent contrer à tout prix.
Croyez-vous au plan dont nous parle Donald Trump? En quoi pourrait-il consister ?
On l’a dit tout à l’heure, ce n’est pas un plan de résolution de la question israélo-palestinienne ou israélo-arabe. C’est un plan de liquidation de la cause palestinienne. C’est l’idée de dire : « Voilà vous avez tout perdu, maintenant il faut vous satisfaire d’un lot de satisfaction minimale », c’est-à-dire une sorte de bourgade dans la banlieue de Jérusalem comme capitale d’un Etat qui, en fait, est un Etat fantomatique et famélique. Donc en fait, c’est une acceptation de la défaite totale, de la reddition.
Le problème, c’est que la diplomatie américaine, tout comme la partie israélienne, ne trouve pas de liquidateur palestinien. C’est-à-dire que même le Palestinien le plus à même de vouloir faire des compromis, comme Mahmoud Abbas, ne peut pas faire avaler cela à son peuple. Donc il y aura un vrai problème à trouver le signataire de cette liquidation, qui est en fait l’autre nom du plan de paix que Jared Kushner propose et qui, malheureusement, est accepté aujourd’hui, vaille que vaille, implicitement, par l’ensemble des dirigeants du monde arabe.
Je crois que ce qui est important dans cette affaire, ce n’est pas le transfert de l’ambassade, c’est qu’au fond, la partie américaine s’aligne complètement sur le logiciel israélien, que ce soit en termes de processus de paix, mais aussi [sur] la question iranienne et d’autres questions encore. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, il y a pratiquement une adéquation totale entre la position américaine et les positions israéliennes sur l’ensemble des questions régionales.
rfi