Léa Buet: « Il y a un potentiel énorme en MMA au Sénégal »

La judokate naturalisée sénégalaise est pleinement investie dans le développement des sports de combat, et plus particulièrement du MMA, dans le pays qui l’a adoptée il y a quelques années. Pour RFI, Léa Buet, qui co-organise le prochain combat de Serigne Ousmane Dia dit Bombardier, revient sur son parcours et ses objectifs au Sénégal.

A 29 ans, Léa Buet est une jeune retraitée à la vie déjà bien remplie. Et c’est loin d’être fini. Après de longues années sur les tatamis, la désormais ex-judokate (-57 kilos) préside l’association Adjimé MMA Events, qu’elle a créée, et qui développe des écoles de sport au Sénégal. Née française au sein d’une famille très liée au continent africain, la combattante a parcouru le monde jusqu’à poser ses valises dans le pays des lions en 2012. Elle en adopta la nationalité trois ans plus tard et en porta les couleurs lors des Championnats d’Afrique et des Jeux Africains la même année.

Depuis presque deux ans, Léa Buet s’investit pleinement dans son association et dans le développement des sports de combat au Sénégal, plus particulièrement du « Mixed martial arts », mieux connu sous l’appellation MMA (arts martiaux mixtes). Elle est d’ailleurs à la manœuvre pour l’organisation du prochain combat de Serigne Ousmane Dia, le fameux lutteur que l’on connaît sous le surnom de Bombardier, contre le Polonais Wojciech Bulinski.

Le choc était prévu pour ce mois de décembre 2018, mais il a dû être reporté. Un simple contretemps, assure la présidente d’Adjimé MMA Events. « C’est en bonne voie », nous confie-t-elle. Si tout se déroule comme prévu, Bombardier-Bulinski se tiendra en avril 2019, afin de ne pas interférer avec l’élection présidentielle au Sénégal (premier tour dimanche 24 février 2019). En attendant, Léa Buet se confie à RFI.

Léa Buet organise le combat de MMA du Sénégalais Bombardier face au Polonais Wojciech Bulinski.Courtesy of Adjimé MMA Events

RFI: Léa, vous allez organiser le combat Bombardier-Bulinski en MMA. Quels sont vos autres projets, vos autres perspectives ?

Déjà, de renforcer les structures de combat déjà existantes. Malheureusement, on a des fédérations qui n’ont pas forcément les moyens financiers ou ce qu’il faut pour appuyer et soutenir ces structures, surtout en régions. Le but est de pouvoir leur apporter d’autres outils pour leur permettre de s’autonomiser, de valoriser leurs clubs, de s’améliorer et de se professionnaliser par la suite. Pour tout dire, il y a des espaces où les gens pratiquent sans kimono, parfois sans tatamis ou avec des tatamis très dégradés… On s’efforce de soutenir les gens présents.

Au niveau du MMA, c’est une première. Et comme toutes premières, c’est compliqué. Il n’y a pas de fédération. On a rencontré le ministre des Sports, M. Matar Ba, qui a dit nous soutenir concernant la défiscalisation du matériel. On a dû faire face à des imprévus malgré notre préparation. On s’y fait, on essaye de dépasser ça. Cela nous a aussi permis de lier des contacts avec d’autres ministères qui ont besoin de soutien en formation aux sports de combat. Nous sommes toujours en négociations, donc je resterai discrète. C’est sur une très bonne voie.

La cage ne sera pas que pour un seul combat. La priorité est d’organiser un premier bon combat. On va aussi adapter le MMA à notre réalité au niveau du Sénégal et amener une nouvelle dynamique dans l’organisation des événements. De nombreux artistes seront présents. Il y aura plein de choses extérieures qui vont amener un réel spectacle au-delà du combat.

Bombardier est un grand champion, ancien roi des arènes qui a obtenu deux fois la couronne. Il est connu et reconnu. Il s’est déjà extrêmement engagé en MMA, parfois à ses dépens à ses débuts. Je vois, depuis 2012 et mon arrivée au Sénégal, le potentiel énorme en termes de futurs professionnels ou de futurs champions. Le MMA rallie tout ça et peut permettre de créer une économie qui nous permettrait d’être indépendants.

Y aura-t-il d’autres combats autour de celui entre Bombardier et Bulinski ?

On va faire venir des combattants de l’extérieur. Nous sommes en discussions avec Mamady Ndiaye, un champion de lutte gréco-romaine. Cela fait déjà un an et demi qu’il s’entraîne et suit des stages en France en MMA. Plusieurs autres combattants ont frappé à la porte. Bombardier, c’est la tête d’affiche. On aura six autres combats en amont. Il n’y aura pas que des lutteurs. Certains combattants viennent de la boxe thaï, d’autres de divers sports de combat.

Le MMA est devenu une discipline à part entière il y a quelques années seulement. Au début, et jusque dans les années 2000, le MMA, c’était le champion de karaté face au champion de judo, le champion du ju-jitsu qui rencontrait le champion de boxe… C’était arts martiaux contre arts martiaux pour savoir lequel était au-dessus avec des règles unifiées. Ce n’est que depuis que l’UFC a explosé mondialement que c’est devenu un sport à part entière et que les gens se forment au MMA directement, sans passer par un autre sport.

Les combattants seront novices en MMA mais ils ont juste à apprendre les règles unifiées. Après, en fonction d’où il arrive, chacun devra se développer, en frappe déjà, ce qui est très important en lutte. Mais le Sénégal est un pays de lutte déjà, donc ça ne devrait pas vraiment poser de problème. Il va surtout falloir travailler en ju-jitsu brésilien au sol. On n’en n’a pas l’habitude. Le ju-jitsu brésilien se développe déjà au Sénégal depuis 2012.

Pourquoi avoir choisir de vous investir ainsi dans le MMA, vous qui êtes une ancienne judokate ?

La première raison est que nous n’avons pas réussi à le faire avec le milieu associatif, malgré nos efforts. On a développé des centaines de clubs au Sénégal, j’ai accompagné des dizaines d’athlètes de haut niveau dans leurs carrières, tout ça à mes dépens personnels. Je ne suis pas née avec une cuillère en or dans la bouche. Je ne souhaite pas juste apporter de quoi pouvoir pratiquer, mais de quoi pouvoir se créer un emploi derrière, se créer des opportunités.

Le sport est aussi une économie, un business. Je ne vois pas pourquoi on aurait des champions qui ne pourraient même pas s’entraîner, manger ou dormir convenablement alors qu’ils ont des potentiels fous. Si on ne peut même pas se payer un thieb et dormir correctement, comment pourrait-on porter un drapeau ? Il y a un aspect business mais aussi la passion du sport. Je viens du judo mais je suis une passionnée de sport en général.

Comment une Française se retrouve sous les couleurs du Sénégal ? Comment cela s’est fait ?

Aujourd’hui, beaucoup d’athlètes font de même dans différents pays. Des handballeurs avec Israël, des judokas en Belgique, des rugbymen sous d’autres couleurs… Pour certains, il s’agit d’opportunités, pour d’autres, il s’agit d’un chemin de vie qui les a menés là. J’ai arrêté ma carrière très tôt. J’ai été athlète internationale jeune. Je ne pouvais pas continuer ma carrière en France car il fallait que je travaille. Je ne pouvais pas continuer car même ici dans le judo, à part Teddy Riner ou Clarisse Agbegnenou, très peu gagnent leur vie en équipe de France. On doit faire des choix. J’ai aussi eu de nombreuses blessures. A un moment, je cumulais blessures, travail et entraînement. Je suis passée par cinq opérations en cinq ans car mon corps lâchait. Je ne dormais que quatre ou cinq heures par nuit pour pouvoir m’entraîner.

J’ai dû faire des choix. La vie, pour d’autres raisons et alors que j’avais déjà arrêté ma carrière, m’a mené jusqu’au Sénégal. Mon meilleur ami Yann Blanchet, avec qui j’ai organisé des événements et qui est aujourd’hui malheureusement décédé, m’a amené au Sénégal en 2012. Je suis tombée amoureuse du pays et j’ai décelé un potentiel énorme. Le sport m’a donné des ailes. Cela ne m’a peut-être pas permis d’être championne du monde mais cela m’a permis de m’en sortir très correctement. Ce que je suis aujourd’hui, c’est le Sénégal qui me l’a apporté en grande partie. Je ne veux pas que ce soit vu comme « l’extérieur » qui apporte quoi que ce soit. La richesse du Sénégal m’a donné envie de transmettre et d’aller plus loin. C’était aussi une volonté de briser les codes. On a vu de nombreux sportifs devoir quitter le Sénégal. La meilleure manière d’aider le sport sénégalais, aujourd’hui, c’est d’aider les sportifs sénégalais chez eux.

Vous avez quelques anecdotes à nous raconter ?

Il y en a une qui m’a marquée. C’était lorsque j’ai pris le bronze aux Jeux Africains de 2015 au Congo-Brazzaville. L’atmosphère était un peu tendue. J’étais la Blanche avec écrit en gros SENEGAL dans le dos. Dans un premier temps, j’ai été huée. Ça a été un choc, c’était la première fois que je vivais ça. Le footballeur Mario Balotelli s’est déjà fait huer parce qu’il est noir. Moi, j’étais huée parce que je suis blanche, pour tout ce que je peux représenter – et je peux le comprendre. En fin de compte, lors de mon combat pour la troisième place, le public m’a boosté, m’a applaudi et s’est levé au moment où j’ai pris le bronze. Ça, ça m’a marqué. On se rend compte que le sport peut dépasser les a priori.

Autre chose aussi : aux Championnats du monde en 2015, j’étais sans dossard et sans coach à cause d’un oubli de la direction technique. Cela a contribué malheureusement à ma décision de stopper ma carrière. A mes yeux, je n’ai pas pu faire de carrière au Sénégal. Il y a une exploitation des compétences et de la volonté des athlètes, encore aujourd’hui. Mon franc-parler a dû jouer aussi. Je préfère continuer à être moi-même et à faire avancer les choses pour les athlètes plutôt que de donner toute mon énergie sur une carrière qui vire à la défaite dès les premiers engagements.

Comment est perçue la présence d’une femme qui vient de France dans le milieu des sports de combat ? Comment sentez-vous les regards sur vous ?

Al hamdoulillah ! C’est ce qui fait ma force encore aujourd’hui ! Je suis extrêmement soutenue. Les actions parlent d’elles-mêmes. Mes paroles ne plaisent pas à tout le monde, je peux le comprendre, mais je n’ai rien à me reprocher. Je peux me regarder dans une glace tous les matins. Je ne pense pas être une intruse, car aujourd’hui, les frontières sont ouvertes. J’ai fait un choix de vie qui a été accepté. Je me bats depuis longtemps pour l’acceptation de la différence. Je suis née là-dedans. Mes parents travaillaient sur des projets de Sankara autour du développement de l’agriculture autonome. Mes grands-parents étaient contre la colonisation et la combattait. Je ne suis peut-être qu’une suite logique.

 

Rfi