L’échange de prisonniers avec les séparatistes prorusses fait débat en Ukraine

Lors d’un échange massif de plus de 200 prisonniers avec les séparatistes pro-russes, l’Ukraine a vu le retour de 76 des siens, mais elle a payé pour cela très cher, en incluant dans la transaction cinq officiers Berkout, présumés responsables de la mort de plusieurs dizaines de manifestants lors de la révolution de Maïdan. Volodymyr Zelenskiy va devoir faire accepter ce sacrifice lourd à son opinion publique.

Avec notre correspondant à Kiev, Stéphane Siohan

Si un Ukrainien a une sensibilité particulière en matière de détention, c’est bien Oleg Sentsov, le cinéaste, qui vient de passer plus de cinq ans dans une prison russe.

Libéré en septembre, Oleg Sentsov est désormais un commentateur très écouté, et s’il semblait jusqu’ici donner un certain crédit à Volodymyr Zelenskiy, Sentsov s’est montré dimanche très critique sur la manière dont l’échange de prisonniers s’est déroulé.

Comme de nombreux Ukrainiens, le cinéaste ne comprend pas qu’on ait pu lâcher dans la nature les fameux Berkout, des ex-policiers soupçonnés de crimes qui n’ont absolument rien à voir, légalement, avec la guerre du Donbass.

l déplore aussi que pas un seul prisonnier originaire de Crimée n’ai été inclus dans l’échange, et enfin une très forte disproportion la partie ukrainienne ayant libéré quasiment deux fois plus de détenus que les séparatistes.

De manière générale, dans l’opinion publique, un fossé se creuse, entre ceux qui se contentent de saluer une décision humanitaire, nécessaire, et ceux qui estiment que Kiev a capitulé aux conditions imposées par la Russie.

Le risque qu’il prend [Volodymyr Zelenskiy] est de passer quasiment pour un traître à la patrie. Il faut bien avoir en tête qu’en Ukraine, la Russie de Vladimir Poutine est le mal absolu. Et que négocier, discuter, trouver des accords, des compromis, c’est quasiment trahir la cause ukrainienne.

Concrétisation du dernier sommet de Paris

Si tous les prisonniers ne sont pas libres et beaucoup reste à faire pour mettre en œuvre l’intégralité des accords de Minsk, cet échange a le mérite de mettre fin à deux années de blocage complet. Pour l’heure, les autorités russes se gardent de commenter la nouvelle, de peur de faire de l’ombre aux représentants de Donetsk et de Lougansk qui étaient directement impliqués dans ces négociations, rapporte notre correspondant à Moscou, Jean-Didier Revoin.

Cet échange est en tout cas la traduction directe des engagements pris à Paris, début décembre par les présidents russe et ukrainien. Preuve que les parties ont non seulement renoué le dialogue mais qu’elles recommencent aussi à se faire confiance. Si Kiev et les séparatistes ne se parlent pas, on voit mal comment l’organisation d’élections dans le Donbass sera possible. Mais avant d’en arriver là, de nombreuses étapes sont encore nécessaires et les prochains mois seront déterminants.

Car si un nouveau sommet est déjà prévu en 2020 pour renforcer la desescalade entre Moscou et Kiev, de nombreux contentieux doivent encore être réglés pour envisager une paix durable dans la région.

Pour établir une paix durable, il faut trouver une solution à la guerre du gaz et à la position de transit que le système gazier ukrainien a pour le système russe. (…) Un deuxième élément sera également un compromis sur le statut de la mer d’Azov, considérée par les Russes comme une mer intérieure et considérée par les Ukrainiens comme une mer internationale. Enfin, la question de la Crimée empêchera très durablement un réchauffement et une coopération entre les deux pays.

Cyrille Bret
maître de conférence à Sciences-Po Paris

rfi