Les étudiants de Wuhan alertent: « Si on meurt ici, c’est l’État qui en est responsable »

ce lundi 4 février 2020, par Macky Sall à propos de la demande de rapatriement d’étudiants bloqués en Chine, ont suscité une vague d’indignation. Outre la volonté de leurs parents réunis au sein d’un collectif d’organiser une conférence de presse, ce mercredi, deux des concernés ont brisé le silence. Il s’agit de Babacar Kane et de Ibrahima Niang. Leurs plaintes constituent une parfaite illustration de la frustration qui les a animés après avoir entendu les paroles du président Sall.

Joint par Dakaractu, par téléphone, ils ont exprimé leur dépit. M. Kane, lui, n’a pas mâché ses mots pour dire toute la peine qu’il a d’entendre de tels dires de la bouche du président de la République. Il a pesté contre l’État qui évoque un problème de moyens pour venir en aide à ses fils alors que la Mauritanie, sensible au sort de ses ressortissants, a fait les pieds et les mains jusqu’à en faire sortir 4 de Wuhan.

‘’Le président Macky Sall a fait une déclaration pour dire que le Sénégal n’a pas un bon plateau médical pour accueillir les 11 Sénégalais. Cela est honteux. Les Mauritaniens ont été embarqués dimanche dernier. Ils n’étaient que 4, avec des libyens, des Algériens, des Tunisiens, des Marocains. Tous des Maghrébins. C’est l’Algérie qui a accueilli ce vol en provenance de la Chine. Et c’est là-bas où ils vont passer la quarantaine pendant les 14 jours d’isolement. Ensuite chacun d’eux pourra rentrer dans son pays. Quant au Sénégal … Non ! (il n’a pas continué sa phrase. Une petite pause puis il continue). Moi, je ne comprends plus quoi ! Nous envisageons d’initier une conférence de presse dans les jours à venir pour informer tout le monde que notre président est un irresponsable. Parce que c’est honteux. Un président qui voyage avec son avion personnel et qui se permet de dire que le Sénégal n’a pas les moyens de nous évacuer ! ah non !’’, a dit l’étudiant en haussant le ton.

‘’Si on meurt ici, c’est l’État qui en est responsable’’

Une attitude compréhensible au vu de l’inertie de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest. Une occasion de se demander qu’est-ce qui a empêché les pays membres de la Cedeao à l’union de leurs forces pour réunir les moyens nécessaires pour le rapatriement de leurs ressortissants ? Pourquoi n’avoir pas fédéré leurs forces pour voir comment trouver une solution ? Autant de questions qui tarderont à trouver une réponse.

Au même moment, son camarade Ibrahima Niang, lui dit se ‘’nourrir, toujours, d’espoir que l’État va finir par leur tendre la perche. Ingénieur polytechnicien, résidant à Wuhan, il a confié que la réaction du président Macky Sall, suite à la demande de rapatriement est ‘’une surprise totale. Je ne crois pas qu’une affaire de manque de moyens logistiques soit une excuse valable pour ne pas mettre en sécurité des Sénégalais en difficulté. Cela m’a brisé le cœur. Et je n’arrive toujours pas à croire que c’est lui qui a prononcé ce discours’’, dit-il dépité. Cependant, il dit ne pas perdre espoir. ‘’Je suis toujours confiant qu’il changera d’avis. Car, il doit sauver nos vies. Mais, c’est vraiment triste’’. Il s’interroge même pour savoir, ‘’quel est l’intérêt d’être Sénégalais alors ?’’

B. Kane, lui est d’avis que le président Macky Sall n’est pas très bien informé de leur situation ni de leur effectif. ‘’Le secrétaire de Moïse Sarr a dit des contrevérités. Il a fait croire qu’il n’y a que deux Sénégalais qui réclament le rapatriement. Ce qui est quasiment faux ! Nous (les 11 personnes qui sont ici dont moi-même) voulons tous le rapatriement au Sénégal. Au début nous étions 13. Il y avait une sénégalo-gabonaise. C’est la 12e. Mais, elle ne veut pas prendre de risques pour retourner au pays. Elle dit attendre que son gouvernement fasse des démarches l’autorisant à se rendre au Sénégal, en cas de rapatriement. Le 13e est un Sénégalo-Congolais. Lui, il a désisté et a préféré rester. Donc, nous les 11 Sénégalais restants sommes tous décidés et déterminés à rentrer au pays. Nous ne comptons pas abandonner le combat. Mais, si on meurt ici, c’est l’État qui en est responsable. Il est responsable quoi qu’il arrive. Il y a des ministres, c’est le cas de Aly Ngouille Ndiaye, il nous a contacté. On lui a décrit toute la situation dans laquelle nous vivons ici’’.

‘’Comme aucun de leurs enfants n’est confronté à cette menace, ils …’’

Malheureusement, poursuit-il, avec regret, ‘’comme aucun de leurs enfants n’est confronté à cette menace, ils ne nous considèrent même pas comme des êtres vivants. Nous avons même honte de dire que nous sommes des Sénégalais. Franchement, avec cette histoire, je ne me sens plus fier d’être un Sénégalais’’, a dit l’étudiant en année de Licence en Chine avant de peindre une situation s’aggravant de jour en jour. ‘’Ça commence à être difficile pour nous. C’est devenu très difficile. Parce que les autorités chinoises ont commencé à fermer les issues de sortie. Donc, on n’a même pas la possibilité de sortir par nos moyens propres. En ce moment, seul l’État peut nous évacuer d’ici. Si nos moyens nous le permettaient, on n’en serait pas là, en ce moment’’, a-t-il dit.

Concernant l’argent que le président dit leur avoir offert, il précise : ‘’ce n’est que 1 000 dollars (600 000 F environ). Et c’était juste pour acheter notre silence. Mais, nous leur avions bien dit, au début, qu’on ne voulait ni argent ni nourriture. Et que la seule chose que nous n’avons cessé de réclamer, c’est notre rapatriement. Ce qui nous préoccupe, c’est de sauver nos vies. Nous n’avons pas besoin de ces 1 000 dollars de l’État. Ils n’ont qu’à les offrir à nos compatriotes dans le besoin. Je n’ai pas besoin de cet argent qui, présentement, ne m’est d’aucune utilité. Je ne suis pas du nombre de ces personnes qui saluent ce soutien financier. Tout simplement, parce qu’on n’en a pas besoin. Ce qui nous intéresse le plus et qui nous préoccupe, c’est notre évacuation d’urgence comme l’ont été les étrangers dans ce pays. Si la Mauritanie, le Maroc, la Tunisie etc. l’ont fait, ainsi que la France qui a pu rapatrier pas mal d’étrangers, pourquoi pas les Sénégalais ?’’, se demande M. Kane.

‘’Les propos de Macky Sall m’ont brisé le cœur’’

‘’Qu’on se dise la vérité, c’est parce que leurs enfants ne sont pas confrontés à la menace. Si le fils de Aly Ngouille Ndiaye ou celui du président Macky Sall était parmi nous, l’État allait affréter un charter pour venir les chercher ici. Mais nous, nous sommes des fils de pauvres, nous les ‘’domu badolo’’, c’est pourquoi ils ne lèvent pas le plus petit doigt. Mais, avec un président qui ose faire un tel discours, j’estime que c’est honteux ! En tout cas, là où je parle, nous ne sommes pas fiers d’être des Sénégalais. Je regrette d’être un Sénégalais, à cause de lui, Wal’Allahi. Le problème est que dans le discours du président, on l’a entendu dire qu’il faut qu’il y ait un dispositif et un personnel médical … Mais, qui lui a dit que nous sommes affectés ? Nous sommes en quarantaine depuis plus de 10 jours. Nous considérons que si on était malade, les signes cliniques allaient apparaître. Nous voulons que nos concitoyens sachent également nous ne sommes pas malades. Nous sommes en parfait état de santé. Mais nous sommes juste préoccupés par notre sort. Nous voulons juste que nos autorités nous rapatrient pour sauver nos vies’’.

Il a précisé que le menace est à leurs portes. ‘’Nous avons constaté que la situation empire de jour en jour. Si nous étions malades, nous n’allions pas demander à être évacués. Nous serions alors résignés à rester à Wuhan jusqu’à ce que le destin s’accomplisse. Il ne faut pas croire que nous avons attrapé le coronavirus. Ce n’est pas le cas. Nous sommes bien portants. Et c’est pourquoi nous continuons de réclamer notre rapatriement’’.

‘’Si nous étions malades, nous n’allions pas demander à être évacués, nous serions alors résignés à rester à Wuhan’’

L’étudiant de 3e année regrette le comportement de l’État face à leur sort. ‘Il faut être là où nous en sommes pour avoir une idée de l’ampleur de la situation. Nos parents ont perdu l’appétit et le sommeil à cause de la menace qui nous guette. Le président Macky Sall, lui, entouré de ses collaborateurs, a le droit de dire ce qu’il veut.

Mais si un de ses enfants était en train de vivre le même cauchemar que nous, en ce moment, il comprendrait alors ce à quoi nous sommes confrontés. Pour finir, nous voulons que les autorités étatiques sachent que nous ne sommes pas prêts à lâcher prise. Nous allons nous battre et faire tout ce qui est de notre possibilité pour nous tirer d’affaire’’, promet-il.