«L’hôpital sénégalais dispose de 681 lits disponibles pour le Covid-19 et 701 à libérer dans 15 jours»

En entrant dans le Top 10 des pays où la progression de la contamination (Coronavirus) est la plus rapide, le Sénégal soulève des inquiétudes quant à la capacité technique de son hôpital à faire face. Nombre de lits disponibles, capacité en respirateurs, centres de traitement… Autant de sujets qui préocupent et qui, ici, trouvent leur réponse en la personne ressource du ministère de la Santé. Amad Diouf est ingénieur et directeur des Infrastructures, des équipements et de la maintenance au Msas.

Depuis le début de l’épidémie à Coronavirus, il y a eu cacophonies et controverses autour des vrais chiffres de l’hôpital sénégalais. Le ministre de la Santé parlait d’un total de 259 lits et d’une capacité de 100 autres supplémentaires dans une interview avec la Rfm en mi-mars. Dans une autre version rapportée par un autre quotidien, le directeur du Centre des opérations d’urgence sanitaire parle de 500 lits. Pouvez-vous levez l’équivoque ?

Je vais vous donner les chiffres à la date du 29 avril 2020 (l’interview a été réalisée le 30 avril) sur la capacité litière pour la prise en charge de la maladie du Covid-19. Au niveau national, nous avons 681 lits disponibles. Aujourd’hui, 450 lits sont occupés, ce qui fait un taux d’occupation de l’ordre de 62,5%. Nous disposons donc d’une réserve de 231 lits. Dans les prochains 15 jours, nous avons une prévision de 221 lits supplémentaires dont 119 à Dakar et 122 dans les régions. Dès ce lundi, on en libère une bonne partie. Ça, c’était pour les structures hospitalières. Au niveau des structures spécialisées, nous prévoyons 480 lits supplémentaires dans les 15 prochains jours. Ce qui veut dire que d’ici 2 semaines, on peut avoir 701 lits. En résumé, 681 lits disponibles et 701 à libérer dans 15 jours.

Quelles sont les structures spécialisées qui bénéficieront de ces lits ?

Nous avons déjà emménagé le hangar de Yoff pour une capacité de 100 lits et dès lundi, il recevra des malades. On va réaménager la base militaire de Thiès avec une capacité de 180 lits. Les malades pourront y être aussi internés dès ce lundi si les ressources humaines suivent. Mercredi 29 avril, nous étions à Guéréo (base militaire vers Popenguine). Nous avons identifié une capacité de 200 lits. Voilà la situation des lits pour les cas simples.

A terme, l’hôpital sénégalais devrait donc disposer de 1 382 lits pour la prise en charge des malades du Covid-19. Le bilan du Msas d’aujourd’hui est arrêté à 589 cas sous traitement, près de la moitié des lits prévus et l’on ne connaît pas encore le pic de la maladie. Ce n’est pas tenable ?

On ne peut pas être catégorique à 100% vu la propagation de la maladie. Si on ne respecte pas les mesures de sécurité édictées par le ministère, on va vers des difficultés. A ce rythme, 750 cas par jour, on peut facilement atteindre le plein. J’ai parlé des 701 lits mobilisés dès la semaine prochaine, les gens vont encore réfléchir sur d’autres stratégies de prise en charge. Mais la population doit nous aider en respectant les gestes barrières. La solution, c’est la population. Les spécialistes ont alerté depuis le début. Voyez ce qui s’est passé à Sédhiou, s’il n’y avait pas eu de déplacement, la région serait restée sans cas.

Travaillez-vous sur des hypothèses pessimistes ?

Bien sûr, c’est une règle. On a anticipé sur les 15 jours à venir, mais dès la semaine prochaine, je refais le même exercice. On va continuer à identifier d’autres structures pour rendre disponible des lits pour le ministère. Par exemple, à Fann, nous avions 12 lits au départ. Nous sommes en train de construire un centre de traitement à côté où on aura 3 modules de 12 lits. L’hôpital Fann va, à terme, avoir une capacité supplémentaire de 46 lits. Le premier module sera libéré dans 15 jours. Nous construisons avec des panneaux préfabriqués pour réduire les délais.

«Le centre de traitement de Thiès sera prêt ce lundi (…) On a même identifié des centres de traitement pour les 3 régions non touchées»
Parlons de Fann. Au départ, le ministère nous vendait 12 lits extensibles à 36. Sauf que d’après nos informations, l’hôpital ne dispose que de 12 lits tous occupés. 9 lits ont même dû être ouverts en gériatrie ?

C’est là où il faut saluer les efforts de l’Etat du Sénégal. Aucun système de santé n’était préparé à cette pandémie. Au départ, on était à 12 lits au niveau national. Mais rapidement, le ministère a mis les moyens avec la mise en œuvre de l’hôpital pédiatrique de Diamniadio qui, aujourd’hui, a une capacité de 57 malades. Deux jours après, on a mis en branle l’hôpital Dalal Jam qui a libéré beaucoup de bâtiments. Le ministère y a réceptionné hier 108 lits, ce qui donne une capacité de 216 lits à cet hôpital. Toujours dans la riposte, on a mobilisé rapidement l’Hôpital général Idrissa Pouye, Principal, Chom (Centre hospitalier de l’Ordre de Malte) et la Clinique du Golfe. Ce qui est intéressant à voir derrière les chiffres, c’est le service rendu. Cet effort fait en un temps record est à saluer. En l’espace d’un mois, on a mis aux normes plus de 6 structures sanitaires à Dakar. On a ensuite étendu à Ziguinchor, Saint-Louis, Louga. Même pour les 3 régions non touchées, nous avons identifié des centres de traitement à mettre en œuvre. 20 lits à Kédougou, 20 lits à Sédhiou et 40 lits à Matam. Nous faisons les aménagements pour ne pas être surpris.

Les 11 centres de traitement, 7 à Dakar et 4 dans les régions, sont-ils toujours d’actualité ?

Aujourd’hui, nous sommes à 17 centres de traitement au Sénégal dont 8 à Dakar. Nous avons les hôpitaux Idrissa Pouye, Principal, Dantec, Dalal Jam, Diamniadio, 2 à Fann et la Clinique du Golfe. Dans les régions, nous avons 2 à Touba (Darou Marnan et le centre modulaire), les hôpitaux régionaux de Kaolack, Tamba, Kolda, Sédhiou, Louga, Ziguinchor et Saint-louis. Au total, 9 régions, outre Dakar, sont dotées de centre de traitement. Le centre de traitement de Thiès sera prêt ce lundi.

Quels sont les capacités en lits de chaque centre ?

Principal : 17 lits. Chom : 18 lits. Fann : 21 en attendant les 3 modules. Diamniadio : 57 lits. Dalal Jam : 216 lits, cet hôpital nous offre la possibilité de prendre plus avec les efforts consentis par l’Etat. Idrissa Pouye : 26 lits. Clinique du Golfe : 40 lits. Dantec : 37 lits. Les deux sites de Touba sont à 36 lits chacun. Ziguinchor : 20 lits. Saint-Louis : 12 lits. Kaolack : 12 lits. Sédhiou : 25 lits. Tambacounda : 44 lits. Kolda : 20 lits. Louga : 20 lits. Voilà la répartition sans les projections.

On s’inquiéte de ce que ces centres sont déjà saturés ?

Certains sont à 100% d’occupation.

Lequels ?

Par exemple, la Clinique du Golfe, Sédhiou…

Fann…

Fann est déjà plein, mais Dakar a d’autres structures avec des capacités.

«Le Sénégal va s’enrichir de 4 nouveaux hôpitaux en fin décembre»
Les inquiétudes se portent aussi sur le ratio cas graves/décès. 9 morts pour 14 cas graves. Un de ces cas aurait été victime d’un manque d’appareil de réanimation. Quels sont nos capacités en lits de réanimation ?

On parle beaucoup de cas graves et de réanimation. L’autre semaine, on était à 14 cas graves avec les 2 de cette semaine, ça nous fait 16 cas graves. 9 sont décédés. Mais il faut ramener les choses à leur juste proportion. Sur près de 900 cas, nous sommes à 16 cas graves. La maladie, ce n’est pas seulement la réanimation. Les malades ont besoin d’analyses biologiques, de scanners, de laboratoires, d’échographies… A l’hôpital Fann, le scanner est utilisé, nous avons mis en place des radios mobiles numériques pour aller vers le malade. Certains centres de traitement ont mis en place des labos uniquement dédiés au Covid-19. C’est le cas de Fann, de Dalal Jam. Ça, c’est pour ne pas seulement rester dans le domaine de la réanimation, mais dans la prise en charge globale de toutes les pathologies du malade. L’autre chose, c’est effectivement la réanimation pour les cas graves. La reflexion du ministère de la Santé dès le début de l’épidémie, c’était Fann et Diamiadio. Le ministère a mis en place rapidement des respirateurs au niveau de ces deux centres. C’est pour cette raison que Fann est le centre de référence de réanimation pour Dakar et certaines régions. Actuellement, il y a un seul malade à la réanimation de Fann qui a une capacité de 14 lits. Nous avons un contexte très difficile avec la fermeture des frontières, le monopole sur les équipements… Il fallait réfléchir sur une stratégie de pôles pour les lits chauds. Fann et l’hôpital Principal sont mis à contributions pour Dakar et les régions périphériques. L’hôpital Principal a 8 lits de réanimation. Fann en a 14. Dans une semaine, la réanimation de Dalal Jam sera fonctionnelle avec 12 lits. L’Hôpital général Idrissa Pouye a une salle de réanimation avec 2 lits. Pour le moment, le nombre de service de réanimation à Dakar nous permet de prendre en charge les cas graves. Pour la zone Nord, Saint-Louis va être le pôle de la réanimation, son hôpital a 4 respirateurs, on va en utiliser 2 pour l’épidémie. A l’axe Sud, 2 respirateurs ont été livrés à Ziguinchor. On réfléchit à une possibilité de mettre Sédhiou en pôle de réanimation. Thiès dispose de 4 respirateurs et il pourra également être un pôle. Pour être plus concret, nous avons aujourd’hui, 28 lits chauds réservés uniquement au Covid-19 à Dakar : 14 à Fann, 8 à Principal, 2 à Idrissa Pouye et 4 à Diamniadio. Il y a une commande de 50 respirateurs. A terme, l’hôpital sénégalais aura 82 lits chauds.

Quel est le taux d’occupation de ces lits ?

On a deux cas graves, un à Fann et à un à Principal.

L’Ecole polytechnique de Thiès a conçu un prototype de respirateur artificiel et demande des moyens pour une production industrielle. Le ministère est-il intéressé ?

Je les remercie en passant. L’épidémie a réveillé l’innovation chez beaucoup de gens et le Sénégal n’a pas été en reste. On a vu les respirateurs artificiels, les robots… Tout cela peut être utilisé après le Covid-19. Dans le domaine du matériel médical, il y a un ensemble de processus de validations et de certifications. Je pense que c’est un début, le ministère de la Santé va accompagner ces étudiants si on doit arriver à une validation comme avec les masques. C’est quelque chose que le ministère suit avec beaucoup d’attention.

Même si la riposte de l’Etat contre le Coronavirus s’est faite très vite, le système de santé s’est quand même techniquement laissé surprendre. Qu’a-t-on appris de ces moments d’urgence ?

Le ministère n’a pas attendu l’épidémie pour travailler au relèvement du plateau technique. Nous sommes en train de construire 4 nouveaux hôpitaux en même temps. Un hôpital de 300 lits à Touba et 3 hôpitaux de 150 lits à Kaffrine, Sédhiou et Kédougou pour un montant global de 95 milliards de FCfa. D’ici fin décembre, ils seront livrés. C’est pour vous dire qu’il y a des efforts. Equipements, ressources humaines, infrastructures, tout est mis en œuvre dans ces projets pour rendre les hôpitaux opérationnels dès réception. Deuxième projet phare, c’est le Centre national d’Oncologie, un projet de plus de 43 milliards de FCfa. Les études sont terminées et l’Etat du Sénégal devrait poser la première pierre en décembre à Diamniadio.

igfm