Macron et l’Afrique (3/5): les ratés de la politique migratoire

Un an après son entrée à l’Elysée, quel bilan tirer de la politique d’Emmanuel Macron à destination de l’Afrique ? Tout au long de la semaine, RFI se penche sur la question. Retrouvez jusqu’à vendredi sur notre site un article sur le sujet. Aujourd’hui, place à la politique migratoire menée par l’exécutif. Une politique qui inquiète au sein même de la Macronie.

« Je vais être très honnête, j’ai les boules ! » En cette matinée du 24 avril, la journaliste Liz Gomis, membre du conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) a du mal à contenir sa colère. L’objet de son courroux ? Le vote, la veille au soir, de la loi asile et immigration par l’Assemblée nationale en première lecture. « Ca m’attriste profondément », confie-t-elle après avoir dénoncé un texte beaucoup trop ferme à ses yeux à l’égard des migrants.

En cause notamment : l’allongement de la durée maximale de rétention pour les immigrés en attente d’expulsion (de 45 à 90 jours) et la réduction du délai d’appel pour les déboutés. De nouvelles dispositions qui font l’objet de vives critiques au sein même de la majorité. Quatorze élus du parti présidentiel (LREM) se sont ainsi abstenus de voter la loi. Parmi eux, la députée Sonia Krimi, native de Tunis. Nadia Essayan, élue du MoDem (une composante de la majorité) a, elle, voté contre. « Née réfugiée » en Côte d’Ivoire, cette députée a dit « regretter que la position des grandes associations humanitaires n’ait pas été écoutée ».

Une politique au centre des critiques

Associations et partis de gauche dénoncent depuis des mois la politique migratoire du gouvernement. Avant le vote de la loi asile et immigration, une circulaire prise en décembre par le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, avait mis le feu aux poudres. Celle-ci entendait organiser le recensement des migrants dans les hébergements d’urgence. Les associations condamnent alors la volonté de « tri » du gouvernement entre migrants économiques et politiques. « Après les centres d’hébergement d’urgence, les forces de l’ordre visiteront-elles demain les hôpitaux, les dispensaires, les écoles ? », s’interrogent en janvier plusieurs intellectuels et syndicalistes dans une lettre ouverte publiée par Le Monde. Parmi eux, un soutien affiché du président, l’ancien Premier ministre du Bénin, Lionel Zinsou et actuel président du think thank Terra Nova. Ces cinq signataires condamnent, dans ce texte à charge, une politique n’ayant « de cesse de faire baisser la demande d’asile » en « cherchant à dissuader les candidats de venir sur notre sol ». Une ligne, jugent-ils, « en rupture avec l’humanisme que vous prônez », en semant « le poison du doute ».

La politique migratoire menée par Paris au Sahel suscite également doutes et inquiétudes. « Je pense qu’Emmanuel Macron rêvait d’installer des camps qui ne voulaient pas dire leurs noms, avance le journaliste Antoine Glaser, mais qui étaient quand même des camps de sélection des migrants dans des pays comme le Niger ». En juillet dernier, le président français annonce la création de hotspots dans la région, avant de devoir rétropédaler. L’explication ? Le Niger et le Tchad ont mis leur véto, de crainte que cela ne provoque un appel d’air. Du coup, Paris opte pour des missions d’identification sur place. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) travaillera à partir des listes établies par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR). L’objectif affiché ? Permettre la réinstallation de réfugiés africains sur le sol français.

Pour l’heure, deux de ces missions se sont déplacées au Niger et une au Tchad. Pour seulement quelques centaines de personnes accueillies. Le but : faire venir 3 000 réfugiés en provenance de ces deux pays d’ici fin 2019. Un chiffre jugé trop faible par Bénédicte Jeannerod, la directrice France de l’ONG Human Rights Watch. Cette dernière voit cependant cette initiative d’un bon œil. A condition que ce programme n’empêche pas les demandeurs d’asile qui le souhaitent de déposer directement leur demande sur le sol européen.

La France suspectée de traiter avec le Soudan

Autre axe de la politique française dans la région : la lutte contre l’immigration clandestine. Paris travaille aujourd’hui à une meilleure coopération entre les pays de la zone. « Depuis plusieurs mois, les capitales des pays d’origine sont dotées d’officiers de police judiciaire qui travaillent sur ces trafics à une échelle régionale, explique-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat. Le partage de l’information doit mener à des opérations de démantèlement des réseaux. Ça commence à produire des effets notamment au Sénégal où des opérations contre des têtes de réseaux ont pu être menées. » Mais ce type de politique ne risque-t-il pas de déstabiliser une partie de la région ? L’exemple d’Agadez (Niger) interpelle. Les populations de la ville qui vivaient de la migration se retrouvent aujourd’hui en grande difficulté depuis l’adoption d’une loi qui criminalise le trafic illicite de migrants. Une loi votée en 2016 en contrepartie d’importants financements européens.

Paris mène-t-elle en parallèle des actions moins avouables ? Le 12 avril dernier, le New York Times évoquait le cas d’un ressortissant soudanais présenté comme dissident politique du Darfour, qui aurait été expulsé de France fin 2017 avant d’être torturé à son retour à Khartoum. Une histoire d’autant plus gênante que ce demandeur d’asile affirme avoir reçu la visite en France, avant son expulsion, d’officiers de police soudanais. En septembre dernier, Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur, avait reconnu l’existence d’« une mission d’identification du Soudan », avant d’ajouter : « mais nous n’avons pas d’accord avec ce pays ». Une « mission d’identification » qui, selon le site d’information français Streepress, était composée de militaires et aurait visité au moins trois centres de rétention en France entre janvier et mars 2017. Le tout avec l’aval de Paris ! Toujours selon Streepress, la France collaborerait avec le régime soudanais depuis 2014. « Il y a des relations très étroites avec des pays comme le Soudan au niveau des services secrets, abonde le journaliste Antoine Glaser, parce que les Soudanais voient passer tous les gens qui arrivent de la corne de l’Afrique. » La France négocierait-elle alors avec le régime d’Omar el-Béchir pour qu’il bloque le passage de réfugiés ?

Pas de coopération opérationnelle avec le Soudan, assure l’Elysée

« On n’a pas de coopération opérationnelle avec le régime soudanais sur ces questions-là, répond-on dans l’entourage du président français. Avec les autorités soudanaises, il y a très peu de coopération du fait de la nature du régime soudanais. » L’Elysée explique, au contraire, être la cible régulière de Khartoum : « aujourd’hui, il y a plusieurs opposants soudanais qui sont actifs. Des représentants de l’opposition, notamment darfouri, qui font régulièrement des réunions politiques, voir des manifestations. Tout cela nous créée des récriminations permanentes de la part des services soudanais sur le mode « que faites-vous face à ces criminels ? » » Conclusion d’une source élyséenne : « on est plus dans une relation de tension avec les services soudanais que dans une phase coopération opérationnelle. » Quant à la venue d’officiels soudanais sur le sol français pour identifier des migrants, l’entourage d’Emmanuel Macron balaie l’accusation d’un revers de main : « là, on est dans le fantasme… » Pourquoi le ministre de l’Intérieur a-t-il alors évoqué en septembre l’existence d’« une mission d’identification du Soudan » en France ?

 

RFI