Maman Sambo Sidikou, secrétaire permanent de la force conjointe anti-jihadiste G5 Sahel, a participé le 18 juin à Bruxelles au suivi de la Conférence internationale de haut niveau sur le Sahel qui s’était tenue en février dernier. Dans un entretien accordé à RFI en marge de la réunion bruxelloise, le diplomate d’origine nigérienne revient sur le bilan d’un an d’existence de cette force multinationale qu’il dirige. Pour lui, la sécurisation de la zone sahélo-saharienne ne peut pas être uniquement militaire, elle passe aussi par le développement économique et culturel de la région. Entretien.
RFI : Recevant en début juin à l’Elysée Mahamadou Issoufou, le président en exercice du G5 Sahel, le chef d’Etat français Emmanuel Macron déclarait que le chemin parcouru par la force conjointe était « satisfaisant », alors qu’en même temps le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, affirmait que la mise en place du G5 Sahel « ne progresse pas à la vitesse requise ». Ces deux affirmations semblent contradictoires. Où en est réellement le déploiement des contingents de la force militaire du G5 Sahel ?
Maman Samba Sidikou : Nous avons bien progressé dans la mise sur pied de la force conjointe du G5 Sahel. En effet, depuis la décision prise l’année dernière, par les cinq chefs d’États des pays membres de notre organisation [Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad, NDLR], de créer une force spéciale commune chargée de combattre la grande criminalité transfrontalière dont le narcotrafic et les groupes armés terroristes qui sèment la terreur dans la région du Sahel, le déploiement des 5 000 soldats composant cette force est complété à près de 90%.
En tenant les propos auxquels vous faites allusion, le secrétaire général de l’ONU mettait plutôt l’accent sur les difficultés à réunir rapidement les moyens, notamment financiers pourtant promis par la communauté internationale, pour soutenir la mise en place de la force et son fonctionnement efficace. C’est clair qu’il persiste un important déficit à ce niveau, malgré quelques récents efforts pour débloquer des fonds de la part essentiellement de l’Arabie saoudite (100 millions d’euros), de l’Union européenne (100 millions d’euros), du Rwanda (1 million d’euros), de l’UEMOA (1 million de dollars) et incessamment du Maroc (montant non communiqué). Nous travaillons donc à boucler notre budget, mais le bilan pour cette première année en quelques mois à peine reste globalement positif.
Comment se sont déroulées les opérations engagées jusqu’ici par la force G5 Sahel ?
Trois opérations sur le terrain ont déjà été menées dont « Haw Bi » (« Vache noire » en langue songhaï – novembre 2017) et « Pagnali » (« tonnerre » en langue peul – février 2018). Elles ont confirmé la capacité opérationnelle de notre force régionale, avec des acquis incluant une bonne maîtrise et un bon fonctionnement du réseau des transmissions militaires, la sécurisation de la zone transfrontalière qui est le théâtre de ces opérations, la bonne coordination entre équipages à bord des avions de combat et les troupes au sol, une meilleure connaissance du terrain par nos soldats. De plus en plus aguerris, les contingents nationaux seront plus facilement déployables. Mieux formés et plus disposés à coopérer, les officiers des postes de commandement de Sévaré et Niamey qui sont issus des contingents de nos cinq États travaillent désormais selon un Concept d’opération (CONOPS) élaboré ensemble. Depuis la chute de l’empire du Songhaï(1591), notre région n’a jamais connu de coopération interarmées si prometteuse.
Présentant son rapport en mars dernier devant le Conseil de sécurité, António Guterres demandait à la communauté internationale de donner à la force conjointe un mandat fort. C’était aussi le sens de votre intervention à l’ONU en mai dernier. Quel serait le contenu de ce mandat renforcé et comment pourrait-il améliorer l’efficacité du G5 ?
Les discussions portent en effet sur l’attribution à la force conjointe d’un mandat onusien plus robuste sous le Chapitre VII de la Charte de l’ONU. Ce mandat renforcé cadre davantage avec la réalité sur le terrain, où les troupes sont effectivement en mission, usant de la force pour mettre hors d’état de nuire les terroristes qui menacent la paix civile. Un tel statut faciliterait le soutien logistique et financier de l’ONU à notre force conjointe. Pour l’instant, l’appui onusien se limite au périmètre du territoire malien à travers la collaboration entre notre force et la Minusma stationnée au Mali. C’est loin d’être suffisant eu égard aux enjeux.
« Somalisation du Sahel en marche » était le titre d’un article dans le quotidien burkinabè Le Pays consacré à la multiplication des attaques terroristes en Afrique de l’Ouest. Vous qui avez été en poste en Somalie en tant que chef de l’Amisom (Mission de l’Union africaine pour la Somalie), confirmez-vous cette détérioration ?
La situation est sans conteste très préoccupante, mais je me garderai d’user de terminologie en vue de nourrir un certain « sensationnalisme ». Nous n’avons pas encore atteint, fort heureusement, un niveau de déstructuration des États dans la région du Sahel, qui se rapprocherait de la situation en Somalie. Nous mettons tout en œuvre pour tendre rapidement vers une nette amélioration progressive de la situation. Je suis donc optimiste malgré le constat alarmant du moment.
Qui sont les terroristes que combattent les troupes du G5 Sahel ? Combien sont-ils ? De quelle force de frappe disposent-ils ?
Il existe plus d’une dizaine de groupuscules armés terroristes qui sèment la terreur dans la région, essentiellement dans la délicate zone des trois frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Certains, les plus structurés dont ceux réunis autour du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), se réclament d’Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique). D’autres sont plutôt proches de Daech dont ce groupe dénommé « État islamique dans le Grand Sahara ». Leur équipement et leur capacité de nuisance sont difficiles à estimer. Nous notons toutefois une certaine tendance à mener des actions plus audacieuses ces derniers mois, avec des équipements moins rudimentaires.
D’où sans doute votre demande d’un mandat renforcé. Ne croyez-vous pas que tant que le Sénégal, l’Algérie et le Nigeria, qui sont également confrontés au problème du terrorisme sur leur sol, ne feront pas partie du G5, vous n’aurez pas cette légitimité politique qui vous fait défaut ? D’ailleurs, pourquoi ces pays ne font-ils pas encore partie du G5 Sahel ?
Le G5 Sahel rassemble cinq pays ayant des caractéristiques très similaires et une volonté commune de relever les défis sécuritaires et de développement ensemble. Ce groupe de cinq constitue une sorte de « noyau dur », plutôt homogène au cœur du Sahel. Mais, notre action se fait en concertation avec tous les pays de la région et même l’ensemble du continent. C’est la raison pour laquelle sous l’égide de l’Union africaine, s’est tenue en mars dernier à Nouakchott, une importante réunion de concertation des pays membres de l’Union africaine (UA) sur la stratégie du Sahel, en collaboration avec le G5 Sahel et avec la participation des Nations unies ainsi que de plusieurs partenaires techniques et financiers. C’est dire que la volonté est réelle de réunir le maximum de participants, tous les pays concernés en premier chef, dans l’œuvre de pacification, de sécurisation et de développement durable de la région sahélo-saharienne. Les concertations se poursuivent et le cadre idéal est celui de notre organisation continentale. Ce sera encore le cas en marge du prochain sommet de l’UA en Mauritanie dans les prochains jours.
Dans une tribune que vous avez publiée dans le numéro du 22 mai du magazine Jeune Afrique, vous annonciez la tenue en juillet à Nouakchott d’une « réunion de plaidoyer de haut niveau ». Qu’est-ce qu’un plaidoyer de haut niveau ? De quoi sera-t-il question à Nouakchott : des promesses de financements non tenues ? Des retards s’agissant de l’opérationnalisation du G5 ?
La conférence dont il s’agit est maintenant prévue pour le mois de décembre prochain, notamment en vue d’éviter un « encombrement » avec l’agenda international très chargé de la Mauritanie en ce mois de juillet 2018. Ce pays hôte du siège du G5 Sahel devant, entre autres, recevoir dans quelques jours comme vous le savez, le prochain sommet de l’Union africaine. Certes, en marge du sommet de l’UA, il sera effectivement question de la montée en puissance de la force conjointe, mais pour le véritable bilan de l’action du G5 Sahel, il faudra attendre décembre. La Conférence des bailleurs de fonds pour soutenir le Programme d’Investissement prioritaire (PIP) du G5 Sahel dans sa phase première, couvrant la période 2019-2021, sera le grand rendez-vous des amis et partenaires de la région du Sahel en vue de réunir le financement requis pour exécuter le PIP, un pilier essentiel qui complète notre action au niveau militaire (avec la force conjointe), tout ceci dans le but de ramener une paix et une sécurité durables au Sahel, en enclenchant grâce à ce PIP, un véritable processus de développement socioéconomique régional en mode accéléré.
Depuis votre désignation au poste du secrétaire permanent du G5 Sahel en février dernier, vous avez régulièrement souligné la nécessité impérative d’inclure le développement dans la stratégie anti-terroriste de la force militaire conjointe. Est-ce que ce discours est entendu par les chefs d’Etat du G5 et les bailleurs de fonds ?
Ce sont les chefs d’Etat qui nous ont donné le mandat que nous mettons en œuvre. A mon avis, nous avons « surcommuniqué » sur la dimension militaire du G5 Sahel, alors que notre mission de défense et sécurisation du Sahel passe aussi par le développement des Etats de la région et la remise en place des services sociaux de base tels que l’eau, l’éducation, la santé, qui ont été totalement détruits par les terroristes. Il faut aussi changer notre discours sur le Sahel. Nous parlons du Sahel comme si c’était une terre d’extrême misère, alors que la région regorge de ressources minières, d’énergie solaire et de formidables potentiels humains. La jeunesse sahélienne est un atout pour les pays de la région pourvu qu’on lui donne la possibilité de travailler et de créer des richesses. « Sahel is also business » [« le Sahel, c’est aussi du business », NDLR] m’a dit l’un de mes interlocuteurs récemment. Je suis persuadé qu’on ne pourra regagner la confiance des populations du Sahel sans les mettre au travail.
Les dirigeants français n’ont eu de cesse de rappeler que l’opération Barkhane est limitée dans le temps. Le G5 Sahel a-t-il pour vocation de prendre la relève de Barkhane ?
La force conjointe a une mission qui dépasse le cadre du Mali. Nous allons au-delà des limites de l’opération Barkhane. Il ne pourrait donc pas s’agir de substitution. Toutefois, la France n’ayant pas vocation à s’éterniser dans des opérations militaires en Afrique, les pays de la région doivent se concerter en vue de faire face aux défis que pourrait constituer le départ des troupes de l’opération Barkhane. La décision du retrait est du ressort final des autorités souveraines françaises et maliennes, qui en fixeront la date exacte.
Comment fonctionne votre duo avec le général Didier Dacko qui commande la force conjointe du G5 ? Le fait d’être basé à deux endroits différents est-il un obstacle à l’efficacité ?
Il n’y a pas de dualité à la tête de notre organisation. Le G5 Sahel est une organisation qui se structure autour d’une mission en deux volets, conformément au fameux concept de « Nexus Sécurité – Développement ». Le volet militaire, matérialisé par notre force conjointe et nécessitant une gestion spécifique au niveau opérationnel surtout, est commandé par le général Dacko, un officier de qualité et très professionnel. Il travaille sous mon autorité depuis le quartier général basé à Sevaré au Mali et cette collaboration est des plus fluides. Il ne se passe pas de jour sans que nous n’échangions, directement ou par l’entremise de notre Bureau Défense et Sécurité. Au sein du G5 Sahel, nous sommes tous concentrés sur l’urgence de la situation et la nécessité de répondre au mieux aux attentes de nos populations, en accord avec la mission assignée par les chefs d’États de la région à notre jeune organisation.
rfi