S’il est vrai que l’humilité constitue le parfum de la vertu, celle de Cheikh Seydi Hadji Malick Sy (rta) aura atteint les limites supérieures du baromètre à l’aune duquel on mesure le caractère exquis d’un principe de vie.
Alors, serait-il assez prétentieux, pour moi, de vous parler de Maodo. En effet, je devrai, comme en prélude à cette lourde tâche à laquelle je devrai me soumettre, me laisser, d’abord, tenter par un exercice périlleux consistant à répondre à la fameuse interrogation : qui est Cheikh Seydi Hadji Malick Sy ?
Un exercice difficile, car le sujet de la présente interrogation échappe à la logique requise pour identifier, définir ou même déterminer un Homme.
En effet, il est assez fréquent de rencontrer un être, une chose, un fait ou encore un phénomène qui, quoiqu’il ait eut à faire preuve de pertinence dans le temps et dans l’espace, rechigne à se laisser appréhender de manière consensuelle. Je pense à la philosophie, pourtant belle et ancienne, qui, cependant, ne renvoie pas à une définition unanime de la science qu’elle renferme. Je pense au Droit, qui, lorsqu’il s’exprime, régule la vie en société et, dès fois, réduit au silence et à l’acquiescement son sujet. Pourtant, une sommité comme le doyen Georges Vedel avouera ne point connaitre, jusque-là, ce qu’est le Droit. Je pense au cosmos qui refuse de nous livrer tous ses secrets, à la nature qui, chaque jour, continue de nous surprendre, aux planètes qui ne cessent de nous fasciner et à l’âme qui ne cesse d’échapper aux esprits.
Alors, et Maodo ? Maodo dont l’érudition et la connaissance font de lui, non pas un maitre, mais une université, non pas un chef, mais un guide, non pas un marchand d’illusion, mais un porteur de lumière adepte de la droiture constante. Il est, à cet effet, de cette minorité d’homme dont les corps sont enrobés par une enveloppe humaine, mais dont les âmes rappellent des fonctions dévolues aux anges.
Mieux, un de ses illustres descendants, Seydi Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Makhtoum (rta), dira de lui qu’il est « l’inconnu de la nation ». Certainement, la personne qui est en train de me lire se dira comment un « inconnu » peut être la source spirituelle de millions d’hommes et de femmes à travers le monde.
En réalité, Maodo nous est inconnu car nous ne connaissons que superficiellement l’homme. Mame Maodo nous est inconnu car, il a préféré s’écarter en indiquant la voie du Seigneur à ses disciples. Mame Maodo nous est inconnu car, conscient de l’importance de sa mission, il demandera, dans l’un de ces quatre vœux, du moins restés célèbres, formulés lors de son pèlerinage à la Mecque, de n’être réellement connu des Hommes que lors du recueillement devant le Seigneur. Une méconnaissance qu’il a même souhaité et voulu, car en plein pèlerinage, il pria Allah (swt) d’envelopper ses œuvres et celles de ses disciples sous le voile de la discrétion et de la crainte révérencielle. Mame Maodo nous est inconnu, car il fait partie de cette grande lignée d’hommes de Dieu qui ont vaincu les vicissitudes de l’âme animées par les feux de la passion en basant leur existence sur le rayonnement de la religion dans toute sa splendeur et avec tout ce que cela implique comme discrétion, rigueur scientifique, privations, ambitions et humilité. Une humilité dans la pratique religieuse, une humilité dans la recherche scientifique et dans la pédagogie, une humilité dans la gestion des crises de son époque.
Même si le consensus ne fleurit pas en histoire, nous pouvons affirmer que Seydi Hadji Malick (rta) est né en 1853 ou vers 1855 à Gaya au nord du pays. De l’union de Mame Ousmane Sy (rta) et de Fatoumata Wade Welle (rta) naitra celui dont la fabuleuse destinée a, bien avant sa naissance, été révélée à son Oncle Alpha Mayoro Welle par El hadji Omar Foutiyou Tall. Ce dernier, l’un des chantres de la Tidjaniya au Sénégal avait annoncé sa venue et l’objet de sa mission. Il confiera à Alpha Mayoro Welle (rta), pour le compte de Malick Fawade, une autorisation illimitée dans la voie soufie de la Tidjaniya.
Une telle destinée nécessita une formation solide dont l’initiation sera assurée par son oncle lui-même. Amoureux des sciences et assoiffé de connaissances, Malick Fawade fera presque le tour du pays suivant ainsi, selon des spécialités, des cours chez de grands maitres de l’époque. Son périple le mènera jusqu’en mauritanie où, du fait de ses incroyables prédispositions, il reviendra couronné de diplômes et d’une capacitation intégrale conforme à son statut.
De ce périple ressort l’un des traits d’humilité du saint homme. Il pouvait, compte tenue de la lignée qui le rattache directement au Prophète de l’islam (PSL), se targuer d’un titre de « chérif ». Il pouvait, en outre, se prévaloir du fait que sa naissance et sa mission furent annoncées par un saint de la trempe de Cheikhou Omar Foutiyou Tall (rta). Il pouvait, enfin, rester dans son Walo natal et se suffire de la formation qui lui sera dispensée dans cette localité. Mais, Malick Fawade a préféré, avec ambition et humilité, subir les difficiles mais importantes exigences de la formation à cette époque. Il aura émerveillé tous ses professeurs qui sentiront chez lui les prémices d’un parcours qui gratifiera la religion et la Tidjaniya d’un souffle nouveau dans un pays où le paganisme subsistait malgré les maintes tentatives d’islamisation, un islam pratiqué avec dévouement certes, mais un dévouement soumis aux préalables de la formation.
Il effectuera, en 1888, son pèlerinage à la Mecque. L’on raconte qu’il aurait nourri le désir de demeurer éternellement auprès du Prophète Mouhamed PSL. Il en sera dissuadé par un homme dont l’identité lui est inconnu et qui lui demandera de rentrer chez lui afin de partager ses connaissances et sa croyance pour que d’autres puissent se ressourcer à la source intarissable du sceau des prophètes. Le début d’une mission hautement mystique, scientifique et éthique confrontera Mame Maodo avec le paganisme local et le contact colonial, avec comme visée : faire triompher par la stratégie et l’intelligence tirée d’une approche sous-tendue par l’Islam. Occuper les esprits et les cœurs avant l’aliénation du blanc qui eut comme arme l’école occidentale.
El hadji Malick Sy (rta) rentrera, mais formulera les vœux de n’être réellement connu des hommes que lors du jugement dernier, d’avoir des terres à cultiver pour ne point vivre de ses disciples, d’avoir la capacité de construire des mosquées pour que ne cessent de briller l’islam dans un pays encore assombris par quelques obscurités émanant des païens.
De l’accomplissent de ses vœux découle l’autre trait de caractère de l’humilité du saint homme dans sa pratique religieuse, sa production scientifique et sa pédagogie.
En effet, malgré sa densité scientifique et intellectuelle, Mame Maodo optera toujours pour la discrétion. Il était plein de spiritualité mais rappelait à qui voulait l’entendre que seul le titre de disciple l’intéressait. Dans ses écrits, on sent l’humilité de l’homme qui, lorsqu’il s’adresse à son Seigneur ou à son messager, se considère comme « un pauvre » ou un « esclave » qui ne saurait trouver d’aide et d’assistance qu’auprès de son Seigneur. Il n’aura point misé sur des miracles pour convaincre les Hommes car considérant qu’il n’y avait de miracle qui vaille que celui consistant à ce que l’on ne se fatigue que pour la satisfaction de Dieu à notre égard. Il préférera, ainsi, construire des mosquées plutôt qu’une multitude de maisons. D’où, toute la pertinence de cette belle formule de Serigne Mansour Sy Djamil : « rien n’est trop beau pour Maodo… ».
Son aversion profonde pour le folklore infécond fera de lui un pédagogue hors pair qui, militant pour que la pratique religieuse ne soit guère dénaturée par les traditions et coutumes, fera en sorte de soumettre les qualités de ces dernières aux exigences de la religion.
Récemment, un condisciple attirait mon attention sur un fait. Il me faisait remarquer qu’au-delà de la qualité de la formation délivrée par Mame Maodo au séminaire de Ndiardé entre 1895 et 1902, la fusion entre les différentes cultures et origines des apprenants, lors de cette formation de formateurs, renseignait aussi sur la pédagogie de l’homme. Il aura, durant ce séminaire d’enseignement supérieur, formé plus de deux cents représentants aguerris. Il séjournera avec eux, travaillera avec eux, se comportera comme leur condisciple.
Mame Maodo est alors ce genre de maitre sobre, discret et humble qui, dans la formation qu’il délivre à ceux qui cheminent avec lui, écarte tout culte de sa personnalité. L’on raconte qu’un jour, après avoir demandé à quelques disciples autour de lui quelle serait leur réaction si, un jour, il leur intimait l’ordre de changer de voie et de le suivre vers une autre, ils lui rétorquèrent qu’ils ne feraient que prier pour lui afin qu’il retrouve la voie. N’eut été son humilité et son désintéressement face à la propagande consistant à maintenir la masse dans un profond fanatisme, Mame Maodo n’aurait jamais posé une telle question à son entourage. Il était heureux de voir que dans ces esprits et ces cœurs régnaient enfin le seul désir de rester sur la voie du seigneur.
L’humilité de Maodo, c’est aussi sa capacité à préférer l’ouverture d’esprit au renfermement idéologique et la stratégie à la fougue.
Ainsi, quand on lui suggéra de prendre les armes, il préféra aller à la conquête des consciences, refusant que le colonisateur gouverne à la fois le territoire et les mentalités. C’est, dans ce sillage, qu’il déclara, car confronté aux complotistes de son temps, que sa seule arme est son chapelet.
Mame Maodo ne fuit pas le colon, il cohabite intelligemment avec lui, parvenant ainsi à asseoir les bases solides de la pratique religieuse musulmane dans le pays. Les « zawayas » construites dans les grandes agglomérations auront réduit les effets néfastes d’une pratique religieuse biaisée par l’acculturation issue de la colonisation. Les « Zawayas » seront aussi cet espace social de communion autour des échanges intellectuels et des solidarités organiques à bâtir comme ce fut enseigné par son inspirateur unique, le prophète Mouhamed (PSL).
Il saura mener sa mission avec tact et performance. En effet, Maodo s’ouvre mais reste enraciné dans l’islam et la Tidjaniya.
Cette ouverture, doublée d’humilité feront de lui un excellent gestionnaire de crises. Il désamorcera des multitudes de « poudrières » grâce surtout à sa clairvoyance. Mais, l’actualité faisant, je prendrai l’exemple de la première vague de crise sanitaire de 1919 due à une épidémie de peste. La lettre envoyée par Maodo aux mosquées de l’époque rappelle la posture charismatique, responsable et cohérente de son actuel Khalif, Serigne Babacar Sy Mansour. Maodo disait ceci en substance, après avoir basé son argumentaire sur des textes précis : « Ne désobéissez pas aux recommandations des médecins qui vous demandent de ne pas cacher la maladie. Et ce comportement est souvent dû à la mauvaise foi de ceux qui racontent des choses injustifiables. Nous devons respect et considération aux médecins ». Guet-Ndar demeure ce quartier populaire où il se fera vacciné pour montrer l’exemple lors d’une autre prévention liée, dit-on, à la fièvre jaune. Le Gouverneur fut étonné et soulagé par cet acte qui fera éviter un bain de sang.
Mame Maodo était alors un Homme de son époque et de son temps. A quelques jours de la célébration de la naissance du prophète, une manifestation qu’il a initié au Sénégal avec son fidèle compagnon l’éminent et très discret Homme de Dieu El hadji Rawane Ngom (rta) de Mpal, les cœurs de milliers de disciples de la Hadara Malickya convergent vers Tivaouane. Malgré le contexte actuel, les disciples à travers les formidables astuces du numérique vivent la chaleur sensationnelle des séances de « Burd ». Ce poème psalmodié dans la ville sainte durant dix jours à chaque veille du mawlid, est une autre preuve d’ouverture et d’humilité de Maodo qui ne manque guère dans ses productions littéraires, une œuvre pouvant faire office de séances préparatoires au mawlid telle que la «Khilassou-zahab » ou « l’or décanté ». Mais, Cheikh Seydi Hadji Malick Sy Préfèrera l’oeuvre, magistrale elle aussi, de l’imam Al Boussairi, la « Burda ». Elle sera alors chantée, décortiquée afin que nul n’ignore la lumière du sceau des prophètes.
Maodo, le patriarche, aura alors joué son rôle. Tel que le disait, avec beaucoup de pédagogie, lors d’une communication durant l’une des séances de la « Burda » en 2019, Serigne Papa Makhtar Kébé, Mame Maodo est le reflet du condensé « Jaajuùba » : Jang (formation et éducation), Juùb (droiture constante), Bay (vivre de la sueur de son front grâce à l’agriculture).
Mame Maodo, en bon maître soufi, recommande, ainsi, la licéité dans toute transaction commerciale et industrielle. De ce fait, Seydi hadji Malick Sy, au-delà de panser les esprits et les cœurs, demeure plus que jamais un modèle économique et social de réussite basé sur l’école du Prophète de l’Islam, Mohammed.
Suivre les traces de cet homme incroyable c’est avoir come ligne directrice : foi, discrétion, humilité et quête perpétuelle de savoir et de spiritualité.
Baba Gallé Diao Mansour
Membre de la Plateforme de Réflexion et d’Orientation des Jeunes Tidjanes