Le 101e département de la République française, Mayotte est en proie à un mouvement de contestation depuis deux mois. C’est dans ce contexte de turbulences politiques et sociales que l’île organise ce dimanche 25 mars 2018 le second tour d’une élection législative partielle, suite à l’annulation du scrutin de juin 2017.
Archipel de l’océan Indien, situé à mi-chemin entre Madagascar et le Mozambique, Mayotte surnommée « l’île aux parfums » fait partie historiquement et géographiquement des Comores. Colonie française depuis le XIXe siècle, l’île a fait le choix de rester français, alors que le reste des Comores a accédé à l’indépendance en 1974. Ce changement de statut a créé un déséquilibre entre le reste de l’archipel des Comores et Mayotte qui, à cause de son PIB par habitant 13 fois supérieur à ses voisins comoriens et 23 fois plus important que celui de Madagascar, est devenu un « aimant » pour des milliers de Comoriens. Paradoxalement, comparée aux autres départements de la République française, Mayotte demeure l’une des régions françaises les plus pauvres et sous-développées.
25 avril 1841: Fin du sultanat
Affaibli par des luttes incessantes entre les sultanats en place dans l’archipel des Comores, le sultan de Mayotte, vend l’île aux Français en contrepartie d’une indemnité de mille piastres.
9 décembre 1846: Abolition de l’esclavage
L’esclavage est aboli à Mayotte, sous le règne de Louis-Philippe, avant que le décret de Schoelcher ne soit adopté par le gouvernement français en 1848 mettant fin à l’esclavage en France.
1886-1892: « Mayotte et dépendances »
D’abord placé sous protectorat du gouvernement français de Madagascar en 1886, l’ensemble de l’archipel devient six ans plus tard colonie française. La nouvelle entité s’appelle « Mayotte et dépendances » qui inclut outre Mayotte, trois autres îles: Mohéli, Anjouan et Grande-Comore.
1946: Vers un nouveau statut administratif
Les Comores changent de nouveau de statut et deviennent territoire d’outre-mer (TOM). Djaoudzi (à Mayotte) demeure le chef-lieu.
1958-1967: Revendications indépendantistes
Sur décision de l’Assemblée territoriale, le chef-lieu du TOM est transféré à Moroni (Grande-Comore), au grand désespoir des Mahorais. L’organisation du mouvement populaire mahorais, fondée en 1967, prend ses distances par rapport aux revendications indépendantistes qui s’élèvent un peu partout dans l’archipel, dans la foulée du mouvement de décolonisation. Elle réclame la rupture de Mayotte avec Moroni et son rattachement à la France.
1974-1976: Une double sécession
Le 22 décembre 1974, se tient la première consultation d’autodétermination. Les Mahorais votent à 63% contre l’indépendance, alors que les autres Comoriens votent à 99% pour la souveraineté de l’archipel. Proclamation unilatérale de l’indépendance par Moroni le 06 juillet 1975. Les élus de Mayotte refusent la sécession et réaffirment l’intégration de leur île dans la République française. La France reconnaît pour sa part l’indépendance des trois autres îles comoriennes, faisant fi de la dénonciation par les Nations unies de la violation des frontières issues de la colonisation. L’ONU réaffirme par sa résolution 3385 du 12 novembre 1975 « la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité de l’archipel des Comores ». 99,4% des électeurs mahorais s’expriment lors d’un nouveau référendum d’autodétermination en faveur de leur maintien au sein de la République française.
1995: Le « Visa Balladur »
Instauration du « visa Balladur » en référence au Premier ministre français Edouard Balladur sous l’égide duquel cette procédure de visas a été mise en place. La mesure saluée par les Mahorais et critiquée par les Comoriens, supprime la liberté de circulation entre Mayotte et le reste de l’archipel. Comme l’obtention du visa est difficile, les Comoriens entrent clandestinement dans l’archipel français, à bord des embarcations de fortune désignées sous le nom de kwassa-kwassa. Celles-ci font régulièrement naufrage, transformant l’océan Indien en un vaste cimetière marin. Selon un rapport du Sénat, entre 7 000 et 10 000 personnes sont mortes noyées en tentant de traverser le bras de mer qui sépare l’île comorienne la plus proche de Mayotte.
31 mars 2011: Départementalisation
Suite au vote des Mahorais qui se prononcent le 29 mars 2009 pour la départementalisation de leur île, Mayotte devient officiellement le 101e département et 5e département d’outre-mer (DOM) de la République française. Les 4 autres DOM sont la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion. Ce nouveau département détient plusieurs records, notamment celui de la plus forte densité de population sur un territoire français après la région parisienne, avec 690 habitants au km2 en 2017, celui du plus fort taux d’illettrisme avec 40% des 16 à 64ans ne sachant ni lire et écrire (chiffres Insee 2012), celui du plus fort taux de chômage des jeunes avec 43% de la jeunesse mahoraise sans emploi, et enfin celui du plus faible PIB par habitant : 7 940 euros en 2012 contre 31 100 pour le reste de la France.
Février-mars 2018: Crise sociale
L’île de Mayotte est secouée depuis le 20 février par un mouvement de contestation populaire. La situation ressemble aux crises que ce territoire français traverse à intervalles réguliers depuis sa départementalisation en 2011 (2011, 2015, 2016). Confronté d’une part à une forte pression migratoire en provenance des Comores et au retard de développement de l’île, Mayotte est un département sous pressions : pression démographique, pression sociale.
A l’origine de la crise sociale de cette année, l’éclatement le 19 février de violents affrontements entre bandes rivales, au lycée Kahani de Mamoudzou, chef-lieu de l’archipel. Dès le lendemain, la population a manifesté contre la montée de l’insécurité qu’elle attribue à l’arrivée massive des immigrants comoriens dans l’île française.
Les clandestins sont accusés de vols, de violences et d’être responsables de la saturation des écoles et des hôpitaux de l’île. Selon les statistiques de l’Insee, les migrants comoriens constituent plus de 40% de la population totale (256 000). Le nombre d’habitants a doublé en l’espace de vingt ans et le nombre de naissance y a bondi de 45% entre 2013 et 2016. Le taux de chômage est aussi très élevé avec 26% des adultes sans travail, contre 9,2% au niveau national.
La population pointe du doigt l’insuffisance des moyens de lutte contre l’immigration clandestine et réclame des renforts policiers pour lutter efficacement contre l’insécurité l’immigration. Par ailleurs, le comité de coordination des élus qui a rejoint le mouvement populaire a chiffré les besoins de l’île sur dix ans à quelque 1,8 milliard d’euros afin que le développement mahorais soit aligné sur le niveau des autres départements français.
Face à ce mouvement de contestation long et dur, qui a pris de multiples formes (manifestations dans les rues du chef-lieu, opération escargot, opération « ville morte », barrages sur les principaux axes routiers), le gouvernement a dépêché la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, qui est restée une semaine sur place, a échangé avec des manifestants et annoncé des mesures pour sécuriser les abords des écoles et des lycées et pour combattre l’immigration clandestine, sans réussir à empêcher le mouvement de se durcir. L’intersyndicale qui encadre les manifestants et les grévistes réclame la venue du président Macron ou de son Premier ministre ou de son ministre de l’Intérieur pour amorcer les véritables négociations.
25 mars 2018: Election législative partielle
C’est dans le contexte d’une crise sociale et politique profonde qu’une partie des électeurs mahorais sont appelés aux urnes pour une élection législative partielle. Ils doivent élire leur député pour le siège de la première circonscription, suite à l’annulation de l’élection législative de juin 2017. Après le premier tour qui a opposé huit candidats, les électeurs doivent choisir ce 25 mars entre les deux finalistes: Ramlati Ali, candidate sans étiquette et anciennement affiliée au groupe LREM (La République en marche!) et le candidat LR (Les Républicains) Elad Chakrina. La campagne électorale a été marquée par la présence sur l’île du patron du LR, Laurent Wauquiez, dont les prises de parole ont contribué à la droitisation des débats sur l’immigration, la violence et le sous-développement. Le leader du Front national Marine Le Pen qui avait fait le déplacement en 2016 dans le cadre de la campagne présidentielle, a créé la surprise en appelant à voter pour le candidat LR. C’est une démarche inédite de la part du Front national. Même si Les Républicains se sont désolidarisés de ce soutien, beaucoup y voient la reconfiguration à l’œuvre du champ politique à droite dans la France métropolitaine.
RFI