Ngozi Okonjo-Iweala : l’emmerdeuse

Alors que son choix semblait déjà fait, le Nigeria a changé son candidat à la présidence de l’OMC pour désigner Ngozi Okonjo-Iweala. Réputée incorruptible, l’ancienne ministre des Finances, avec son curriculum vitae impressionnant, n’attire pourtant pas que les amitiés. On aimerait bien que ses « ennemis », ne soient que les corrompus qu’elle s’est acharnée à combattre. Mais, au Nigeria, rien n’est jamais aussi simple.

Au Nigeria, le président Muhammadu Buhari a désigné, cette semaine, l’ancienne ministre des Finances Ngozi Okonjo Iweala comme candidate de la République fédérale au poste de directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pourtant, dans la course à la succession du démissionnaire Roberto Azevêdo, qui laisse le poste vacant dès le mois d’août prochain, le gouvernement nigérian avait soutenu la candidature de l’économiste Yonov Frederick Agah. Finalement, le président Buhari a choisi de retirer son soutien à la candidature du Nigérian, directeur général adjoint de l’OMC.

La raison de ce revirement est encore floue, sachant que, sur le plan politique, tout oppose Ngozi Okonjo-Iweala au président en exercice. Néanmoins, dans l’absolu, le choix de l’ancienne ministre semble plus que judicieux quand on observe ses états de service.

Son passage à la Banque Mondiale, au sein de divers conseils d’administration de haut niveau et à la tête du ministère nigérian des Finances ont généralement été suivis d’éloge quant à son efficacité, mais également à son intégrité, dans un pays où le développement achoppe toujours sur les problèmes de corruption.

« Okondjo-Wahala »

Au Nigeria, dans certains milieux populaires, peu de gens s’embarrassent du nom donné à l’ancienne ministre des Finances par son père lorsqu’elle naît le 13 juin 1954 à Ogwashi-Ukwu, dans le Delta du Niger. A la place du très respecté Ngozi Okonjo-Iweala, il n’est pas rare d’entendre des gens désigner la femme politique de 66 ans par le surnom de « Okonjo Wahala », en Yoruba, « Okonjo l’emmerdeuse ». Ce surnom, loin d’énerver l’intéressée, la fait plutôt sourire. « Je le prends comme une marque de respect. Pour moi, cela veut dire » Tu n’as pas intérêt à te mettre sur le chemin de cette femme » », confie-t-elle amusée.

Ce sobriquet, elle sait qu’elle le doit à sa ténacité. Cette qualité, Ngozi Okonjo-Iweala la possède depuis ses plus jeunes années. « J’ai grandi dans un village au sud du Nigeria où j’ai été élevée jusqu’à 8 ans et demi par ma grand-mère. Mes parents étaient étudiants boursiers en Allemagne et n’avaient pas assez d’argent pour me prendre avec eux. J’ai appris la vraie vie : aller chercher le bois, l’eau. A 5 ans, je savais cuisiner. Cette vie m’a donné de la force et un caractère solide. L’autre grande expérience de mon enfance, c’est la guerre du Biafra (1967-1970). Mes parents ont tout perdu. J’ai su ce que c’était de n’avoir plus rien », confie-t-elle au Monde. Effectivement, la vie n’a pas toujours été facile pour Ngozi Okonjo-Iweala.

Malgré tout, elle ne s’en est jamais servie comme prétexte pour se laisser abattre. Par exemple, alors qu’elle n’a que 14 ans, en pleine guerre du Biafra (guerre civile qui s’est déroulée du 6 juillet 1967 au 15 janvier 1970 à cause de la sécession de la région orientale du Nigeria, Ndlr), elle a sauvé la vie de sa petite sœur souffrant du paludisme en la portant sur son dos sur 10 km pour se rendre à une clinique dans le but de lui faire injecter de la chloroquine. Cette force de caractère permettra à la jeune fille, malgré des conditions de vie compliquées, de réussir brillamment dans ses études. Débutées dans un village nigérian, elles se sont achevées par des diplômes d’économie obtenus dans les prestigieuses universités de Harvard et du Massachusetts Institute of Technology (MIT).

Pour obtenir ses diplômes, la Nigériane a affronté la discrimination sous toutes ses formes, sans jamais se laisser abattre. « Tu es une jeune femme noire. Si tu es confrontée à la discrimination sous quelque forme que ce soit, rappelle-toi que ce n’est pas ton problème. C’est le problème de la personne en face. Utilise sa faiblesse et fais-en ta force », lui avait conseillé son père lorsqu’elle partait étudier aux Etats-Unis. Finalement, ce conseil lui servira toute sa vie, notamment dans le cadre de son travail où elle s’élèvera à des échelons jusque-là inédits pour une femme noire. Le parcours de la combattante débute en 1982, lorsqu’elle obtient un emploi à la Banque mondiale. Là encore, les Nigérians se sentiront « emmerdés ». En effet, l’institution financière est très peu appréciée au Nigeria, à cause des mesures d’ajustement structurel imposées dans les années 80 pour lutter contre la récession. Ces mesures ont coûté leurs postes à des centaines de fonctionnaires nigérians.

Un modèle d’excellence

Malgré la désapprobation générale, Ngozi Okonjo-Iweala commence sa mission pour la Banque mondiale. Au début, elle est chargée de suivre, au Nigeria, l’avancée des projets financés par l’institution. Son travail est si apprécié qu’elle commence à gravir les échelons de l’organisation jusqu’à devenir la secrétaire du conseil d’administration de la Banque Mondiale, à la demande de James Wolfensohn, alors président de la Banque Mondiale.

En 2003, elle doit faire une pause dans son ascension au sein de l’institution lorsque le président nigérian Olusegun Obasanjo la choisit pour devenir ministre des Finances. Elle quitte alors sa maison de Washington pour rentrer chez elle. Gestionnaire rigoureuse, elle souhaite mettre en place les meilleures conditions pour libérer le potentiel économique du pays. Elle décide alors de lutter contre la corruption. Elle livre alors à la justice les dignitaires convaincus de corruption et privatise de nombreuses entreprises publiques. Elle fait publier les recettes de l’industrie pétrolière ainsi que les sommes versées aux collectivités locales pour réduire les risques de détournement.

Dans le même temps, elle obtient l’effacement d’environ 18 milliards de dollars de la dette de son pays. A force de négociations, elle obtient des créanciers du Club de Paris (un groupe informel de créanciers publics dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement de pays endettés) la mise en place d’un programme spécial de remboursement pour le Nigeria. La ministre réussit également à faire chuter de 23 % à 11 % le taux d’inflation, en plus de réussir à multiplier le produit intérieur brut (PIB) nigérian presque par 3. En 2006, à l’approche de l’élection présidentielle, on propose à Ngozi Okonjo-Iweala le portefeuille des Affaires étrangères, mais elle préfère quitter le gouvernement pour retourner à la Banque mondiale. Avant son départ, elle réussit également à obtenir la première notation souveraine de crédit du Nigeria par les agences Fitch et Standard & Poor’s. Cela permettra notamment de renforcer la confiance des investisseurs dans les perspectives du pays.

Son bilan élogieux va renforcer sa réputation. En 2007, le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, décide de faire de Ngozi Okonjo-Iweala sa directrice générale, la n°2 de l’institution. Elle devient la première femme africaine à occuper ce poste. Elle reste à ce poste jusqu’en 2011, année durant laquelle le président Goodluck Jonathan lui fait appel pour reprendre le portefeuille ministériel des Finances. Elle revient aux affaires, encore plus déterminée que lors de son premier passage. Avec le soutien de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), elle crée une plateforme électronique de gestion financière qui permet, en 3 ans, d’éliminer 62 893 fonctionnaires fictifs et d’économiser environ 1,25 milliard de dollars.

En 2012, la ministre fait réduire de moitié les subventions au carburant qui coûtent 8 milliards de dollars par an au gouvernement nigérian et dont une bonne partie est détournée. Cette fois, lorsque le prix de l’essence double à la pompe, elle subit le contrecoup de son combat contre la corruption. « Ils (les prévaricateurs dérangés par la mesure, Ndlr) ont kidnappé ma mère de 83 ans. Durant les trois premiers jours, leur seule demande était ma démission. Je ne vais pas aller dans les détails, mais vous devez comprendre que, dans un pays comme celui-là, si on lutte contre la corruption, il faut être prêt à en payer un prix très personnel. Mon père m’a demandé de ne pas démissionner. Le président m’a demandé de ne pas démissionner. A la fin, tout le monde s’est mis à sa recherche et les kidnappeurs l’ont libérée », raconte Ngozi Okonjo-Iweala.

Elle aura au moins la fierté de voir, alors qu’elle est ministre des Finances, le Nigeria devenir la première économie d’Afrique, grâce à une révision du calcul de son PIB. Le reste du temps passé au ministère des Finances, qu’elle quitte en 2015, est miné par la chute des cours du pétrole qui affecte énormément l’économie nigériane. C’est après son départ qu’une de ses réformes les plus importantes sera parachevée par le nouveau gouvernement. Il s’agit de la centralisation dans un compte unique du Trésor (TSA) de tous les comptes du gouvernement. La mesure facilite énormément le travail de contrôle du ministre des Finances qui a enfin une vue d’ensemble sur tous les comptes du gouvernement. Toutefois, cette réforme sera attribuée au régime de Muhammadu Buhari. Pas de quoi déranger Ngozi Okonjo-Iweala. « Je me fiche du crédit qu’on ne m’a pas accordé. Ce qui m’importe, c’est la vérité ! Tant de mensonges ont été racontés », assure-t-elle.

Un parcours pas exempt de faux pas

Les mensonges pointés du doigt ne sont-ils que des machinations orchestrées par les détracteurs de Ngozi Okonjo-Iweala ? Ces derniers mettent généralement l’accent sur les fraudes cumulées par le gouvernement de Goodluck Jonathan pour se procurer des armes dans sa lutte contre l’insurrection de Boko Haram. Pour Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD, France), « Ngozi Okonjo-Iweala a servi de caution internationale à l’un des gouvernements les plus corrompus du Nigeria, celui du président Goodluck Jonathan ». Si cela peut être débattu, un autre épisode dérangeant de la gestion de l’ancienne ministre des Finances lui est cette fois clairement imputable. Il s’agit de son rôle dans l’éviction de Sanusi Lamido Sanusi de la tête de la Banque centrale nigériane.

Ce dernier a été éjecté de son poste de gouverneur de la Banque centrale, quelques jours après avoir soumis au Sénat des preuves détaillées d’une fraude présumée à la Compagnie pétrolière d’Etat. Une démarche qui a suscité le courroux du président Goodluck Jonathan et de Ngozi Okonjo-Iweala. La ministre des Finances et de l’Economie lui a reproché d’avoir rendu ses conclusions publiques au lieu de les présenter à un comité gouvernemental et a été favorable à son limogeage, alors que Sanusi Lamido Sanusi s’était prononcé en faveur de l’ex n°2 de la Banque Mondiale lorsqu’elle avait réduit les subventions au carburant. Les deux personnalités font d’ailleurs partie des plus fervents pourfendeurs de la corruption au Nigeria.

Cela ne suffit néanmoins pas à ternir le parcours de Ngozi Okonjo-Iweala. Au fil des années, elle cumule les postes de haut niveau, notamment au conseil d’administration de l’alliance GAVI qu’elle préside. Il s’agit d’une organisation internationale créée en 2000 et qui a pour but d’accélérer les progrès des pays pauvres dans les possibilités d’accès des enfants à la vaccination.

La Nigériane copréside également le conseil d’administration de la Commission mondiale sur l’économie et le climat et est également présente au conseil d’administration de Twitter.

En mai dernier, elle a été la seule représentante féminine au sein de la task force réunie par l’Union africaine pour lutter contre la Covid-19.

Désormais, l’incorruptible nigériane vise le poste de directrice générale de l’OMC. On lui souhaite plus de chances qu’en 2012, année à laquelle elle n’avait pas réussi à devenir présidente du groupe de la Banque Mondiale alors qu’elle en était le numéro 2.

Auteur : Ecofin