NIANI : L’insoumis royaume d’hospitalité

Le Niani est-il une terre de refus ou une terre d’accueil ? Quand on revisite l’histoire de notre pays, on peut retenir que cet ancien royaume est à la fois une terre de refus et d’accueil. D’abord, lorsque le roi du Cayor, Lat Dior, voulut annexer cette province, il se heurta à une farouche opposition du roi du Niani d’alors, Kimintang Kamara. L’autre particularité de cet ancien royaume du Niani, c’est qu’il est aussi une terre d’accueil. C’est dans cette province que le président Léopold Sédar Senghor, dans les années 70, avait créé la société des Terres Neuves (Stn) pour décongestionner l’ancien bassin arachidier.

Le Niani faisait partie du Grand Djolof bien avant la bataille de Danki. Quand Lat Dior s’est libéré de ce grand regroupement, et prit son indépendance, il décida d’annexer d’autres royaumes dont celui du Niani, alors que les frontières de cette province s’étendaient de Malème Niani au Ndoukoumane, et de l’autre côté de la Gambie et à l’ex-royaume du Djolof. A cet effet, précise Mamadou Kamara, originaire de Ndougousine, par ailleurs, directeur de l’école Abdoulaye Kamara de Kougheul, Lat-Dior envoya une mission au roi Kimintang Kamara du Niani. Mais son émissaire, raconte-il, n’était pas bien reçu. C’est à son retour au Cayor, précise-t-il, que le griot a dit au « Damel » que le Niani a dit non à la servitude. D’où, selon lui, la fameuse chanson « Niani Bagne na », « le Niani a refusé », interprétée dans un premier temps par Samba DiabaréSamb et récemment par Idrissa Diop. « Le roi Kimintang Kamara n’a pas combattu Lat-Dior. Il n’a fait que notifier au messager du roi du Cayor le refus du Niani de se soumettre, de s’acquitter des impôts », rapporte le directeur de l’école Abdoulaye Kamara de Kougheul. D’ailleurs, évoque-t-il, « le Niani ne s’est jamais soumis et n’a jamais été colonisé par qui que ça soit. Le roi Kimintang s’est battu contre les Anglais qu’il a chassés. Ces derniers ont d’ailleurs abandonné leurs canons, leurs munitions à Ndougousine. Ces armes ont été reprises par le ministère sénégalais de la Culture ».

Abeilles

 Sur l’origine des Kamara du Niani, il indique qu’il s’agit de l’histoire de deux frères, l’un s’appelait Kansia et l’autre Mansaly, qui avaient quitté l’empire du Mali de Soundjata Keita. Ils sont arrivés au Niani, en passant par la Casamance où ils se sont installés avec leur tante du nom de Casa. Ensuite, ils sont allés en Gambie pour s’installer par la suite à Koungheul. A l’en croire, les deux familles se sont divisées. Celle de Kansia est restée à Koungheul et celle de Mansaly a migré vers Koumpentoum Socé. D’ailleurs, précise-t-il, c’est ce village qui a donné naissance aux autres localités comme Ndiambour et Goundiour, habitées en majorité par des Mandingues. « En réalité, il y a toujours eu des royaumes dans le Niani ; mais le vrai royaume a commencé par Ndiambour qui a connu plus de 44 rois », a noté le directeur d’école.

Le premier roi du Ndiambour s’appelait Mansa Sara. Celui-ci avait plusieurs fils dont Kimintang qui, fondateur du Niani, quitta Ndiambour pour créer Ndougousine qui deviendra, plus tard, la capitale du Niani. « C’est un roi mystique qui n’avait pas voulu habiter avec les gens à Ndiambour. C’est pour cette raison qu’il avait abandonné ses frères pour fonder Ndougousine. Le roi Kimintang Kamara a dominé une partie du Sénégal et une partie de la Gambie où il est très bien connu. Il y percevait des impôts », confie Mamadou Kamara. S’agissant de l’histoire des abeilles du Niani, le chef de village de Goundiour, Mbaye Kamara, soutient que ce sont des « êtres protecteurs ». « Si les gens viennent pour la paix, là il n’y aucun problème », avertit-il. L’autre facette du royaume du Niani, c’est qu’il est une terre d’accueil. Elle a accueilli le projet des Terres neuves, une initiative du président Léopold Sédar Senghor. Et si l’on s’en réfère à la signification du mot « Niani » qui signifie, selon Thierno Mamadou Diallo de Malème Niani, « Téranga », on peut dire donc que le Niani est également une terre d’accueil.

Dans les années 70, avec les cycles de sécheresse, les terres n’étaient plus fertiles dans l’ancien bassin arachidier, que constituaient les régions de Kaolack, Diourbel, Louga et Fatick. Il y avait aussi un surpeuplement par rapport aux ressources foncières disponibles pour l’agriculture. Ce qui faisait qu’à chaque approche d’hivernage, il y avait tout le temps des batailles rangées pour le contrôle  des terres. Constatant que  le Sénégal  oriental était une région très vaste et moins peuplée et les sols étaient très fertiles, le régime socialiste d’alors, aidé par la Banque mondiale (Bm),  a créé la Société des terres neuves (Stn). Il s’agissait de  prendre des paysans dans l’ancien bassin arachidier, surtout ceux de Fatick et de Diourbel, pour les installer dans le Sénégal oriental.

NDOUGOUSINE, GOUNDIOUR, NDIAMBOUR, KISIANG OU ENCORE KOUMPENTOUM SOCE : Les clichés d’échec et de déchéance bien ancrés dans les mentalités

Dans l’imaginaire populaire, Ndougousine renvoie à une prison. Alors qu’il s’agit d’un nom de village niché à une cinquantaine de kilomètres au sud de Koumpentoum. Que ça soit Ndougousine, Goundiour, Ndiambour ou Kisiang ou encore Koumpentoum Socé, la particularité de ces localités est qu’elles sont associées à des clichés d’échec, de déchéance…  Des originaires de ces localités estiment que ces croyances relèvent de l’ « histoire ancienne ».

A Ndougousine, Goundiour, Ndiambour, Kisang ou encore à Koumpentoum Socé, les tabous restent ancrés dans la mémoire collective. A l’époque, raconte-t-on, lorsqu’un détenteur d’un poste électif ou nominatif s’aventurait à se rendre dans ses localités, il était licencié de sa fonction dans les jours suivants. Et pourtant, ces localités ont donné des personnes de valeur à notre République. Ces croyances, certains originaires de ces localités tentent de les balayer d’un revers de la main. Pourtant, elles sont toujours ancrées dans l’imaginaire. D’ailleurs, pour Ndougousine, le simple fait d’évoquer le nom du village fait trembler certaines personnes. Nous nous sommes nous-mêmes confrontés à ce dilemme en voulant nous rendre à Ndougousine. A défaut d’y avoir posé les pieds, nous avons rencontré Mamadou Kamara, originaire de Ndougousine, par ailleurs, directeur de l’école Abdoulaye Kamara de Koungheul. Il connaît bien l’histoire de Ndougousine et du Niani de façon générale.

 Il cache mal son sentiment de voir le village d’origine de ses parents être encore victime de ces tabous. « J’étais enseignant à Tamba. Un jour, j’étais en classe et un policier est venu se présenter à moi et il venait de la part du préfet. A mon arrivée, celui-ci m’a dit, en souriant, qu’il voulait ouvrir un bureau de vote dans mon village et que personne ne souhaiterait y aller et même les militaires. Il me disait que c’est par la suite qu’on lui a dit qu’il y avait un fils de Ndougousine qui enseigne à Tamba. C’est comme çà que j’ai accepté d’aller ouvrir le premier bureau de vote à Ndougousine », témoigne-t-il.

« Cette situation a eu beaucoup d’impact pour le développement de ces villages », reconnaît-il. Cependant, souligne-le directeur, « nous nous sommes battus pour vaincre ces tabous. Maintenant, il y a des écoles à Goundiour, à Ndiambour, à Koumpentoum Socé et à Ndougousine. C’est de l’histoire ancienne, mais il y a toujours des choses qui vont rester dans la mémoire », reconnaît Mamadou Kamara. Aujourd’hui, poursuit-il, « il y a une route qui passe par Ndougousine pour MakaKoulibatang. Des personnes qui ne sont pas issues de la zone président des bureaux à l’occasion des élections. Policiers et gendarmes s’y rendent ». Les mentalités sont donc en train de changer. A l’en croire, il y a beaucoup de difficultés lorsqu’on voulait construire la piste latéritique qui passe par Ndougousine et qui rallie le village à MakaKoulibatang. Aujourd’hui, avance Mamadou Kamara, les jeunes réclament l’électricité car « aucun peuple ne peut vivre en vase clos ».

A côté de ces tabous, ces villages souffrent du fait que beaucoup de gens qui y sont issus ne reviennent pas pour y investir. Parfois, ils préfèrent aller s’installer ailleurs. « Il y a trop de mystique dans ces villages », nous fait remarquer une personnalité issue d’une de ces localités. Cela, poursuit-il, fait que ces villages sont enclavés et ils souffrent du manque criant d’infrastructures de base. Pour le chef de village de Goundiour, les ressortissants de ces localités doivent se remettre à Dieu et se rendent compte qu’ils sont originaires de ces villages.

Un village déplacé à trois reprises

 Relativement à l’assimilation de Ndougousine à la prison, Mamadou Camara indique qu’il y avait un exploitant forestier dans la zone. « Lorsque l’hivernage le trouvait ici (dans la zone), il lui était difficile de quitter la zone à cause des pluies. Les gens disaient qu’il est à Ndougousine », explique le directeur de l’école. A Ndougousine, de l’avis de notre interlocuteur, les tombeaux des rois ainsi que la forteresse « Taata » sont toujours visibles. D’ailleurs, ce patrimoine historique de notre pays a été matérialisé par le ministère sénégalais de la Culture.

Goundiour. La porte d’entrée du Niani a joué un rôle pionnier dans l’histoire de ce royaume. Toutefois, Mbaye Kamara, le chef de village, ignore l’âge de Goundiour à cause de l’absence d’écrits. La spécificité de cette localité, c’est qu’elle a connu trois déplacements pour se retrouver à moins d’un kilomètre au nord de la route nationale n°1. Selon Mbaye Kamara, ces différents déplacements du village se sont faits sur ordre d’un guide religieux qui a dit à leurs aïeuls que les emplacements antérieurs du village n’étaient pas bénis et qu’il serait mieux de déplacer le village à nouveau vers la route nationale n°1. L’autre particularité est que le village abritait une forteresse, et tous ceux qui réussissaient à y pénétrer avaient la vie sauve.

Le chef du village de Goundiour que nous avons rencontré dans sa localité ne cesse de se battre pour vaincre ces tabous. « J’ai amené à Goundiour deux sous-préfets ainsi qu’un commandant de la gendarmerie de Koumpentoum », nous confie-t-il. La conviction de Mbaye Kamara est que lorsque l’autorité fait fi de ces tabous, et se rend dans ces localités, elle gagne en grade. « Vous journalistes, vous êtes interpellés. Il faut que les populations sachent que ces tabous relèvent du passé », dit-il, avec assurance.  D’ailleurs, il ne cautionne pas le fait que beaucoup de gens issus de ces villages, à l’âge du mariage, épousent des filles qui ne sont pas de leurs familles. Ceux qui le font n’ont aucune considération pour leurs origines, estime-t-il.

« THIOURAL GOUNDIOUR » : Le tombeau des combattants Peuls

 Dans leur refus de se soumettre à l’autorité du roi du Djolof, des milliers de Peuls ont été pourchassés et rattrapés à l’entrée de la forteresse de Goundiour. Il y a eu des centaines de morts. Une seule personne a eu la vie sauve. Retour sur cette tragédie de « Thioural Goundiour ».

Rares sont ceux qui savent l’histoire de « Thioural Goundiour ». Même certains historiens du Niani ne la maîtrisent pas bien. Et pourtant, ce sont des milliers de vaillants combattants Peuls qui sont tombés, les armes à la main. Leur seul tort, c’était de refuser de se soumettre à l’autorité d’Alboury Ndiaye, le BourbaDjoloff d’alors.

Refusant d’être des soumis, les Peuls du Djolof décidèrent alors de fuir ce royaume. Malheureusement,  ils seront pourchassés et rattrapés à l’entrée de la forteresse, de Goundiour par les hommes d’AlbouryNdiaye.

C’est à l’intérieur de cette citadelle que se cachaient les populations pour éviter d’être capturé par des conquérants. A leur arrivée, selon le chef de village de Sinthiou Goundiour, Madou Diao, les habitants en majorité des Mandingues, refusèrent d’accueillir les Peuls en fuite. Ces derniers étaient ainsi contraints de rester en dehors du « Taata ». C’est ici qu’ils seront rattrapés par l’armée du roi du Djolof. Dans la logique de leur refus de se soumettre à l’autorité du roi du Djolof, certains se sont jetés dans un puits non loin de la forteresse, alors que d’autres ont été froidement assassinés. « On  ne peut pas compter le nombre de morts pendant cette triste nuit. Une seule personne a eu la vie sauve, car ayant respecté les conseils de son défunt père », a fait observer le chef de village. « Le père du rescapé, raconte Madou Diao, avait conseillé à son fils de ne pas suivre les conseils d’une femme ».

De l’avis du chef de village de Sinthiou Goundiour, après le refus des Mandingues, un membre de la délégation décida d’accrocher son outre contenant de l’eau à une branche d’un arbre. Il sera vite interdit par une femme du groupe. Celle-ci avait comme argument le fait que la branche n’était pas solide et que son outre risquerait de se retrouver à terre.

Se rappelant des conseils de son défunt père, il refusa de suivre la consigne de la dame. Il accrocha son outre ; celle-ci tomba aussitôt après et l’eau se vida. N’ayant plus d’eau dans son outre, il décida alors de partir cette nuit même vers Ndougousine. C’est comme cela qu’il s’est sauvé la vie. Et il sera le seul rescapé.

A « Thioural  Goundiour », il n’y a eu aucun survivant. Les hommes d’Alboury ont massacré tous les Peuls qu’ils avaient rattrapés près du « Taata ». Aujourd’hui, rien ne matérialise cet endroit. Seuls quelques ossements humains, visibles du fait des eaux de ruissellements, permettent de se rendre à l’évidence : nous sommes dans un « cimetière à tombes ouvertes » et sans clôture.

D’ailleurs, lors du passage, il y a seulement quelques jours, des tuyaux de raccordements du village de Thiamènes à Sinthiou Goundiour, les ouvriers sont tombés sur un cadavre qui n’a subi aucune transformation, informe Madou Diao. Ils étaient alors obligés de le contourner en changeant de passage. A cet effet, le chef de village de Sinthiou Goundiour nous montre quelques ossements humains. Cet espace se situe entre les villages de Goundiour et celui de Sinthiou Goundiour, et à un point de passage d’eau. C’est pourquoi, pendant l’hivernage, les eaux provoquent la remontée de ces ossements humains. Vivement la clôture de l’espace mais aussi le remblayage des tombes