«Notre-Dame de Paris», quand le roman de Victor Hugo se fait prophétie

Il est précieusement conservé à la Bibliothèque nationale de France (BnF) sur le site François-Mitterrand. Le manuscrit de « Notre-Dame de Paris » raconte l’histoire de ce texte aujourd’hui en tête des ventes des librairies, et rappelle l’amour de Victor Hugo pour sa muse de pierre. Certains passages acquièrent aussi une résonnance bien particulière après l’incendie de la cathédrale de Notre-Dame de Paris.

C’est un gros volume à la reliure épaisse et  à la couverture de velours rouge, conservé au dix-septième étage de la Bibliothèque nationale. Lorsqu’on l’ouvre, on lit, écrit en gros caractères à la plume, d’une encre brune « Notre-Dame de Paris ».

En lettres liées juste en dessous, Victor Hugo, fidèle à une habitude, raconte sur la première page du manuscrit l’histoire de cette rédaction qu’il achève : « j’ai écrit les trois ou quatre premières pages de  » Notre-Dame de Paris «  le 25 juillet 1830, la révolution de juillet m’interrompit, puis ma chère petite Adèle vient au monde, qu’elle soit bénie, je me remis à écrire Notre-Dame de Paris, le 1er septembre et l’ouvrage fut terminé le 15 janvier 1831. »

Rédigé en quelques mois seulement, sous la pression d’un éditeur qui menace de faire payer des pénalités de retard, l’écriture est fine, les ratures sont rares, mais cela ne surprend pas Thomas Cazentre, le conservateur qui veille sur les manuscrits de la Bibliothèque nationale.

« Tous les manuscrits de Hugo sont rédigés d’un jet, c’est quelqu’un qui écrivait très vite, certaines de ses pièces ont été écrites en quinze jours, dit-il. Ses manuscrits sont aussi toujours très propres, car Victor Hugo est le premier écrivain français qui conserva tous ses manuscrits, qui les a emmenés avec lui en exil et qui surtout, a veillé à ce qu’ils reviennent, à sa mort, à la Bibliothèque nationale. 

La fragilité des vieilles pierres

Page après page, c’est ensuite toujours la même disposition étonnante, l’écrivain n’écrit que sur la moitié droite, laissant le vide à gauche, pour d’éventuelles, mais rares, corrections. A intervalle régulier, en haut à gauche, la main hâtive de l’imprimeur écrit en gros le nom de l’ouvrier typographe qui sera chargé de la composition des pages qui suivent, lettres de plomb après lettre de plomb : Eugène, Maréchal, Michel, Levi, Bossu … »

Dès la préface, un premier extrait saisit le lecteur qui connaît l’incendie du 15 avril 2019, quand Victor Hugo avertit sur la fragilité de vieilles pierres de la cathédrale, en 1830.

« Sans doute c’est encore aujourd’hui un majestueux et sublime édifice, que l’église de Notre-Dame de Paris, mais si belle qu’elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument, sans respect pour Charlemagne qui en avait posé la première pierre, pour Philippe Auguste qui en avait posé la dernière. Sur la face de cette vieille église, reine de nos cathédrales à côté d’une ride on trouve toujours une cicatrice. »

Des mots qui s’imprimèrent dans les consciences des premiers lecteurs et influèrent rapidement sur l’opinion dans les années qui suivent la parution de l’ouvrage, qui coûtait 1 franc à sa parution. En 1843, un chantier de restauration est lancé sous l’égide de l’architecte en vogue à l’époque Eugène Viollet-le-Duc. Les travaux sont achevés en 1864, Victor Hugo est alors exilé, il ne verra la peau neuve de sa muse de pierre qu’à son retour à Paris en 1871.

« Une grande flamme désordonnée et furieuse »

Mais passé ce prologue qui s’inquiète sur la fragilité de pierres millénaires, un autre passage du manuscrit laisse songeur le lecteur d’aujourd’hui, quand, au livre X, le roman de Victor Hugo semble se faire prophétie de l’incendie. Quasimodo le bossu, élu Roi des fous au début du roman, se trouve sur le toit de Notre-Dame et voit l’armée des brigands monter pendant la nuit à l’assaut de Notre-Dame pour s’emparer d’Esmeralda. Armés d’échelle, ils progressent sur la façade, et voici alors les mots d’Hugo : « Tout d’un coup, il (Quasimodo)  se souvint que des maçons avait travaillé tout le jour à réparer le mur,  la charpente et la toiture de la tour méridionale, ce fut un trait de lumière, le mur était en pierre, la toiture en plomb, la charpente en bois, cette charpente prodigieuse, si touffue qu’on l’appelait la forêt. » Le stratagème de Quasimodo est alors ingénieux : faire fondre le plomb à l’aide de flammes et le déverser sur les assaillants.

Sur les manuscrits où ces mots furent écrits, la plume de Victor Hugo se reprend pour amplifier l’image d’une cathédrale en flammes, constate Thomas Cazentre « on voit qu’il rajoute  » si touffue  » pour évoquer cette charpente qui est aujourd’hui partie en fumées. Plus loin, il barre le mot étrange pour écrire extraordinaire quand il décrit la scène vue depuis le parvis, et il rajoute  » une grande flamme désordonnée et furieuse  » dans ce brasier qu’il imagine :  » tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église, ce qu’ils voyaient était extraordinaire, sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse, dont le vent emportait par moment un lambeau dans la fumée » ».

Un incendie qui démarre sur la charpente à la faveur de travaux de rénovation, la coïncidence malheureuse ne ferait sans doute pas sourire l’écrivain, constate Thomas Cazentre : « Je ne suis pas sûr que ça lui aurait fait plaisir d’être visionnaire sur ce point-là. »

Au grès des pages qui achèvent l’ouvrage,  le monde de Victor Hugo continue de se déployer, parfois  au-delà des mots, avec un dessin de Quasimodo, un plan griffonné du Paris médiéval, la silhouette d’un jongleur tracé à l’encre.

Après la rédaction de Notre-Dame de Paris, la silhouette de la cathédrale continuera de hanter les manuscrits de Victor Hugo, qui choisit comme ex-libris ( tampon ou vignette qui marque la possession d’un livre )  la silhouette des deux tours du monument avec ses initiales pour veiller sur la page de garde de tous ses ouvrages.

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