C’est un conflit social qui fera date dans le secteur aérien. En pleine période de vacances en Europe, des centaines de vols annulés en Irlande, en Espagne, au Portugal, en Italie, et en Belgique. Une grève lancée par les pilotes et les personnels navigants de Ryanair. La compagnie low-cost irlandaise, aux résultats jusque-là florissants, doit en partie revoir ses méthodes.
Un certain nombre de nuages noirs se profilent à l’horizon pour Ryanair, compagnie leader en Europe en termes de passagers transportés (130 millions en 2017). Le trafic continue d’augmenter, les bénéfices sont encore au rendez-vous (plus d’un milliard d’euros par an), mais en l’occurrence, ils reculent sévèrement : – 22% au premier trimestre. Le chiffre vient d’être annoncé, immédiatement sanctionné sur les marchés financiers. Plusieurs raisons : la hausse des prix du pétrole qui handicape fortement le secteur. C’est un gros élément d’incertitude. Tout comme le Brexit. La dévaluation de la livre pénalise les entreprises britanniques. C’est le cas pour Ryanair et son grand concurrent Easyjet qui craignent d’être mis à l’écart du reste de l’Europe, leur marché ultra-prioritaire.
Discussions serrées avec les pilotes
Mais ce qui inquiète peut-être plus encore la société dirigée par Michael O’Leary, c’est la nouvelle donne sociale. L’été 2017 avait déjà été explosif chez Ryanair avec des problèmes de planification des personnels navigants. Une colère qui monte et, du jamais vu en 34 ans d’existence, Ryanair obligé cet hiver de reconnaître des syndicats de pilotes. « Avant », explique un expert du secteur aérien, Ryanair « pouvait jouer des différences sociales entre les pays ». Ça ne fonctionne plus, ou moins qu’avant. Des pilotes qui au Royaume-Uni, ont accepté une augmentation des salaires de 20%. Dans les autres pays les discussions sont serrées. D’où les grèves.
Secteur hyper-concurrentiel
Il faut dire que les pilotes sont plutôt en position de force. De plus en plus d’avions circulent, mais on manque d’hommes et de femmes expérimentés pour les faire voler. On se souvient au printemps dernier des avions de la compagnie Emirates cloués au sol, faute de pilotes. Une pénurie qui vaut pour toutes les compagnies mais elle se voit encore plus chez Ryanair où le turn-over est important. En général, on n’y reste pas toute sa carrière. La compagnie irlandaise essaie d’embaucher, de former des jeunes, mais forcément dans ce secteur hyper-concurrentiel, il faut attirer avec de gros salaires, et ce n’est pas tout à fait le modèle de Ryanair.
Tous sur le même modèle
Car le secteur du low-cost est très convoité. Un spécialiste prédit que dans les trois ou quatre ans, environ 90% du trafic aérien européen se fera à coûts réduits. C’est manifestement l’avenir, y compris peut-être pour les vols long-courrier. On imagine un socle commun à bas prix, avec des services payants, à la demande. Les grandes compagnies historiques, comme British Airways et Air France, ont créé leurs filiales low-cost (Level, Joon). Les experts prévoient des disparitions (comme celle d’Air Berlin), des fusions, des consolidations. Tout le monde appliquera sur le même modèle, avec des avions si possible plus économes en kérosène.
Méthodes peu glorieuses
La grande époque des low-cost serait donc révolue, quand les étudiants ou les retraités les choisissaient uniquement pour le prix, quelle que soit la contrainte de temps. Ça plait moins aujourd’hui. Ryanair, assure un économiste des transports, va devoir s’adapter, arrêter d’envoyer ses passagers dans des petits aéroports loin des grandes villes. La compagnie devra sans doute aussi abandonner certaines méthodes peu glorieuses : exiger des subventions publiques quand on dessert un aéroport, et dans les avions, séparer volontairement les couples ou les familles pour les obliger à payer un supplément.