Ouverture d’une information judiciaire pour abus de confiance, escroquerie, tentative d’escroquerie, blanchiment de capitaux : Le groupe Tarraf se déchire pour 20 milliards de Fcfa

Un prêt de 20 milliards de Fcfa, des loyers de plusieurs millions de Fcfa, des immeubles et sociétés à la pelle…, ce sont les ingrédients du polar qui se joue autour du Groupe Tarraf. Un déchirement familial dont le dernier rebondissement est l’information judiciaire ouverte contre Said Tarraf et sa fille Allia pour association de malfaiteurs, abus de confiance, escroquerie, tentative d’escroquerie et blanchiment de capitaux. Ils sont convoqués le 16 avril prochain par le doyen des juges pour être inculpé.

Libération est en mesure de révéler que le parquet de Dakar a ouvert une information judiciaire pour association de malfaiteurs, abus de confiance, escroquerie, tentative d’escroquerie et blanchiment de capitaux contre Said Tarraf et sa fille Allia. Le dossier a été transmis au doyen des juges qui a convoqué, via la Section de Recherches, Said et sa fille pour le 16 avril prochain en vue de leur inculpation dans ce bras de fer familial autour de plusieurs milliards de Fcfa. Comment en est-on arrivé là?
Pour la petite histoire, le  groupe Tarraf a été fondé par Jamil Tarraf dans les années 70. A son décès, ses trois fils Said Tarraf Koujock, Fouad Tarraf Koujock et Adel Tarraf Koujock ont pris les commandes. Au fil des années, chacun des frères a mis ses héritiers dans le groupe en leur achetant des actions dans la société. En 2012, Fouad Tarraf est décédé. Et aujourd’hui c’est sa veuve Hiliam Tarraf, ses héritiers et leur oncle Adel qui ont initié une plainte contre Said Tarraf et sa fille Alia.
Il faut comprendre que le groupe Tarraf est composé de sociétés civiles immobilières, commerciales et industrielles. Parmi les entreprises on peut citer Inseco Sa, Mapal Sa, Nosoco Sa, Senbiscuits,  Cosepral (Jumbo), Taredia Sa, Sénégalaise d’emballage, Établissements Jamil Tarraf, Hotel Al Baraka, Dakaroise d’électroménager et Laiterie Dakaroise. Et d’autant de sociétés immobilières : Sci Al Salam, Al Jamami, And Juboo Sa, Africaine d’investissement, Senjaillet… Pour gérer toutes ces structures, le groupe a nommé Said Tarraf Koujock comme administrateur général.
Selon les héritiers et leur oncle, plusieurs entités du groupe auraient fermé ou battraient de l’aile et le patrimoine personnel des deux autres frères Adel et Fouad gravement affecté suite aux agissements de Said Tarraf et de sa fille Allia Tarraf Koujock. Ils soutiennent que le premier aurait usé de fausses convocations pour créer des assemblée générales fictives afin de parvenir à établir des procès-verbaux pour bouleverser les statuts juridiques de ces sociétés. Grace à ces assemblées, il aurait également réussi à consentir des prêts à la Sgbs à hauteur de 20 milliards au nom et pour le compte des sociétés du groupe. Pour convaincre la Sgbs, il aurait remis à la banque des cautions personnelles et solidaires des deux frères Adel et Fouad en guise de garantie en plus d’avoir imité leur signature. N’étant pas en mesure d’honorer ses engagements, Said Taraaf Koujock a signé un protocole d’accord avec la banque dans lequel il autorise la Sgbs à saisir toutes les garanties liées à l’octroi des prêts à l’insu de ses deux frères Adel et Fouad alors que ces cautions personnelles et solidaires appartiennent à ces derniers. Pour y parvenir, il aurait usé de manœuvres frauduleuses en commettant des avocats pour représenter ces deux frères. Ces derniers auraient signé le protocole aux noms de ces plaignants alors qu’ils ne détiennent aucune procuration de la part de Fouad et Adel.

Un prêt de 20 milliards de Fcfa en cause

Les plaignants signalent également que Said Taraaf Koujock aurait mis leurs biens immobiliers en location et confié la gestion à l’agence Indépendance immobilière. Celle-ci lui remettrait tous les mois les loyers qu’il encaisserait et utiliserait à des fins personnelles. Selon toujours les auteurs de la plainte, Said Tarraf Koujock aurait aussi modifié les statuts de certaines sociétés en augmentant les actions des membres de sa famille et en faisant disparaître, sur d’autres sociétés, les actions d’Adel et Fouad au profit de ses enfants et de son épouse. Il aurait aussi nommé arbitrairement sa fille Allia pour le suppléer afin de conduire et d’expédier les affaires courantes des sociétés en lui donnant toutes les procurations sur les sociétés. Pour terminer Adel, Fouad et leurs héritiers ajoutent que Said Tarraf Koujock aurait brandi des reconnaissances de dettes d’un montant global de 11,4 milliards de Fcfa que Adel et Fouad lui auraient données. Selon eux, ces documents seraient faux malgré que les signatures soient conformes. Enfin, ils accusent Saif Tarraf Koujock d’avoir vendu l’usine Cosepral (Jumbo) à des Espagnols sans les informer alors qu’il ne détenait que 35 pour cent des parts. Ils l’accusent par ailleurs d’avoir utilisé le produit de cette vente à des fins personnelles.

L’usine « Jumbo » vendue en catimini?

Des accusations démenties par Said Tarraf lors de son audition à la Section de Recherches. D’abord, il indique que  l’usine Jumbo n’a jamais été vendue mais que c’est le fonds de commerce qui a été cédé à la multinationale Galina Blanca à 601 millions de Fcfa et que l’argent a été intégralement versé à la Sgbs. En ce qui concerne le partage des revenus des actionnaires, il précise que la distribution des dividendes n’a jamais eu lieu parce que les sociétés anonymes, à savoir Laiteries dakaroises, Cosepral, Senbiscuits et Établissements Jamil Tarraf étaient déficitaires au vu de leurs engagements bancaires. Néanmoins, la direction générale s’est toujours arrangée à remettre à chacun des actionnaires un chèque à la fin du mois comme l’attesterait les copies de chèque qu’il a remis aux enquêteurs. Sur ce point d’ailleurs, les vérifications des enquêteurs ont pourtant confirmé les déclarations de Said Tarraf. D’après les gendarmes, les membres du groupe recevaient bel et bien l’argent des sociétés. De 2014 à 2017, Adel Tarraf a encaissé 400,7 millions de Fcfa alors que dans sa déposition il avait soutenu qu’il ne recevait pas d’argent des sociétés. Son fils Mouhamed a encaissé aussi 18 millions de Fcfa. D’autres virements en dollars canadiens et en euros ont été effectués pour les autres héritiers pour des montants conséquents.

L’enquête des gendarmes confond les plaignants sur les sommes empochées

Selon toujours Said Tarraf, qui s’exprimait devant les enquêteurs, il n’a jamais contracté un quelconque prêt à la Sbs au profit d’une des sociétés du groupe. C’est lorsqu’elles ont eu des difficultés que la direction générale a fait recours aux lignes de fonctionnement qui sont mises à la disposition de toute société disposant d’un compte bancaire. Une sorte de découvert bancaire, d’après lui. Lorsqu’il s’est agi de payer les banques et que la Direction générale ne pouvait plus honorer ses engagements, le tribunal a condamné le groupe et a autorisé la Sgbs à pratiquer des hypothèques forcées sur ses biens. D’après toujours lui, la réalisation de ces hypothèques a été autorisée par Fouad et Adel Tarraf Koujock contrairement aux dires des plaignants. Pour éviter que la banque ne brade ces biens, Said Tarraf déclare avoir signé un protocole d’accord en présence des avocats du groupe que sont Mes Saer Thiam et Baboucar Cissé. C’est ainsi qu’il s’est engagé à solder la créance en évitant que la Sgbs ne vende les biens du groupe. Cette créance était estimée à 20 milliards ramenés à 13 milliards de Fcfa suite à une décote consentie par la banque après gain en appel sur la procédure de saisie.
Dans tous les cas, Mohamed Tarraf assure pour sa part que concernant l’assemblée générale, qui a permis de contracter ce prêt, les signatures des autres actionnaires ont été bel et bien imitées comme l’attesterait Marie-Pascale Charbit-Lescat, graphologue à Toulouse. La Section Recherches qui veut y voir plus clair a demandé une contre-expertise graphologique auprès de l’Institut de Recherche criminelle de la gendarmerie nationale française, établie à Pontoise. Mais les résultats n’étaient pas encore parvenus au moment du bouclage du dossier désormais entre les mains du doyen des juges qui devra faire la lumière sur cette rocambolesque guerre…familiale.

Les héritiers de Fouad Tarraf assignent Said Tarraf, la Sgbs et Indépendance Immo…

Selon Libération, ce bras de fer, à l’origine d’une information judiciaire pendante au premier cabinet, se joue aussi devant le juge des référés. Des sources autorisées indiquent que les héritiers de Fouad Tarraf ont assigné Said Tarraf et la Société générale de banque du Sénégal (Sgbs) devant le juge civil dans l’affaire du prêt de 20 milliards de Fcfa. Ils ont aussi attaqué « Indépendance immo » qu’ils accusent de verser illégalement le montant des loyers mensuels des biens du groupe à Said.

… Said Tarraf poursuit Adel et son fils devant la Dic

Sur un autre front, Said Tarraf a déposé, à son tour, plainte devant la Division des investigations criminelles (Dic) contre Adel et son fils Mohamed pour abus de biens sociaux, abus de confiance, escroquerie et vol contre le premier et pour complicité de recel de ces délits contre le second. Dans sa plainte, Said Tarraf affirme que les deux mis en cause présumés auraient effectué plusieurs détournements à partir de la société Mapal Sa en revendant des produits sur le marché noir. Interrogés à la Dic, Adel et Mohamed ont rejeté les accusations en affirmant que Said a déposé la plainte pour juste se couvrir à la suite de la procédure intentée à la Section de Recherches et qui a abouti à l’information judiciaire évoquée plus haut. Les conclusions de l’enquête de la Dic ont été communiquées au Procureur de la République.