OUVREZ LE(s) BARREAU(x)

C’est à la faveur du contexte de la grève du syndicat national des travailleurs de la justice que nous tenons un bon prétexte pour cette présente contribution. Une contribution sur les métiers du droit comme le thème du forum organisé par le ministère de la justice le 01 mars 2018 au KFP. Le contexte d’alors était l’acuité du phénomène de l’émigration irrégulière qui voyait des milliers de jeunes sénégalais braver océans et déserts en quête de réalisation socio-professionnelle. Nous du Regroupement des diplômés sans emploi appelons sans cesse les jeunes à renoncer à ces macabres aventures et à explorer les possibilités de réalisation socio-professionnelle qui peuvent s’offrir à eux, chez eux. Ce forum tout comme cette contribution s’inscrivent dans une même dynamique car tous sont une bonne occasion de détection des possibilités d’insertion des diplômés en droit.

Le bailleur fait fructifier son immeuble en le mettant à la disposition d’un locataire. Le fournisseur traite avec un transporteur pour livrer la marchandise à ses clients. L’électricien, le menuisier, l’architecte, le médecin et tant d’autres sont des personnes avec lesquelles nous interagissons au quotidien avec la probabilité que surviennent des malentendus ou des problèmes.

Lorsque survient un problème avec le locataire, l’électricien, le prestataire, le domestique ou le patient et que cette personne vous attrait en justice ou que vous l’y attrayez, dans ces cas comme dans des milliers d’autres, vous avez nécessairement besoin des services d’un auxiliaire de justice.

C’est une image que nous projetons d’emblée pour montrer le rôle central, permanent et décisif que peuvent jouer les techniciens du droit dans la bonne marche de toute société éprise de justice et où le règne de l’état de droit est une préoccupation fondamentale.
Mais dans une société comme la nôtre où plus de 45% d’analphabètes ne sont pas censés ignorer la loi, il est plus qu’impératif que nous veillions à ce qu’il y’ait une efficiente ventilation du maximum de juristes à préposer à l’assistance des 17 millions de justiciables qui pourraient avoir recours aux services de la justice. Article 14 Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques.

Or, des techniciens du droit les avocats sont les auxiliaires de justice par excellence. Si nous avons convenu de traiter cette profession distinctement des autres métiers du droit, c’est parce que sa capacité d’absorption en terme d’emploi est largement supérieure à celle de toutes les autres professions réunies.

Ce qui ne veut pas dire que les autres professions sont d’enjeu moindre. Elles ont toutes ont en commun avec le barreau la faiblesse de leurs effectifs.
Les greffiers et les magistrats souffrent de l’intensité de leur charge de travail du fait de leur effectif. Un recrutement conséquent dans ce sens devait aider à rationaliser leur volume de travail pour une meilleure administration de la justice. Et quand ceux-ci sont interdits de se syndiquer ceux-là peinent à faire appliquer une pressante revendication: Leur reclassement dans la hiérarchie A2.

La décision du Ministre Ismaila Madior FALL de recruter chaque année 35 auditeurs de justice au Centre de formation judiciaire devait permettre de compenser progressivement le déficit de magistrat. Le rythme de recrutement n’a depuis lors pas été respecté.
La modification en 2015 du décret portant statut des huissiers de justice a permis de démocratiser l’accès à cette profession. Nous avions salué la tenue pour la première fois du concours d’aptitude au stage d’huissier de justice.

Le décret portant statut des commissaires-priseurs a également connu des révisions en 2008. Mais l’examen qu’il prévoit ne s’est pas encore tenu.

L’examen d’admission au stage de notaire est prévu tous les trois ans. Après la première fois en 2013, ce concours n’a été ouvert que 10 ans plus tard en février 2023.
Voilà donc très brièvement ce que nous pouvons dire de ces autres métiers du droit avant de poursuivre le plaidoyer pour l’accès au stage du barreau.

Le Sénégal compte moins de 500 avocats inscrits au tableau de l’ordre. Ce qui nous donne un ratio d’un avocat pour plus de 35000 sénégalais. Au Ghana, à près de 4000 km du Sénégal, on comptait déjà plus de 2500 avocats en 2010.

Comment a-t ‘il été possible que nous comptions moins de 500 avocats alors que les magistrats (même en nombre insuffisant) ont déjà atteint la barre des 500 ?
Comment a-t’il été possible que le Sénégal compte moins de 500 avocats alors que l’université de Dakar à elle seule produit en moyenne près de 300 titulaires de maîtrise en droit chaque année?

C’est ainsi que nous mîmes à l’épreuve les dispositions du décret 84-787 organisant l’examen d’aptitude au stage du barreau ainsi que leur mise en application.
De ses dispositions il résulte que les déclarations de candidatures sont adressées au Bâtonnier, la liste des candidats arrêtée par le bâtonnier et le jury d’examen présidé par le Bâtonnier. Un jury composé de 6 membres dont 3 avocats et la loi de préciser qu’en cas d’égalité de voix celle du bâtonnier est prépondérante. Et c’est ce flagrant conflit d’intérêt acté par la loi qui a été favorable à la transformation d’une profession libérale en une forteresse.

A cela s’ajoute le fait que l’examen d’aptitude au stage du barreau, (parlons bien d’examen d’aptitude et pas de concours d’admission), est organisé tous les 3 ans. Ce qui nous semble inadmissible au regard de la nature libérale de la profession, au regard du faible effectif d’avocats dont nous avons parlé à l’entame de notre propos mais également au regard du nombre cartouche fixé par la loi pour cet examen. Ce qui aura fini de créer un peloton de jeunes diplômés hélas inéligibles à des examens et concours auxquels leurs diplômes leur donne pourtant l’accès.

Conjugués à cela, les longs retards accusés dans l’organisation. Rappelons ici que la session 2015 de l’examen du barreau n’a été organisée qu’en 2016 et les résultats publiés en 2017. 2021 est la dernière session organisée par le barreau après celle de 2018. En attendant l’effectivité du CAPA pour la régularité de l’organisation de l’accès au barreau, notre pays gagnerait à corriger ce déficit d’avocats en convoquant les sessions du barreau national plus fréquemment.

Le taux de réussite à cet examen est aussi un bon indicateur des défauts du dispositif d’évaluation des postulants. Sur des milliers de jeunes diplômés déclarés éligibles à le subir, en moyenne moins de 25 sont admis au stage. Si la fiabilité des parchemins délivrés par nos établissements d’enseignement supérieur ne peut être remise en question, l’aptitude de leurs détenteurs également ne saurait l’être. Nous en voulons pour preuve les recours que le Regroupement a intenté contre un arrêté de l’ancien Garde des Sceaux. Le ministère d’avocat n’étant pas obligatoire dans le cas du recours pour excès de pouvoir, nous avons- formulé nos requêtes et obtenu en aval le prononcé du sursis à exécution de cet arrêté ainsi que son annulation.

Pour ce qui est des recommandations que nous avions formulées en atelier de préparation, il a été suggéré la reprise en main de l’organisation de cet examen par l’Etat. Parce qu’il faut le souligner également, cet examen est une mesure transitoire qui est appelée à disparaitre lorsque le décret fixant l’organisation de l’enseignement et l’examen en vue de l’obtention du CAPA sera adopté. Le CAPA est l’examen institué par le Règlement 05 de l‘UEMOA.

L’intérêt d’avoir un arbitre neutre est un préalable à la recherche d’un juste équilibre entre la crainte légitime d’une prolétarisation de la profession et le potentiel risque qu’un élitisme malveillant vide la profession de sa substance, de son essence, à savoir, l’offre d’une assistance accessible à tous les citoyens justiciables.

Nous suggérons également que soit étudiée la possibilité de dispenser certaines personnes de l’examen d’aptitude au stage. Dans de nombreux pays, le titre de docteur vous donne accès direct au stage du barreau sans autres conditionnalités. La possibilité que des sénégalais admis à d’autres barreaux puissent venir exercer librement chez eux est aussi une des grandes recommandations que nous avions formulées. Ne faudrait-il pas avoir autant de barreaux que de cour d’appel ?

Nous avions abordé la question de métiers qui pouvaient être promus. Notamment celui de conseiller juridique, d’assistant parlementaire que justifie la faible capacité de nos parlementaires à faire bon usage des outils de contrôle de l’action gouvernementale pourtant à leur disposition.

L’acte 3 de la décentralisation offre également de réelles possibilités d’insertion aux diplômés. La quête d’efficacité et de compétitivité dans la gestion locale a aboutit à l’installation du Haut Conseil de la Fonction publique locale. Cette institution pourrait travailler à mettre au service des structures locales toutes les ressources humaines disponibles (juristes et autres) pour une meilleure gestion des affaires locales.

Nous gardons un bel espoir que des mesures fortes seront prises dans le sens de corriger toutes les anomalies qui peuvent compromettre tout le bénéfice que le peuple sénégalais et la sous-région pourraient tirer d’un relèvement de l’effectif des avocats. Cet espoir s’appuie principalement sur la déclaration faite par le Président de la République Macky SALL à l’occasion d’une rentrée des Cours et tribunaux lorsqu’il disait vouloir inscrire au centre de sa gouvernance la proximité de la justice d’avec les justiciables. Nous diplômés en droit et sans emploi sommes disposés à y contribuer lorsque les conditions de notre participation à cette noble entreprise auront été posées.

Oumar SOW
Doctorant en Droit public
Coordinateur général du RDSES

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