Pour le Prix Nobel, les femmes scientifiques n’existent (toujours) pas

Une seule femme est présente sur l’intégralité du Prix Nobel 2021, et aucune n’a été récompensée cette année par un prix dans les trois catégories de sciences naturelles. Ce n’est malheureusement pas une surprise, car il s’agit là d’une tendance sexiste profondément ancrée depuis 1901.

Les récompenses du Prix Nobel 2021 ont toutes été remises au sein des six catégories. Sur l’intégralité des récompenses délivrées, une seule femme est présente — une sur quatorze. Dans les sciences naturelles, sur huit lauréats, tout bonnement aucune femme ne s’est vue récompensée d’un Prix Nobel lors de cette année 2021 dans les catégories médecine, physique et chimie. Ce n’est pas une surprise, et c’est un problème.

La tendance est en fait significative depuis plus d’un siècle : les femmes scientifiques semblent quasiment inexistantes dans l’univers du Prix Nobel. En 2018, Donna Theo Strickland recevait le Prix Nobel de physique. C’était la première femme à faire l’objet de cet honneur… depuis 55 ans. Et la troisième, en tout, depuis le début. Ce chiffre a grandi entre temps, en étant porté à… quatre, avec Andrea Ghez. Quatre. Sur 212 hommes dans cette catégorie.

C’est l’histoire d’un sexisme profondément ancré dans le milieu scientifique académique.

2021 : 609 hommes, 23 femmes

Le Prix Nobel existe depuis 120 ans, la première cérémonie s’est tenue en 1901. Au total, de 1901 à 2020, 876 prix ont été remis à des hommes, 58 à des femmes. Dans certains domaines, le nombre de femmes présentes se compte sur les doigts d’une main. Du côté des sciences naturelles, le Nobel de physique a récompensé 4 femmes, le Nobel de médecine 12 femmes, et de celui de chimie 7 femmes.

En 2021, si l’on ne prend ces trois domaines scientifiques ensemble, on compte donc 609 hommes récompensés contre 23 femmes depuis 1901.

Un graphique accessible sur le site Statista permet de visualiser cet écart extrêmement significatif — en vert les hommes, en mauve les femmes :

Cette disproportion n’est pas cohérente avec la proportion femmes/hommes dans ces disciplines : il y a bel et bien un biais et il est démontré. Une étude parue en 2019 dans Nature met en relation les récompenses du Nobel avec une modélisation de la présence des femmes dans les champs de recherche. La conclusion : « Le modèle révèle, avec un degré de confiance extrêmement élevé, que les femmes sont effectivement fortement sous-représentées parmi les lauréats du prix Nobel dans toutes les disciplines examinées. »

Dans le détail, l’étude rappelle que, certes, « historiquement », les femmes ont occupé « beaucoup moins de postes dans le monde universitaire » que les hommes. Mais ce constat évolue depuis la deuxième partie du XXe siècle. « La proportion de femmes dans les professions scientifiques a augmenté dans tous les domaines scientifiques au cours des dernières décennies. Malgré ce changement fondamental dans la démographie, le ratio de femmes lauréates du prix Nobel reste faible et donne l’impression d’un écart croissant entre les sexes. » D’après les chiffres de l’UNESCO, il y a 30 % de femmes scientifiques dans le monde, bien loin des 3 à 5 % de femmes ayant reçu un prix Nobel.

Ainsi, en ramenant le ratio femmes-hommes du Nobel au ratio femmes-hommes du monde universitaire, et en ajoutant la délimitation des personnes placées à des postes susceptibles de recevoir un Nobel, « nous observons que les femmes reçoivent le prix Nobel bien moins souvent que ne le suggèrent les ratios de genre du corps professoral ». La probabilité que les hommes ne soient pas avantagés est de 4 %, d’après cette étude (ce qui signifie inversement que la probabilité qu’ils soient avantagés est écrasante). Il est de toute façon improbable que seules 28 femmes aient fait des découvertes scientifiques majeures, contre 601 hommes, en 120 ans.

Mais d’où vient le biais ? Les champs scientifiques ont été longtemps présentés comme des champs « masculins » et, malgré un ratio qui s’est équilibré, les femmes font face à de nombreux obstacles dans leur progression publique dans ce milieu. L’étude précédemment citée indique qu’elles ont, encore aujourd’hui, moins accès à certaines ressources pour publier des études, par exemple. Rappelons qu’il y a quelques mois, la revue scientifique Nature admettait citer davantage d’hommes que de femmes (tout en précisant corriger peu à peu le tir). En chiffres, cela représente entre 69 et 87 % de noms masculins depuis 2005.

C’était aussi la remarque de Donna Theo Strickland, l’une des 4 femmes récompensées par un Nobel de physique en 120 ans. Lors d’une interview, elle expliquait que si elle n’avait jamais fait attention à la disproportion au sein du Nobel avant d’être lauréate, cela ne la surprenait pas vraiment : « Je veux dire, je vis dans un monde composé principalement d’hommes, alors le fait de voir principalement des hommes ne me surprend jamais vraiment non plus. »

Le « gender gap » dans le Prix Nobel ne peut donc pas être vu seulement comme le résultat d’une vieille institution qui n’évoluerait pas. Il s’agit également d’un symptôme plus profond au sein de ces champs scientifiques. Le poids de ces obstacles doit être adressé par les communautés scientifiques concernées afin de générer, entre autres choses, des ressources et des distinctions accessibles plus égalitairement.

D’ailleurs, bien que nous faisions ici un constat lié aux inégalités de genre, le bilan n’est pas meilleur pour les personnes racisées. Aucune personne noire n’a jamais gagné le moindre Prix Nobel dans les trois domaines scientifiques que sont la physique, la chimie et la médecine/physiologie, ce qui est le résultat d’obstacles racistes qui ont la vie dure dans le milieu académique.

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