Prince Zeid (ONU): «Nous ne pouvons pas faire le travail des gouvernements»

Quel avenir pour le Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies alors que les critiques fusent de la part de puissances comme la Chine, les Etats-Unis ou la Russie qui voudraient ne pas s’encombrer du respect des droits de l’homme ? A un mois de la fin de son mandat, le Haut Commissaire aux droits de l’homme Zeid Ra’ad Zeid al-Hussein, connu pour le courage de ses positions, répond aux questions de Léa-Lisa Westerhoff.

RFI : Les élections ont lieu dimanche au Mali. Avez-vous des inquiétudes quant à la capacité de l’armée à respecter les droits de l’homme quand on sait les nombreuses exactions qui ont été commises ces dernières semaines à l’encontre de la communauté peule notamment ?

Zeid Ra’ad Zeid al-Hussein : Oui, bien sûr. Le fait que 292 membres de la communauté peule, je crois, aient été tués est une source d’inquiétude d’autant plus à l’approche des élections dimanche. En termes de liberté de mouvement, de la capacité de tous les Maliens à s’exprimer librement et sans aucune intimidation. Je pense aussi aux menaces lancées par ce groupe le Jnim [Jamaat Nosrat Al-Islam Wal-Mouslimin] qui a menacé de tuer certains chefs de village dans la région de Mopti s’ils allaient récupérer leurs cartes d’électeurs. Cette pression sur les communautés est inquiétante et tant que les forces de sécurité n’arrivent pas à désarmer ces groupes d’autodéfense, nous nous inquiéterons. Espérons que les élections auront lieu sans violence et sans intimidations.

Autre sujet d’actualité le Cameroun qui vous refuse l’accès à son territoire pour enquêter sur les accusations de torture et d’exécution au Cameroun anglophone, mais aussi dans l’Extrême-Nord, comment allez-vous procéder ?

Nous avons dit au gouvernement camerounais : si vous affirmez que les informations qui circulent ne sont pas vraies, laissez-nous voir. En d’autres termes : Que cachez-vous ? Que cachez-vous si vous ne nous laissez pas entrer ? Laissez-nous entrer ! Et nous allons pouvoir examiner les faits, car les rapports sont très inquiétants. Clairement il faut une enquête, il faut que les gens rendent des comptes. Vous ne pouvez pas accuser un bébé d’être un membre de Boko Haram. Sur quelle base peut-on penser ça, même un enfant !

Mais vous n’avez pas accès, comment allez-vous faire ?

Nous n’avons pas accès, donc nous allons continuer à faire pression sur les autorités. Je n’ai pas de commandos à envoyer sur place, je ne peux pas imposer de sanctions, je peux seulement persuader et dire : vous savez même si vous ne nous laissez pas entrer, on va enquêter.  Et on va continuer à faire pression jusqu’à ce que vous nous laissiez entrer et là on rendra compte. On ne va pas oublier.

Votre mandat est de faire état des violations des droits de l’homme dans les pays. Mais quel sens a ce mandat aujourd’hui quand on voit que vous faites des rapports et que personne n’est jugé par la suite ? En République démocratique du Congo par exemple, depuis des années vous identifiez des personnes qui commettent des crimes. Et quelques années plus tard comme récemment au Kasaï, ces mêmes personnes commettent des crimes à nouveau sans que rien ne se soit passé entre les deux. Quel sens cela a ?

Oui. C’est la même situation pour le Burundi. J’ai dit aux membres du Conseil des droits de l’homme que cela ne peut pas continuer ainsi. A un moment, il faut pouvoir envoyer ces données à l’Assemblée générale des Nations unies, nous devons mettre en place un mécanisme. J’ai dit en parlant des Rohingyas qu’il faudrait mettre en place un mécanisme d’enquête internationale et indépendante où on fait une enquête et envoie ensuite tout le matériel à une institution qui commence à regarder tout cela en détail pour qu’au moment voulu, une procédure judiciaire puisse être ouverte et que justice soit rendue aux victimes. Nous avons dit tout cela aux Etats membres, ils doivent maintenant prendre leurs responsabilités. C’est à eux de dire : ok, les Nations unies nous ont parlé de cela, nous devons faire quelque chose.  Mais nous ne pouvons pas faire le travail des gouvernements. Il nous a fallu 3 ans pour avoir une enquête au Yémen, 3 ans !

Je n’ai toujours pas obtenu d’enquête au Venezuela, j’ai demandé de pouvoir faire une enquête au Nicaragua. Pour les autres pays, ce sont des enquêtes et encore des enquêtes, et à la fin les victimes vont perdre tout espoir. Elles entendent parler de ces enquêtes, elles voient des personnes venir, elles entendent parler des rapports et ensuite rien ! Je suis aussi frustrée que vous sur ce point.

N’est-il pas regrettable que les données que vous collectez ne servent pas directement à la justice internationale comme la CPI ?

Si. Il est possible pour la Cour pénale internationale ou un Etat de faire une requête et après nous en discutons. Et après analyse, nous leur transmettons un certain nombre d’informations. Si un Etat nous dit : nous savons que vous avez des informations sur tel sujet, pouvez-vous les partager avec nous ? Et en suivant un certain protocole, nous le faisons.

Au regard des réticences de nombreux Etats pour vous laisser enquêter, au regard du silence aussi globalement du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, sur ces questions des droits de l’homme, y a-t-il encore un intérêt, une place pour les droits de l’homme au sein des Nations unies ?

J’ai hérité d’une institution qui, ces 30 dernières années, n’a cessé de se renforcer. Mais dès qu’il y a un changement de direction aux Nations unies à New York, je crois que tous les secrétaires généraux au début sont inquiets de voir un haut-commissaire qui dénonce et défie les Etats membres les plus puissants des Nations unies. Il faut du temps au secrétaire général pour comprendre la valeur d’avoir un commissariat qui ose dénoncer, car au final si le haut-commissariat ne le fait pas, c’est le secrétaire général de l’ONU qui va être mis sous pression pour s’exprimer sur ces questions.

Vous avez été le haut-commissaire le plus visible avec la parole la plus libre à ce jour, pensez-vous que cela va vous survivre ?

J’espère que oui et je pense que oui. Le prochain haut-commissaire devra être direct, car il n’aura pas beaucoup le choix je crois, non pas du fait de la pression des Etats membres, car la pression la plus forte sur le Haut Commissariat aux droits de l’homme ne vient pas des Etats, elle vient des groupes de victimes, des vulnérables. Et donc mon successeur, même s’il voudra être un peu plus prudent, je ne crois pas que ces groupes de pression vont le laisser faire.