Le partage d’informations liées au terrorisme en Europe a été vivement critiqué après les attentats de Paris du 13 novembre 2015 et ceux de Bruxelles le 22 mars 2016. Les services de renseignement nationaux ont en effet jalousement gardé les informations dont ils disposaient. Dès l’été 2015, plusieurs sources savaient pourtant que des ressortissants belges et français revenant de Syrie préparaient des attentats. Qu’en est-il aujourd’hui ? Y a-t-il enfin une vraie coopération européenne en matière de renseignement ?
14 novembre 2015 : cafouillage à Cambrai. Au lendemain des attentats de Paris, Salah Abdeslam est arrêté par la gendarmerie française. Seul attaquant encore vivant du commando terroriste, il est fiché par le système d’informations européen Schengen. Mais sa radicalisation n’est pas notée. Les Français appellent leurs collègues belges après avoir laissé repartir la voiture.
George Dallemagne est député fédéral belge. ll a enquêté sur les failles et les dysfonctionnements liés à la lutte anti-terroriste franco-belge : « Ça cafouillait pas mal à l’époque, les données n’étaient pas nécessairement partagées, loin s’en faut. On se souvient notamment de l’épisode de Cambrai, quand Salah Abdeslam fuit, quitte Paris le lendemain des attentats du 13 novembre et qu’il est intercepté par la gendarmerie française avant d’être relâché assez rapidement. »
La CIA, les services de renseignement en France et en Belgique disposent dès l’été 2015 d’informations sur la préparation d’attentats par des ressortissants belges et français. Une alerte concerne même directement Salah Abdeslam.
« Certaines alertes avaient été données, notamment par des policiers de la police de Bruxelles, poursuit George Dallemagne. Malheureusement, ces alertes n’avaient pas été prises suffisamment au sérieux. [Salah Abdeslam] était simplement signalé pour suivi discret, contrôle discret, et il n’était pas signalé pour arrestation immédiate. Or, il aurait dû l’être, si toutes les informations qui avaient été collectées sur lui avaient été rassemblées et avaient été traitées correctement. »
400 millions de data
Qu’en est-il aujourd’hui ? Le partage d’informations s’est largement amélioré, explique Gilles de Kerchove, le coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme : « Les États membres partagent beaucoup plus, sinon pratiquement tout ce dont ils disposent en matière de terrorisme. Il y a une tradition dans le renseignement, qui est d’échanger plutôt bilatéralement que multilatéralement. Depuis lors, on est passé au multi-complet au sein de l’Union européenne. »
Un centre de lutte contre le terrorisme a vu le jour aux Pays-Bas. Un outil indispensable pour George Dallemagne. « Il y a là des officiers de renseignement de tous les pays de l’Union européenne et qui échangent en temps réel leurs informations concernant le terrorisme, notamment, et toutes les menaces qui peuvent peser sur les populations des pays européens », précise le député fédéral belge.
Le problème aujourd’hui est moins le partage d’informations que l’analyse de milliers de données. Gilles de Kerchove y voit le défi à surmonter ces prochaines années. « Le service de renseignement et le service de police sont maintenant confrontés à un tsunami de data ! Comment voulez-vous qu’un être humain puisse traiter 400 millions de data ? Donc vous devez faire appel à l’intelligence artificielle, vous devez développer des algorithmes de traitement de l’information – ce n’est pas simple – mais il faut aussi développer la capacité des analystes. »
L’avenir proche du cyberterrorisme
Cette nouvelle gestion d’informations capitales pourrait-elle éviter le pire aujourd’hui ? Attention, prévient le coordinateur pour la lutte contre le terrorisme : de nouvelles formes d’attaques se profilent malheureusement et l’Union européenne doit s’y préparer.
« Jusqu’ici il n’y a pas de cyberterrorisme au sens premier du terme pour faire dérailler les trains, prendre contrôle d’un centre de trafic aérien, pour prendre contrôle d’un barrage, que sais-je, explique Gilles de Kerchove. Cela pourrait se passer avant cinq ans. De la même manière, imaginez que l’on puisse, à un moment donné, procéder à des manipulations de virus. Imaginez quelqu’un qui puisse utiliser un drone et le diffuser au-dessus d’un stade de foot, etc… On est dans un scénario de cauchemar, mais il faut s’y préparer. »
Un collège européen du Renseignement a été créé à Paris en 2019. Il permet un échange d’idées, mais ne forme pas de nouveaux experts.