Programme des 100 jours: Vital Kamerhe sur le banc des accusés

Ce 11 mai s’ouvre à Kinshasa, le premier procès relatif au détournement de fonds alloués au financement du « programme des 100 jours » de Félix Tshisekedi. Sur le banc des accusés du tribunal de grande instance de la Gombe se trouvera Vital Kamerhe le directeur de cabinet, toujours en fonction, du chef de l’État congolais, avec deux co-accusés, l’homme d’affaires libanais Samih Jammal, et le responsable import-export de la présidence Jeannot Muhima.

Coup de tonnerre le 8 avril dernier, après cinq heures d’audition, Vital Kamerhe est arrêté et amené directement à la sinistre prison de Makala. Il y est détenu depuis dans une cellule collective. Ses partisans crient à un procès politique pour écarter un potentiel rival aux prochaines élections.

Selon les réquisitions du procureur en revanche, Vital Kamerhe et l’homme d’affaires libanais Samih Jammal auraient, entre mars 2019 et janvier 2020, détourné près 49 millions de dollars. Les deux hommes risquent chacun jusqu’à vingt ans de prison.

« Ce n’est pas lui qui gérait cet argent »

L’argent a été payé à la société Samibo Congo, appartenant au Libanais. Il était destiné à la construction de 1500 maisons préfabriquées au profit de cinq provinces.

Ils sont aussi accusés d’avoir détourné plus de 2,1 millions de dollars payés à une autre société de Samih Jammal, la société Husmail. Cela correspond à une avance d’une enveloppe globale de plus 57 millions de dollars destinés à la construction de 3000 maisons préfabriquées pour les policiers et militaires de la ville de Kinshasa. Les avocats de Samih Jammal rejettent les accusations de détournement parce que, disent-ils, les travaux de construction sont financés et sont en cours.

Le troisième accusé s’appelle Jeannot Muhima Ndoole, chargé du service import-export de la présidence, à qui de l’argent a été remis pour le dédouanement de ces maisons.

Mais la défense de Vital Kamerhe est confiante. Elle insiste même pour que le procès soit public (ce qui devrait être décidé demain). « Je souhaitais que toutes les audiences soient publiques, que toute la population soit informée que notre client n’est pas un voleur, pas un détourneur, et aujourd’hui, on le voit comme s’il était déjà condamné » déplore le bâtonnier Joseph Guhanika Ganywamulume, qui coordonne la défense du directeur de cabinet du président. Il faut, précise-t-il, « que toutes ces opinions n’influencent pas l’oeuvre du juge qui doit être indépendant et trancher en âme en conscience. »

Sur le fond, il « ne voi(t) rien dans le dossier. C’est au ministère public, à l’accusation de nous apporter la preuve qu’il y a eu détournement. Ce n’est pas lui qui gérait cet argent, ce n’est pas lui à qui l’État a mis cet argent à disposition, je ne vois pas pourquoi on le poursuit pour détournement. »

Dossier des sauts-de-mouton à Kinshasa

Ce n’est pas la première fois que le directeur de cabinet et allié du chef de l’État est cité dans une procédure. En effet, le 31 juillet 2019, l’Inspection générale des finances faisait apparaître son nom dans un rapport pointant le détournement de 15 millions de dollars sur de l’argent dû aux sociétés de distribution de produits pétroliers. À l’époque, Félix Tshisekedi avait soutenu Vital Kamerhe, assurant que cet argent n’avait pas été « volé au Trésor ».

C’est finalement sur un autre dossier, celui de la gestion du programme d’urgence du chef de l’État que le directeur de cabinet se retrouve à devoir rendre des comptes. Début février, sous pression de la population de Kinshasa, Félix Tshisekedi ordonne un audit sur le chantier des sauts-de-mouton qui créent des embouteillages dans la capitale.

Le Conseil des ministres, dominé par la coalition de son prédécesseur, transforme cet audit en procédure judiciaire et l’étend à l’ensemble du programme. La présidence ne s’est jamais exprimée sur cette arrestation. Officiellement, Vital Kamerhe reste le directeur de cabinet du chef de l’État.

Fébrilité à Bukavu

À Bukavu, son fief électoral du Sud-Kivu, les avis sont partagés par rapport à cette première audience et la tension monte dans les discussions au fur et à mesure que l’heure de la comparution approche, constate notre envoyé spécial sur place, William Basimike.

Place de l’Indépendance, l’un des principaux carrefours de Bukavu, toutes les opinions se croisent. Il y a des partisans de Vital Kamerhe comme Espoir, la trentaine, qui croient Vital Kamerhe victime d’un complot politique :

« Kamerhe est un grand leader du Sud-Kivu et de la RDC en général. Je crois que c’est un complot qui ne dit pas son nom. Je suis sûr, très sûr que Vital Kamerhe va sortir la tête haute et sera le gagnant de ce procès et ceux qui complotent contre lui auront tellement honte! Je le dis et je l’assume! Notre leader était à l’Assemblée nationale comme président à l’époque, il avait démissionné en 2009 et on n’a jamais appris qu’il avait volé. Pourquoi salir sa réputation aujourd’hui ? »

À deux pas de lui, il y a Édouard, 35 ans, dont l’avis est tout autre. Pour lui, le peuple congolais a besoin de connaître la vérité sur tous les bons projets annoncés mais qui n’ont jamais été réalisés :

« Évitons de faire l’amalgame dans ce qui est en train de se passer. Nous sommes en face d’une situation qui est claire : il y a eu un programme des 100 jours ; on nous a dit qu’à Bukavu on devrait avoir 20 km de route alsphaltée. Où sont ces 20 km ? C’est la justice qui peut nous dire réellement ce qui s’est passé. Pourquoi vous voulez politiser ? »

Ce lundi, le parti de Vital Kamerhe l’UNC/Sud-Kivu appelle à une journée ville morte à Bukavu. « Que tout le monde puisse observer un petit repos pendant cette journée pour que nous puissions avoir la chance de suivre la vérité que notre président national va exposer dans ce procès et que chacun d’entre nous puisse savoir ce qui est vrai et ce qui est faux dans toutes les accusations lui infligées », indique Richard Bunani, le président fédéral du parti.

La société civile comme les autres formations politiques du Sud-Kivu hésitent à embrayer le pas à l’UNC et le justifient par les difficultés socio-économiques que traversent la province suite au coronavirus.

Auteur : Rfi