Quatre présidents africains dénoncent l’inéquité du système économique actuel dans cette pédiode de Covid-19

Intervenant en vidéo conférence à l’occasion du New York Forum Institute, le président Macky Sall du Sénégal, a estimé mardi 19 mai 2020, que le moratoire sur le remboursement des dettes proposé par le G20 à l’Afrique était positif, mais très insuffisant au regard des capacités de mobilisation de ressources dont les pays qui constituent cette organisation ont fait preuve, et l’obligation de solidarité internationale, face à une pandémie qui nécessite une réponse globale.

Macky Sall (Sénégal) : « La Covid-19 a révélé l’injustice du système économique actuel dans le monde »

« Nous observons que malgré les financements très importants qui sont mobilisés quotidiennement dans les bourses de valeurs, des transactions qui se chiffrent en trillions (milliers de milliards) $ par jour, l’humanité n’a pas été capable de développer une solidarité, entre les pays. Les efforts tout à fait louables du G20 d’aller vers un moratoire sur la dette bilatérale était un pas, mais un pas encore insuffisant pour faire face aux conséquences économiques et sociales de la pandémie… Aujourd’hui nous avons des pays qui ont des capacités de dire nous levons 1000, 2000 milliards $. La simple évocation de cette volonté suffit à ces pays pour mobiliser ces ressources », a fait savoir Macky Sall, rappelant que la Covid-19 vient encore une fois de plus, prouver l’injustice et l’iniquité en cours dans le monde actuel.

Des calculs et estimations faites par Moody’s, les remboursements de dette dues en 2020 par les pays africains ne dépasseraient pas les 16 milliards $. Aussi le stock global de la dette des pays africains ressort à 335 milliards $, secteurs public et privé confondus. Ce dernier indicateur représente autour de 0,4% du PIB des pays du G20 au terme de l’année 2019, qui était estimé selon des données de la banque mondiale à 78 254 milliards $. Le président sénégalais a d’ailleurs rappelé que l’Afrique subit davantage les conséquences d’un modèle économique bâti « au lendemain de la seconde guerre mondiale, lorsque l’Afrique n’était pas encore indépendante ».

Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) : « Il y a un égoïsme des pays riches »

Le président Alassane Dramane Ouattara de Côte d’Ivoire a abondé dans la même sens, en rappelant que cette attitude n’était pas de la mendicité, mais la revendication d’un droit légitime. « Comme le disait Macky Sall, nous devons faire plus. Pendant des décennies, nous avons tous insisté, pour que les pays industrialisés, consacrent 0,7% de leurs produits intérieurs bruts, pour aider les pays en voie de développement. Avec cette crise, nous voyons que tous ces pays perdent entre 5% et 7% de leurs PIB. Je pense qu’il y a une morale à tirer de cette situation. Il y a quand même eu un égoïsme des pays riches pendant des décennies. Depuis les indépendances, ces pays en voie de développement courent après ces 0,7% de PIB et cela n’a jamais été atteint. Ce n’est pas dire que nous voulons tendre la main. Nous souhaitons des conditions au plan international pour nous aider à résoudre le problème », a-t-il fait savoir.

Mahamadou Issoufou (Niger) : « On ne peut plus éluder la question des inégalités dans le monde »

Pour Mahamadou Issoufou du Niger, la Covid-19 est venu rappeler au monde la communauté de destin que partagent ses populations et ses pays. De son avis, cela devrait conduire à la mise en œuvre d’un nouveau paradigme. « Cela suppose une nouvelle gouvernance politique et économique mondiale plus démocratique. On ne peut plus éluder la question de la réforme des institutions des Nations Unies. On ne peut plus éviter, le débat sur les inégalités, et la nécessité d’une nouvelle dynamique sur la répartition des richesses à l’échelle mondiale et de chaque pays. Cette question est purement politique. Le nouveau paradigme post-covid doit être centré, non seulement sur la lutte contre les inégalités, mais aussi sur les défis climatiques », a fait savoir le chef d’Etat, insistant sur la nécessité des pays africains à lever l’impôt.

Uhuru Kenyatta (Kenya) : « L’Afrique a toujours payé ses dettes, qu’on lui donne du temps »

Le président Uhuru Kenyatta du Kenya estime, que les bailleurs de fonds internationaux doivent faire preuve de compréhension. « Dans les conditions économiques normales, lorsque nous vendions nos produits d’exportation, nous payions de manière régulière nos dettes. Aujourd’hui nous sommes frappés par une situation qui ne provient même pas de l’Afrique. Nous avons maintenant besoin de flexibilité budgétaire, pour protéger la santé de nos populations, mais aussi s’assurer que ceux qui ont perdu leurs jobs puissent avoir des filets de sécurité. L’heure est venue pour le monde de donner à l’Afrique cette flexibilité. Une fois que nous serons de nouveau sur pied, on pourra avancer », a-t-il déclaré.

Titriser la dette internationale privée de l’Afrique : Une solution à explorer

En guise de solution, le président Macky Sall a avancé une solution, qui impliquerait tous les acteurs, tout en préservant les intérêts de tout le monde. « Il nous faut innover notamment sur la dette commerciale. C’est à ce niveau qu’il faut que des efforts soient faits, afin de soulager nos pays et qu’ils soient capables de rembourser cette dette commerciale, et aussi de poursuivre la riposte sanitaire. Le Groupe africain est en train de réfléchir sur un véhicule à mettre en œuvre, qui pourrait bénéficier du soutien ou de la garantie des pays partenaires. Les pays du G20 pourrait utiliser les droits de tirage spéciaux pour donner des garanties à ce véhicule. Les parts de ce véhicule d’investissement seront rachetées par des investisseurs, avec comme bénéfice pour l’Afrique, des maturités plus longues et des taux d’intérêts plus faibles. Voilà ce que nous demandons, ce n’est pas de l’aumône », a-t-il fait savoir.

C’est la première fois depuis le début de la pandémie que plusieurs dirigeants africains s’expriment communément sur la solidarité internationale face au Covid-19. Leurs opinions rejoignent plusieurs autres déjà exprimés, et qui demandent à reformer le statut du FMI en temps de crise, afin que l’institution devienne le prêteur en dernier ressort en temps de crise. Son intervention ne porterait pas sur le poids économique des pays et les quotas statutaires, mais sur les besoins réels des économies et des populations de chaque pays.

Auteur : Ecofin