es États-Unis disent « regretter » la décision française de rappeler les ambassadeurs à Washington et Camberra pour consultations. Une décision prise suite à l’annulation d’une gigantesque commande de sous-marins australiens à la France, à laquelle s’est substitué un engagement avec les Américains. Martin Quencez, directeur adjoint du groupe de réflexion transatlantique German Marshall Funds, évoque sur RFI les conséquences de cette crise diplomatique sans précédent.
RFI : La décision française est inédite. Même en 2003, au moment de la guerre en Irak quand les relations étaient particulièrement tendues entre Paris et Washington, nous n’en étions pas arrivés là. Quelle conclusion faut-il en tirer ?
Martin Quencez : Il s’agit vraiment de marquer à la fois le niveau de colère, mais je pense aussi le niveau d’humiliation ressenti par Paris. C’est inédit, c’est historique. Et c’est un message qui a été envoyé à la fois à Canberra et à Washington disant qu’Américains et Australiens avaient finalement mal calculé la réponse française, qu’ils avaient certainement sous-estimé le niveau d’humiliation qui serait ressenti.
Les Australiens pensaient avoir fait passer ces derniers mois un certain nombre de messages sur le mécontentement vis-à-vis du contrat qui avait été signé et que, d’une certaine manière, cela suffisait. Et les Américains pensaient que ce serait une crise qui pouvait être gérée avec Paris comme il y en a eu d’autres dans le passé. Donc, en rappelant les ambassadeurs, il y a cette idée d’envoyer un message très fort disant que ce n’est pas une crise normale. C’est quelque chose qui doit marquer un moment dans la relation transatlantique.
Paris parle de « coup de couteau dans le dos », de trahison, de confiance trahie. C’est une posture ou est-ce que la confiance est vraiment rompue entre Paris et Washington ?
Oui, il y a vraiment une confiance rompue. D’ailleurs, au-delà même des questions d’intérêts, il y a un aspect personnel, parce que Jean-Yves Le Drian était directement aux manettes pendant les négociations en 2014 et 2016 – à l’époque, il était au ministère de la Défense. Parce qu’Emmanuel Macron a rencontré Joe Biden il y a quelques mois lors du G7, que des discussions sur l’Indo-Pacifique ont eu lieu à ce moment et qu’on sait que derrière le dos des Français, au même moment, des négociations avaient lieu entre les Britanniques, les Américains et les Australiens.
Et il y a toute une génération de diplomates français qui travaillent sur des affaires stratégiques et qui ont directement participé à la négociation de ce contrat, à tout ce qu’il y avait derrière, à ce « partenariat du siècle » avec l’Australie, comme on l’appelait, et qui sentent leur travail totalement mis à bas. D’un côté, il y a une sorte de réaction personnelle, et d’un autre côté, c’est aussi intéressant que les ambassadeurs soient rappelés pour consultations.
Les deux ambassadeurs français vont donc rentrer à Paris, et vont grosso modo redire à Emmanuel Macron ce qu’il sait déjà. Au-delà du symbole, que va-t-il se passer ensuite ?
Pour l’instant, c’est d’abord une réflexion sur les conséquences de ce qui s’est passé, les conséquences sur la stratégie indo-pacifique française qui était basée à la fois sur ce partenariat avec l’Australie et le partenariat stratégique avec l’Inde. D’une certaine manière, il y a une des deux jambes de la stratégie française qui est coupée.
Il y aura également une réflexion sur conséquences pour les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie car les intérêts que la France peut avoir dans ces relations dépassent largement ce contrat. Il faut voir ce que l’on peut mettre sur la table dans de nouveaux dialogues avec ces pays, voir ce qu’on peut récupérer finalement en compensation.
Est-ce que c’est une manière pour Paris de faire pression pour obtenir des compensations ? Et si oui de quelle nature ? Financière, politique, diplomatique ?
Financière, c’est fait. C’est à la marge. C’est véritablement un enjeu diplomatique et stratégique de comprendre véritablement le futur de notre relation avec l’Australie, avec la Grande-Bretagne, avec les États-Unis, dans la région indo-pacifique où la France garde des intérêts et qui reste une des priorités de la politique étrangère.
On n’a pas beaucoup entendu les Européens sur le sujet, Paris n’a pas reçu beaucoup de soutien. Est-ce que tout de même cet épisode, après le fiasco afghan qui a laissé un goût amer dans de nombreuses chancelleries européennes, est de nature à renforcer l’unité européenne autour des questions de défense ?
Je ne pense pas. Je pense qu’il y a dans la réaction européenne à nouveau une illustration du fait qu’on réfléchit très différemment à Berlin, à Varsovie ou dans d’autres capitales sur le futur de la relation transatlantique. Tous les Européens sont évidemment étonnés pour le moins du fait que l’Union européenne ait été mise complètement de côté. L’UE n’était même pas au courant de cette nouvelle alliance avec l’Australie, et la France se retrouve un peu comme le dindon de la farce.
Cela ne va donc pas changer grand-chose…
Non, car les Européens ont peur que la France surréagisse et demande finalement une réaction européenne à ce que beaucoup d’Européens voient être comme un problème franco-américain.
RFI