Ravalomanana-Rajoelina: deux ex-présidents à la reconquête de leur pays

Dans les grandes lignes, les parcours de Marc Ravalomanana et d’Andry Rajoelina ont de nombreuses similarités. Tous deux ont commencé leur carrière politique en remportant, dès la première tentative, le fauteuil de maire de la capitale (en 1999 pour Ravalomanana, en 2007 pour Rajoelina). Un tremplin pour accéder ensuite à la fonction suprême ; Marc Ravalomanana par les urnes, en 2002 puis 2007 et Andry Rajoelina en 2009, par ce que la communauté internationale qualifiera de « coup d’Etat », forçant ainsi le premier à quitter la présidence précipitamment… Portraits croisés de deux candidats animés par une obsession : celle de gagner l’élection.

Entrepreneurs à succès, l’un dans l’agro-alimentaire, l’autre dans la communication, Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina, déjà bien nantis, ont profité de leur passage à la tête de l’Etat pour accroître considérablement leur fortune. Puis tour à tour, ils ont connu l’humiliation, le rejet et l’exil. De retour sur l’échiquier politique, tous deux affirment qu’ils ont mûri. Et cela semble avoir convaincu puisque les voilà face à face pour un duel par les urnes. Leur campagne n’a pourtant pas volé très haut, chacun jetant les frasques du concurrent en pâture et dénigrant à la première occasion l’adversaire lors de vils règlements de comptes par meetings interposés. Alors les deux hommes ont-ils véritablement changé ?

Rajoelina, le roi de la com

Un homme en avance sur son temps. Visionnaire. Et parfois même « révolutionnaire », comme l’affirme son bras droit, ami et conseiller spécial Augustin Andriamananoro : « Dès le début, Andry, on l’a surnommé « TGV ». Il avait mille idées à la minute. Parfois des brillantes. C’est lui qui a bouleversé l’affichage publicitaire à Madagascar. » Et c’est sans doute son plus gros point fort, la communication. « Andry Rajoelina est un génie en la matière », explique Mbolatiana Raveloarimisa, activiste au sein de plusieurs organisations de la société civile ; « il pourrait vendre n’importe quoi. Il arrive à convaincre les gens jusqu’à les rendre totalement amnésiques ! », dit-elle encore.

Andry Rajoelina, le 1er février 2018, à Paris, en France. © THOMAS SAMSON / AFP

Mais, s’il a été un atout pour la capitale en tant que maire, il est celui, qui, selon elle, a détruit le pays durant la transition : « Son truc, c’était de poser la première pierre. Et systématiquement, dans la tête des gens, ça s’est transformé en « Andry Rajoelina a construit le building ». Pourtant, en terme de réalisations, il n’a quasiment rien fait. Il aurait pu changer le pays parce qu’il avait de l’ambition. A la place, lui et son entourage l’ont miné et l’ont vendu au plus offrant. Les trafics de ressources naturelles ont explosé sous son mandat. Et aujourd’hui il ose se présenter comme le sauveur ? C’est trop facile, moi je refuse d’être amnésique. »

Ravalomanana, le résilient

Il se pensait inébranlable, la fureur de la rue en a décidé autrement. Poussé à la démission par le jeune maire de la capitale, l’année 2009 est une claque pour le président autoritaire. Blessé, Marc Ravalomanana part en exil : il restera quatre ans et demi en Afrique du Sud. Pendant ce temps, il sera condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité pour la mort d’une quarantaine de partisans d’Andry Rajoelina abattus le 7 février 2009 devant le Palais présidentiel. Mais, de Pretoria, le président déchu ne s’avoue pas vaincu et travaille à son retour. Pour Guy Rivo Randrianarisoa, son homme de l’ombre depuis 1998 et conseiller spécial, sa capacité de résilience a été incroyable : « Aucun autre président en Afrique n’est jamais tombé aussi bas que lui et n’a réussi à revenir là où il est aujourd’hui. Quand après dix ans d’absence, vous avez plus de 35% des gens qui votent pour vous au premier tour d’une élection présidentielle, et qu’au fond de la brousse, des gens qui n’ont pas accès aux médias vous choisissent encore à 80%, ce n’est pas anodin. Le président a su laisser des traces réelles et visibles pour que la population ne l’oublie pas. Les jeunes, les vieux… ici, tout le monde l’appelle « Dada ». Ses partisans ont une grande affection pour lui, et ce n’est pas superficiel. »

Marc Ravalomanana s’exprime devant ses partisans lors de son premier meeting, au stade Mahamasina, à Antananarivo, le 25 août 2018. © RIJASOLO / AFP

Le retour de deux guerriers

Les deux candidats ont changé. Rajoelina l’a dit lui-même sur notre antenne ; pour Ravalomanana, ce sont ses proches qui l’affirment. Connu pour son caractère impulsif, son égocentrisme, aussi, l’industriel se serait adouci. « L’autoritarisme, c’est sa nature, son point fort », explique Guy Rivo Randrianarisoa, « c’est ce qui a fait que de petit vendeur de lait, il a réussi à bâtir un empire, puis est devenu président. Quand il se dit « je dois faire ça », il le fait. Et il voulait que tout le monde soit comme lui. Mais depuis 2010, il a changé », explique encore son conseiller.

Autoritaire, l’homme le serait toujours. Mais il écouterait plus, consulterait plus, aussi. « Quand il était au pouvoir, poursuit son bras droit, il s’est comporté comme un homme d’affaire. Il a conduit le pays comme une entreprise, a voulu en faire une success story. Sauf que, face à lui, il y avait des politiciens… » Aujourd’hui, son entourage confirme qu’il s’est apaisé, que le cheval fou en lui s’est tu pour laisser apparaître un homme politique mature, réfléchi, qui a appris à prendre du recul avant de s’exprimer.

Coïncidence ou stratégie de communication, les partisans de son adversaire revendiquent les mêmes nouvelles qualités pour leur poulain. Le Rajoelina de la transition est décrit comme un artiste un peu naïf. « Il a accordé sa confiance trop facilement. Et il s’est fait piéger », murmure-t-on autour de lui. « Il a accédé au pouvoir mais sans avoir l’expérience politique », confesse Augustin Andriamananoro. « Désormais, il s’est formé ; il a acquis l’expérience politique et il compte bien accéder au pouvoir ». Finies donc les improvisations. Ses discours sont répétés. L’homme est briefé par une cellule de communication pointilleuse et attentive au moindre faux pas. En interview, plusieurs personnes l’assistent. Ses détracteurs l’accusent même d’avoir participé au premier débat télévisé le 9 décembre dernier, muni d’une oreillette et de son smartphone grâce auxquels il recevait des informations en temps réel.

« Andry a muri, il est plus rationnel ». L’homme s’est surtout entouré d’une équipe de redoutables techniciens, compétents dans leur domaine. Quant à ses fréquentations sulfureuses qui lui ont causé bien des déboires durant la transition, l’entrepreneur se fait discret. Et rechigne à lever le voile – comme son concurrent d’ailleurs – sur ses généreux business angels qui le soutiennent depuis le début de la campagne.

Du rêve et des promesses

« Nous accroîtrons les surfaces rizicoles pour atteindre l’autosuffisance en riz en cinq ans ! Nous construirons des hôpitaux, des routes, des lycées, des écoles, des stations d’épuration, des barrages, des centrales solaires, des forages… ». A chacun de ses déplacements, Rajoelina sort l’artillerie lourde. Et les étoiles dans les yeux des spectateurs venus en masse ne tardent pas à briller. Il promet de faire de Tamatave et Mahajanga le Miami et la Côte d’Azur malgaches. Des promesses tellement renversantes qu’elles sont raillées par le clan adverse. Raillées aussi, ses propositions ultra-technologiques pour lutter contre l’insécurité en brousse. Le candidat numéro treize projette de réduire de moitié en deux ans le vol de zébus, un véritable fléau sur l’île. Il propose, démonstration à l’appui lors de la conférence sur la sécurité organisée par son mouvement le 29 novembre dernier, de placer des puces sur les bovidés pour les pister en cas de vol et d’utiliser des drones pour traquer les dahalos (voleurs). Des projets novateurs et bénéfiques pour le pays. Mais quand on confronte l’ex-président de la transition à ses maigres réalisations durant son passage à la tête de l’Etat, lui et ses partisans brandissent systématiquement le même argumentaire : la fameuse feuille de route de sortie de crise. Un « document contraignant qui a dicté les actions et le calendrier de Rajoelina et imposé une cohabitation avec différentes forces politiques », explique son camp.

Sur une place de marché à Antananarivo, capitale de Madagascar. Le prix du riz a plus que quadruplé et le délestage électrique reste un problème. © Getty Images/Martin Harvey

Côté Ravalomanana, les promesses ont l’air plus réalistes. Décentralisation effective, augmentation du budget de fonctionnement des communes, éducation gratuite et obligatoire de 5 à 16 ans, santé pour tous… Mais, attention aux mirages, prévient Mbolatiana Raveloarimisa : « Durant ses précédentes campagnes, Ravalomanana a fait plusieurs promesses bêtes. Il a promis qu’il offrirait une voiture 4L et un frigo à toutes les familles, qu’il verserait également une somme d’argent mensuelle. Les gens y ont cru ; et aujourd’hui, amers, ils se souviennent ». Rajoelina aussi avait fait des promesses en 2009. Du riz à 500 ariary le kilo et de l’huile à 2 500 ariary le litre, la suppression du délestage en six mois… Des promesses jamais tenues, elles non plus. Le prix du riz a plus que quadruplé et le délestage reste un problème quotidien en ce moment, dans les grandes villes du pays.

Alors qui croire ? Qu’espérer face à de telles promesses jamais chiffrées ni budgétisées ? Les électeurs sont amenés à se prononcer mercredi 19 décembre. La réponse des urnes sera connue début janvier 2019.

 

 

 

rfi