RDC: quels enseignements de la loi de répartition des sièges?

La loi de répartition des sièges à l’Assemblée nationale de RDC a été promulguée ce 8 mai par le président Kabila. Pendant ce temps, une délégation de l’Organisation internationale de la francophonie est à Kinshasa pour réaliser un audit sur le fichier électoral toujours très contesté (lire encadré). Le 6 avril dernier, la commission électorale avait déjà annoncé la radiation de plus de six millions d’électeurs, plus de cinq millions de doublons et près d’un million de mineurs. Mais l’opposition et des experts électoraux continuent de critiquer les statistiques électorales présentés par la Céni. Et pourtant, c’est sur la base de ce fichier que la répartition des sièges à l’Assemblée nationale s’est faite. Analyse.

Dans cette loi de répartition, aucun siège n’est prévu pour les Congolais de l’étranger dont l’enrôlement devrait débuter en juillet, selon le calendrier électoral. Il est prévu qu’ils ne puissent voter que pour le scrutin présidentiel. Même si la Céni parle aujourd’hui d’un vote difficile à organiser, elle n’a jamais annoncé que les Congolais de l’étranger ne seraient pas exclus du vote. Ensuite, entre les chiffres présentés par la commission électorale le 6 avril et ceux contenus dans la loi, il y a des écarts. Selon une source à la Céni, ce serait parce que les opérations de dédoublonnage se seraient poursuivis après l’annonce des statistiques. Mais au lieu de perdre des électeurs radiés, certaines provinces en gagnent de manière significative entre avril et mai 2018 comme la Tshopo (+74762), le Kwilu (+37 320), le Sud-Ubangi (+25 769) et le Lomami (+14 292).

Des variations de la population électorale inquiétantes

Ce sont d’autres écarts – ceux de la croissance de la population électorale – qui inquiètent l’opposition et les experts électoraux congolais comme étrangers. Entre 2011 et 2018, la moyenne nationale de progression de la population électorale est de 20%, ce qui est déjà élevé. Cela pourrait en partie s’expliquer par l’enrôlement des mineurs en âge de voter au 31 décembre 2018. Mais en sus de cela, une vingtaine de circonscriptions électorales gagne encore bien plus d’électeurs : entre 35 et 45% en moyenne. La province du Sankuru, une province rurale, est celle qui connaît l’accroissement le plus important avec 46% en moyenne. Ces écarts sont d’autant plus troublants que certaines grandes villes Mbuji-Mayi, Mbandaka, Gbadolite et d’autres circonscriptions des provinces de l’Ouest, elles, ont perdu des électeurs depuis 2011.

Pour Jason Stearns, directeur du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), ces écarts sont d’autant plus inquiétants que les deux reports successifs des élections étaient destinés à fiabiliser le fichier : « On arrive en 2018, après avoir dépensé des centaines de millions de dollars pour réenrôler tout le monde avec un fichier électoral qui pour moi au moins est plein de problèmes. Je commence par voir les divergences dans la croissance de populations entre les différentes provinces. Il y a des provinces où la population a augmenté dramatiquement, de 46% ; il y a d’autres provinces où la population ne bouge presque pas. Qu’est-ce qui explique cela ? », s’interroge le chercheur. « C’est un problème démocratique, conclut-il. Le fichier électoral sert pour la répartition des sièges au sein du Parlement. »

L’Ouest perdant après le découpage en 26 provinces

Entre 2011 et 2018, le Congo est passé de 11 à 26 provinces en 2016, ce qui complique la comparaison des statistiques officielles produites par la Céni ou les équilibres dans la nouvelle loi de répartition des sièges. A l’occasion de cette réforme administrative, le nombre de circonscriptions a augmenté de 169 à 181.

Mais c’est essentiellement dû au découplage de villes avec les territoires dont elles sont le chef-lieu. Par exemple, au lieu d’avoir la circonscription Gemena, on a deux circonscriptions : Gemena ville et territoire. Mais au-delà de ce découplage, les circonscriptions restent globalement les mêmes, les règles de calcul et notamment du quotient électoral n’ont pas changé, ce qui permet de comparer l’évolution de la répartition des sièges entre 2011 et 2018.

Avec ce découpage, les ex-provinces de l’Equateur et du Kasai Occidental, réputées proches de l’opposition, perdent chacune quatre députés. D’autres provinces démembrées en gagnent, comme l’ancienne Province orientale, l’ex-Katanga ou l’ex-Kasaï Oriental, mais uniquement grâce à ces augmentations spectaculaires de leur population électorale dans certaines de leurs circonscriptions.

Peu d’impact des conflits sur les provinces de l’Est

En tout cas, les conflits et les déplacements massifs de population n’ont que peu d’impacts sur l’évolution de la répartition des sièges pour les provinces de l’Est. Le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et l’Ituri voient leur population électorale augmenter conformément à la moyenne nationale et conservent ou gagnent même des députés. Seuls le Kasaï Central, Kasaï et Tanganyika voient leur population croître dans des proportions un peu plus faibles et perdent des députés, mais comme d’autres circonscriptions ou villes des provinces de l’Ouest réputées en paix comme Mbandaka, Gbadolite, Mbuji-Mayi, qui perdent, elles, non seulement des sièges mais aussi des électeurs depuis 2011.


■ Des représentants des partis associés à l’audit de l’OIF

Les experts de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ont entamé les consultations avant de commencer le travail de l’audit du fichier électoral. Au total, huit experts de l’OIF sont arrivés à Kinshasa pour ce travail. A la suite de la première réunion tenue lundi avec la Céni, les termes de référence de leur mission ont été validés. Il a été convenu que pour renforcer le caractère transparent de l’audit que des experts venant de la classe politique soient associés à ce travail en qualité d’observateurs.

Ce mardi, les partis de l’opposition UNC, MLC  et UDPS ont envoyé les noms de leurs délégués, la majorité présidentielle et la société civile également. Les experts ont rencontré quelques acteurs politiques pour notamment recueillir les avis sur cet audit prévu dans le calendrier électoral par la Céni et réclamé tant par l’opposition que par la société civile.

La Céni annonce qu’un comité ad hoc sera mis en place ce mercredi. Il sera composé de 12 membres dont 9 viendront de la classe politique et de la société civile. Et les trois autres viendront d’autres partenaires. Ce comité aura notamment comme rôle de proposer des recommandations et autres observations pour renforcer la transparence de cet audit.

 

RFI