Mardi 12 mars, devant la Chambre des communes, Theresa May, la voix fatiguée, a regretté la décision des parlementaires britanniques. Par 391 voix contre 242, ils ont rejeté l’accord de sortie de l’Union européenne conclu par la Première ministre lundi à Strasbourg. Second refus en deux mois. A 16 jours de la date officielle du Brexit, le Royaume-Uni est plongé dans une immense incertitude.
Elle a une voix d’outre-tombe, mais de toute façon, plus grand monde ne l’écoute : bancs clairsemés dans les rangs du gouvernement et de la majorité mardi, et encore une défaite humiliante pour Theresa May qui, deux mois après une première claque, n’a réussi à convaincre qu’une quarantaine de députés.
Dès aujourd’hui mercredi, au lendemain du rejet de l’accord arraché par Theresa May auprès du président de la Commission européenne, les parlementaires britanniques doivent dire s’ils souhaitent une sortie de l’UE sans accord. Et si le « non » l’emporte, ils devront alors voter jeudi pour un report du Brexit.
L’Union européenne a bien évidemment suivi le vote de mardi avec attention. Le Parlement est actuellement réuni à Strasbourg. « Ce n’est pas parce que nous nous nous attendions à ce résultat que nous n’en sommes pas profondément préoccupés », confiait mardi soir l’eurodéputée française Nathalie Griesbeck.
Un sentiment largement partagé au sein de l’UE, constate notre envoyé spécial à Strasbourg, Quentin Dickinson. Pour le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas par exemple, nous sommes tout bonnement en train de glisser sur la pente fatale qui mène au « Brexit dur », c’est-à-dire sans accord préalable.
Les députés britanniques libres de leur choix
Ce mercredi, Theresa May devrait proposer la nouvelle motion aux Communes, à qui il sera demandé de se prononcer sur ce Brexit sans accord. Selon toute probabilité, cette hypothèse sera elle aussi rejetée, mais sans que l’on aperçoive par quels moyens les parlementaires pourraient l’empêcher de se produire.
« Il doit y avoir un nouveau vote pour savoir si les députés soutiennent un « no deal », une sortie de l’Union européenne sans accord. Ce qui supposerait de retomber sur les règles de l’OMC. Il est très peu probable qu’une majorité des députés aille dans cette direction », estime la politologue Sophie Heine.
Pour la chercheure associée à l’université d’Oxford, « ce qu’il est important de souligner, c’est que les députés auront un véritable choix. Ils pourront décider en âme et conscience, il n’y aura pas de consigne de vote de la part de Theresa May ». Une liberté que Sophie Heine attache à la tradition britannique.
« Après sa tentative de mettre beaucoup de pression les membres de son propre parti, en créant une atmosphère de tension, je pense que c’est quelque part une façon d’accepter le jeu de la démocratie parlementaire », ajoute Mme Heine. A ses yeux, un député doit en effet suivre son électorat, mais aussi sa conscience.
Accélérer la mise en place de mesures d’urgence
Ceci dit, le fait de ne pas donner de consigne de vote est aussi une manière d’acter que plus personne n’écoute Mme May. Sa voix est finalement devenue une métaphore de ce qui lui arrive : éraillée. Mardi, vraiment, elle pouvait à peine s’exprimer, insiste notre envoyée spéciale à Londres, Anissa El Jabri.
« Mais qui dirige ce pays ? Qui est en charge ? » Question posée tard dans la nuit par les journalistes de la BBC, la radio-télévision britannique, sidérés du climat qui règne actuellement au Royaume-Uni. La survie politique de la Première ministre est donc à nouveau posée, et dans son camp au premier chef.
De son côté, le négociateur en chef de la partie européenne, le Français Michel Barnier, ne se fait aucune illusion : pour lui, il faut maintenant accélérer la mise en place de mesures d’urgence destinées à atténuer le chaos que ne manquera pas de déclencher une absence d’accord dans 17 jours exactement.
D’autant que sans accord, rappelle M. Barnier, pas de période de transition. Lors d’un dernier vote, la Chambre sera alors amenée à demander à Mme May de retourner chez Donald Tusk et Jean-Claude Juncker pour solliciter une prolongation de la période de deux années, qui prend fin le 29 mars prochain.
Theresa May peut-elle espérer un troisième vote ?
Les Vingt-Sept, dont l’unanimité est requise pour ce faire, ne sont pas opposés par principe à ce recours. Mais ils y mettront trois conditions : que Londres dise pour quel objectif, pour quelle durée et avec quelle chance de succès. On reste aujourd’hui très loin des réponses concrètes qu’exigent ces questions.
De nombreux députés ont déjà indiqué qu’ils ne permettraient pas un « no deal », une sortie sans accord du bloc européen, relate notre correspondante à Londres, Muriel Delcroix. On s’attend donc à ce que le Parlement rejette un divorce avec une coupure des liens nette, la solution préférée des ultra-brexiters.
Que veut le Parlement : des élections anticipées, sortir avec un autre accord, ou organiser un second référendum ? Les députés n’arrivent pas à trouver de majorité en faveur d’un scénario. Mme May continue donc de brandir son accord, qu’elle ne désespère pas de proposer au vote une 3e fois en ultime porte de sortie.
Avant le vote, mardi, le député en charge de la discipline chez les conservateurs estimait qu’une nouvelle défaite entraînerait « aussi sûr que la nuit suit le jour une élection générale dans les prochains jours ou semaines, la situation actuelle au Parlement n’étant pas tenable ». Mais pour l’heure, aucune démission en vue.
A Londres, la presse s’interroge sur l’avenir du pays et de Theresa May
« Jusqu’à quand le pays peut-il encore endurer ça ? », s’interroge en Une le Daily Express, tandis que le quotidien en ligne The i estime la situation « hors de contrôle ». Pour le Guardian, le Mirror et le Financial Times, avec cette seconde défaite « humiliante », les députés ont infligé un nouveau coup à l’autorité déjà « en lambeaux » de Theresa May. Et il semble quasiment sûr désormais que la sortie de l’Union européenne sera repoussée.
Pour le Financial Times, il est temps que le Parlement reprenne le contrôle et se dirige vers un Brexit plus doux, une sortie en conservant des liens plus proches avec l’UE. Nombre de journaux s’interrogent aussi ouvertement sur la survie de la Première ministre. L’une des éditorialistes du très eurosceptique Telegraph écrit que le pays a besoin d’un nouveau dirigeant « audacieux », capable de négocier avec « cran, vision et du cœur au ventre ».
Rfi