Le sélectionneur français du Maroc se confie au « Figaro » sur l’importance que revêt le football pour le continent africain.
Battu par l’Iran en ouverture de la Coupe du monde vendredi (0-1), le Maroc d’Hervé Renard abat sa dernière carte face au Portugal ce mercredi (12 h) à Moscou. Une défaite et les Lions de l’Atlas en auront déjà terminé avec leur Mondial. Rencontré en janvier dernier lors du Championnat d’Afrique des Nations Total à Casablanca, le technicien de 49 ans, passé notamment par la Zambie, l’Angola et la Côte d’Ivoire (entrecoupées d’expériences à Cherbourg, Sochaux ou Lille), évoque le lien particulier qu’il entretient avec le continent africain. Entretien.
Qu’ambitionne-t-on quand on se retrouve dans la poule la plus difficile du Mondial en compagnie de l’Espagne et du Portugal ?
On veut créer la surprise. Ça paraît difficile mais pourquoi on ne tirerait pas notre épingle du jeu ? Franchement, qu’a-t-on à perdre contre l’Espagne ou le Portugal ? Je suis un optimiste et j’ai envie de vous dire qu’on a uniquement à gagner dans cette compétition. Je veux qu’on soit à la hauteur de l’événement. Une question demeure : est-on capable de perturber des nations aussi fortes ? J’ai confiance en mon groupe, composé de certains joueurs de grand talent. Maintenant, on ne va pas fanfaronner et encore moins être suffisant. Rien ne nous le permet.
Imaginez-vous, dans un futur proche, un pays africain soulever la Coupe du monde ?
J’en suis persuadé. Le Ghana n’était pas loin en 2010 (quart de finaliste contre l’Uruguay) et j’espère qu’il ne faudra pas attendre qu’un pays africain organise (de nouveau) une Coupe du monde pour que cela se produise. Il faut qu’une équipe africaine se faufile dans le dernier carré, voire plus. Cela donnerait un respect plus important pour ce continent au niveau footballistique. Il y a un décalage entre le nombre de joueurs de qualité que ce continent produit pour le foot mondial et le niveau des sélections. À nous de faire changer ça.
L’Afrique souffre-t-elle d’un manque de respect ?
Il se gagne sur le terrain. Ce n’est pas une critique, mais les équipes africaines ne sont pas assez régulières, pas encore capables d’enchaîner deux ou trois qualifications pour la Coupe du monde et d’y obtenir des résultats. Le Ghana ou la Côte d’Ivoire ne sont pas en Russie. Le manque de continuité et de performance du foot africain est la cause des résultats pas très enthousiasmants dans les Mondiaux.
Le football est-il plus un jeu en Europe ou en Afrique ?
En Afrique. Ce continent va forcément passer, via ces têtes d’affiche, par plus de médiatisation ou de business dans les années à venir. C’est le monde d’aujourd’hui qui veut ça. En revanche, il faut garder cette authenticité et cette passion du foot africain qu’il n’y a pas en Europe, en dehors de certains pays. En France, on n’a pas la culture footballistique connue en Afrique. Ici, le foot est exceptionnel. Tu vis la même chose en Amérique du Sud et pas ailleurs. La passion est débordante, excessive, parfois terrible.
La folie peut même parfois s’emparer du peuple africain autour du foot…
Je n’ai pas été surpris, on me l’avait raconté. Cela fait dix ans que je suis en Afrique. En 2007, j’étais adjoint de Claude Le Roy au Ghana et, cinq mois après mon arrivée, le pays organisait la Coupe d’Afrique des Nations. C’était monstrueux en termes d’engouement. Avant la compétition, on revenait d’un stage aux Émirats et 3 000 spectateurs nous attendaient sur le tarmac de l’aéroport. J’arrivais de Cherbourg en National (3e division), autant vous dire que le contraste était saisissant. Je me suis dit : «Où je débarque ?»
Comment vit-on le foot au Maroc ?
Il y a une pression folle. C’est difficile pour moi de sortir dans les rues, car les gens te sollicitent, te parlent de foot, des joueurs, des attentes du pays. Je ne peux pas vivre une vie normale. C’est mieux que de recevoir des cailloux. Il faut donc vivre avec et s’adapter.
Quelle relation vos joueurs entretiennent avec la France ?
On a pas mal de joueurs qui sont d’origine française, parfois nés en France avec des parents qui ont immigré là-bas il y a quelques décennies. J’ai des joueurs qui débarquent aussi des Pays-Bas, de Belgique ou d’ailleurs en Europe. Je fais une causerie en français et en anglais, et il faut rajouter l’arabique qui est aussi parlé dans le vestiaire. Je ne parle que quelques mots en arabe, mon adjoint, Moustapha Hadji, s’en charge. Mais au moins je parle deux langues qui regroupent les trois quarts du groupe.
Quelles relations vos joueurs ont par rapport au Maroc ?
Elle est forte. Sinon, ils n’auraient pas joué ici. Pour porter les couleurs d’une sélection, il faut le faire avec son cœur. Si ce sont les contraintes sportives qui guident tout, c’est difficile, voire impossible, que cela fonctionne. Si vous choisissez une sélection européenne, c’est aussi pour la performance, et je le comprends. Un Zinédine Zidane qui choisit la France, il aura plus de chance de remporter des choses et de s’exposer au foot international que s’il avait joué avec l’Algérie. Faire l’inverse, choisir le Maroc plutôt que la France ou l’Espagne, ce n’est pas facile car on va forcément moins gagner. C’est souvent un choix du cœur. Chez nous, ça se passe bien. Depuis que je suis là, je n’ai jamais eu de problème.
Que vous ont apporté ces expériences en Afrique en tant qu’homme ?
Je ne suis plus le même. Ça a changé l’homme que j’étais à travers des rencontres, des cultures différentes. L’Afrique a totalement changé ma vie. Mon regard sur la vie, ma façon d’être. Quand on parcourt l’Afrique, on se rend compte de tellement de choses et, surtout, de notre chance. Le Maroc, ce n’est pas la même chose que la Zambie. Même si c’est sur le même continent, c’est différent. J’ai vu des gens se contenter de peu et être heureux. En France, on a beaucoup et on est malgré tout jamais totalement satisfait. En Afrique, tu as une liberté de vie qu’il n’y a pas en Europe. Ici, tu as plus l’impression de pouvoir t’amuser, de profiter, alors qu’en France et en Europe j’ai l’impression que tout est plus régulé, restrictif, voire interdit. Il faut des règles, mais pas trop non plus car ça peut tuer la liberté. Il faut trouver ce juste milieu. Être libre, c’est fabuleux.