La France n’est pas le seul pays d’Europe à avoir entrepris de réformer son régime de retraite. Pérenniser le système de pension est un enjeu pour beaucoup de ses voisins.
Les pays du Vieux Continent ont tous un point commun : une population qui vieillit et une fécondité qui baisse. À cela s’ajoute une meilleure espérance de vie, ce qui veut dire plus de temps passé à la retraite, et une entrée plus tardive dans la vie active. Résultat : de moins en moins de gens en âge de travailler, et donc pour financer les retraites de seniors de plus en plus nombreux.
Malgré de grandes disparités, les pays d’Europe du Sud et d’Europe de l’Est étant par exemple beaucoup plus affectés par la baisse de la fécondité que ceux du centre ou du nord de l’Europe, partout, le nombre de retraités par rapport au nombre de personnes en âge de travailler s’accroît.
Selon les données du dernier rapport de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), publié fin novembre, alors que dans les années 1950, l’Europe comptait en moyenne près de sept personnes en âge de travailler (entre 20 et 64 ans) pour un retraité, ce ratio sera de trois en 2020. Et de moins de deux actifs pour un retraité à l’horizon 2050.
« On savait depuis le milieu des années 1970 que cette question démographique allait se poser pour l’ensemble des pays développés, explique Hervé Boulhol, responsable retraites et vieillissement démographique à la direction de l’emploi et des affaires sociales de l’OCDE. La stratégie adoptée a d’abord plutôt relevé de la politique de l’autruche. Et lorsqu’en 1990, les choses sont devenues un peu plus concrètes, il y a eu une vague de réformes des systèmes de retraite. On a ensuite assisté à une nouvelle vague suite à la crise économique de 2008. »
Cette tendance démographique s’est accélérée depuis les années 2010, précise le spécialiste. Et on devrait rester sur ce rythme rapide jusqu’en 2050 environ, date à laquelle le papy-boom sera achevé.
Alors, comment continuer à garantir le versement d’une pension décente sans mettre en péril tout le système ? C’est le casse-tête auquel sont confrontés les États. « La question s’est posée partout », assurait sur l’antenne de RFI il y a quelques jours Nathalie Loiseau, députée européenne et ex-ministre chargée des Affaires européennes. Comment font les autres pays ?
• La Suède, élève modèle ?
Le régime suédois, réformé dans les années 1990 et souvent cité en exemple dans le débat actuel, est « né dans un contexte social et politique très éloigné » de celui de la France aujourd’hui, souligne Le Figaro. Ce pays scandinave était en proie à une crise profonde qui l’a conduit à une réforme tout aussi profonde vers un système à points, après une dizaine d’années de concertations. Jusqu’à 2001, les retraites étaient indexées sur les quinze meilleures années et il fallait avoir cotisé trente ans pour une pension à taux plein. Désormais, les cotisations sont fixes et à la fin, le montant des pensions dépend de plusieurs facteurs : l’âge de départ, l’espérance de vie et les performances économiques du pays.
L’espérance de vie au moment où l’on prend sa retraite est très importante dans le calcul. En gros, explique le site France TV info, « lorsqu’un salarié cesse de travailler, le montant des cotisations qu’il a versées est divisé par le nombre d’années qu’il lui reste à vivre, selon l’espérance de vie moyenne, et on obtient le montant annuel qui lui sera versé chaque mois. » Une façon d’inciter à partir plus tard à la retraite. Aujourd’hui fixé à 65 ans, cette espèce d’« âge pivot » devrait progressivement passer à 67 ans en 2026.
Le bilan est en demi-teinte. De fait, avec ce système, pas de risque de déficit puisque le montant de la retraite s’ajuste automatiquement en fonction de l’état économique du pays ou encore de l’évolution de l’espérance de vie. En revanche, la valeur du point n’étant pas fixe, les pensions peuvent baisser dans les périodes de crise. Ce fut le cas par exemple en 2010, 2011 et 2014. Et selon l’OCDE, le montant des retraites des Suédois représente aujourd’hui 53,4% du salaire de fin de carrière, contre un taux de remplacement de 60% il y a vingt ans. Par ailleurs, le taux de pauvreté chez les Suédois de plus de 65 ans (moins de 60% du revenu médian de la population) est très élevé : 15,8% en 2018 contre 7,3% pour les Français, qui détiennent les taux les plus bas en Europe, selon Eurostat.
• La difficile équation de la retraite allemande
Depuis les années 1990, l’Allemagne a réformé plusieurs fois son système de retraites. Le pays n’a eu de cesse de rallonger la durée de cotisation et de reculer de l’âge de départ à la retraite. Les cotisations retraite s’élèvent à 18,6% (moitié salarié, moitié employeur). Elles monteront progressivement à 20% en 2025. Et aujourd’hui, pour toucher une retraite à taux plein, il faut travailler jusqu’à 65 à 67 ans (si l’on est né après 1964) et avoir cotisé 45 ans. « Mais, pour de nombreux experts, cela ne suffira pas pour faire face au vieillissement de la population et à l’inexorable déclin du nombre d’actifs », rapporte Le Monde. « En octobre dernier, expliquait notre envoyé spécial à Berlin, Pascal Thibaut, la Banque centrale allemande a proposé de repousser l’âge de la retraite à 69, voire 70 ans. La grande coalition veut stabiliser jusqu’en 2025 le rapport entre la retraite moyenne et le salaire moyen à 48% – ce qui est déjà peu – et ne pas toucher au niveau des cotisations. »
Selon Eurostat, les retraités allemands ont un des taux de pauvreté les plus élevés de l’Union européenne : 18,7%. « En Allemagne, le niveau de filet social est insuffisant pour protéger les personnes âgées les plus vulnérables, et notamment les femmes de plus de 75 ans qui ont un antécédent sur le marché du travail relativement faible », commente l’économiste Hervé Boulhol. D’autant que c’est « l’un des pays où les écarts entre le taux de pension des hommes et celui des femmes sont les plus élevés de l’OCDE, notamment du fait que l’emploi féminin a été bas pendant très longtemps. »
• En Espagne, un système (trop) généreux
Le régime de retraite espagnol, essentiellement basé sur un système public par répartition, peut paraître très généreux. En effet, en moyenne, les retraités conservent 82% de leur salaire. Parmi les plus élevés d’Europe, ce chiffre ne doit pas faire oublier que les salaires espagnols sont aussi plus bas en moyenne que chez les voisins du Nord. Aujourd’hui, les seniors espagnols peuvent cesser le travail à partir de 65 ans et 8 mois, pour peu qu’ils aient cotisé au moins 36 ans et 6 mois. Du fait du faible taux de fécondité, une réforme votée en 2011 prévoit un relèvement de l’âge légal à 67 ans avec 38 ans et 6 mois de cotisation d’ici à 2027. Un nombre d’années de cotisation toujours plus faible qu’en France par exemple, mais lié au taux de chômage élevé.
Problème : ce système coûte très cher à l’État et les caisses sont dans le rouge. Les dépenses liées aux retraites augmentent chaque année – l’Espagne consacre déjà 11% de son PIB aux retraites – et le déficit de la Sécurité sociale se creuse. Et si le système de retraite fait l’objet d’un débat public organisé régulièrement dans le cadre du « Pacte de Tolède », aucune grande réforme ne se dessine.
• En Italie, un pas en avant, deux pas en arrière ?
Le régime de retraite italien a lui aussi longtemps pu se permettre d’être très généreux. Mais en 1995, une profonde réforme est venue mettre fin aux régimes spéciaux et remettre en cause le système par répartition. Pour que la réforme soit acceptée par la population, il était prévu que sa mise en application soit très progressive. Conséquence : la période de transition doit encore durer jusque dans les années 2060.
Sauf qu’entre-temps, la crise financière de 2008 a mis l’Italie au bord de la banqueroute. En 2011, Rome a donc adopté dans la douleur la réforme Fornero – du nom de la ministre du Travail de l’époque – prévoyant des changements drastiques : dorénavant et sans délai, les femmes doivent cotiser 41 ans et les hommes 42 ans. Tandis que l’âge légal de départ à la retraite est lui repoussé à 66 ans et sept mois pour tout le monde à partir de 2018. Et doit progressivement être augmenté, en fonction de l’allongement de l’espérance de vie.
Colère des populistes, qui y voient une mesure « dictée par Bruxelles ». Début 2019, pour casser cette réforme, Matteo Salvini, le chef de la Ligue d’extrême droite, instaure donc le « quota 100 », pour 62+38. Autrement dit, la possibilité de partir à la retraite à partir de 62 ans et après 38 années de cotisation. « On peut, si l’on a de la marge, changer un peu de trajectoire pour atténuer les effets de la réforme Fornero, mais encourager le départ à la retraite à partir de 62 ans, c’est aller contre le sens de l’histoire, surtout en Italie où le taux d’emploi des seniors est faible », estime Hervé Boulhol.
Au Royaume-Uni, on ne compte pas sur l’État
Le système britannique est quant à lui, sans doute, l’un des moins généreux de l’UE. « Au Royaume-Uni, une partie du système de retraite est public, mais elle est forfaitaire », décrypte Hervé Boulhol. L’État verse à tout le monde une pension qui représente autour de 200 euros par semaine. « Encore faut-il, pour la toucher à taux plein, avoir contribué suffisamment longtemps au système de retraite », à savoir 35 ans. Et si, jusqu’à cette année, on pouvait raccrocher à 65 ans, l’âge légal doit passer à 66 ans en 2020, 67 ans en 2028 et 68 ans en 2037. Des propositions existent pour aller au-delà. Le taux de remplacement est très faible : 28%. Et le régime ne coûte pas cher : en 2017, le Royaume-Uni n’y consacrait que 6,2% de son PIB, contre 13,9% en France.
Mais ce n’est qu’une partie du système de retraite outre-Manche. « À cela s’ajoute un étage qui est un régime par capitalisation, mais qui n’est pas obligatoire. Donc, on voit que les personnes avec un faible revenu ont du mal ou font le choix – si l’on peut le dire ainsi – de ne pas avoir recours à ce système volontaire », pointe l’économiste de l’OCDE. D’où un taux de pauvreté relatif élevé de 21,6% pour les plus de 65 ans, selon Eurostat. Sans compter que cette part de la pension est tributaire des fluctuations des marchés financiers, pour le meilleur et pour le pire.
RFI