Russie et Ukraine: la mémoire tragique du «pays frontalier»

Russie et Ukraine: la mémoire tragique du «pays frontalier»

La Rus’ de Kiev fut le berceau de la Russie moderne et une grande puissance européenne au XIe siècle. Vers la fin du XIXe siècle, s’y ancre un sentiment national autour d’un nom remis au goût du jour, Oukraïna, « la marche », « le pays frontalier », lequel apparaît dans le sillage de la Révolution russe avant d’en devenir pendant 15 ans au moins sa victime absolue.

Le 17 mars 1917, au lendemain de la Révolution de févrieri qui a renversé le régime tsariste en Russie, le premier acte politique des Ukrainiens est la fondation de la Rada centrale, un parlement constitué à Kiev pour gouverner la nouvelle République populaire ukrainienne, laquelle, malgré son nom, n’est en rien communiste. Elle revendique en juin l’autonomie du pays, puis son indépendance en novembre, au moment de la Révolution bolchevique.

Le nouvel État est reconnu par la France et le Royaume-Uni, mais immédiatement contesté par les bolcheviks qui installent à Kharkov un gouvernement de la République socialiste soviétique ukrainienne. Début 1918, ils bombardent Kiev pendant douze jours et finissent par s’en emparer. La Rada se retourne alors vers les Empires centraux. La France et le Royaume-Uni l’abandonnent.

Le séparatisme du Donbass déjà présent après la Révolution d’octobre
Avec la paix séparée de Brest-Litovsk, les bolcheviks abandonnent provisoirement l’Ukraine. La région minière et sidérurgique du Donbass, où dès 1917 se concentrent plus des deux tiers des bolcheviks ukrainiens, tente de rejoindre la Russie sous le nom de République soviétique du Donetsk-Krivoï Rog. Mais Lénine veille à ce que cette province reste dans le cadre d’une Ukraine qu’il trouve trop paysanne afin d’y renforcer la base ouvrière censée construire la dictature du prolétariat. Au sud, les Républiques soviétiques d’Odessa et de Tauride (Crimée) sont inféodées au pouvoir soviétique.

L’Ukraine devient ainsi jusqu’en 1921 le cœur de la guerre civile, entre nationalistes soutenus par les Empires centraux (défaits en novembre 1918) ou les alliés, les Polonais, les armées blanches (tsaristes), les socialistes révolutionnaires de gauche et bien sûr les bolcheviks. Une place particulière doit être accordée à la mobilisation paysanne autour de l’anarchiste Nestor Makhno.« Il incarne, explique l’historien Nicolas Werth, une véritable révolution nationale et paysanne, anti russe. La résistance paysanne était plus forte que partout ailleurs dans les années 1918-1920. »

« Le pouvoir bolchévique s’intéresse à l’Ukraine, poursuit-il, parce que c’est la partie la plus riche (blé, charbon, minerai de fer). Il ne peut pas survivre sans elle. » Cette explication est aussi celle d’Antoine Germa, scénariste d’un documentaire en cours sur l’Holodomor, la grande famine de 1932-1933 sur laquelle nous reviendrons : « C’est un endroit où l’on peut se servir sans aucun rapport aux Ukrainiens. On oublie tout le temps que l’Ukraine est entrée par la violence et la contrainte dans le giron de l’URSS. »

rfi