Moins de trois semaines après son retour d’Allemagne, et quelques jours après une nouvelle série de manifestations dans toute la Russie, le bras de fer entre le Kremlin et le principal adversaire de Vladimir Poutine se joue ce mardi 2 février dans une salle de tribunal moscovite. Accusé de s’être soustrait à son contrôle judiciaire, l’opposant risque de deux à trois années de prison ferme.
Alexeï Navalny se retrouve une fois de plus sur le banc des accusés. Une habitude pour l’opposant, qui n’a cessé d’être arrêté, assigné à résidence et condamné au cours des dix dernières années, mais toujours à des peines légères, ou avec sursis. Cette fois, les choses pourraient prendre un tour beaucoup plus sérieux. Accusé de ne pas avoir respecté son contrôle judiciaire (dans l’affaire Yves Rocher pour laquelle il fut condamné en 2014 avec son frère Oleg), il encourt entre deux et trois années de prison ferme.
Les autorités pénitentiaires, chargées de l’application des peines en Russie, lui reprochent de ne pas s’être rendu aux convocations qui lui ont été faites en 2020, et notamment à la fin de l’année – alors qu’il se trouvait en Allemagne pour y être soigné après avoir été victime d’un empoisonnement au Novitchok. « Rien n’est légal dans cette affaire, s’étrangle Ivan Jdanov, directeur de la Fondation anti-corruption, le mouvement d’Alexeï Navalny. Il n’y a pas de loi pour le mettre en détention, pas de loi qui permettrait de changer cette condamnation avec sursis en peine réelle. Il n’était pas légal de le juger dans un poste de police, de l’empêcher de voir ses avocats… Absolument tout dans cette affaire est illégal ! »
Acharnement judiciaire
Pour Ivan Jdanov, comme pour tous les partisans d’Alexeï Navalny, celui-ci est en réalité la victime d’un double acharnement, politique et judiciaire, destiné à le faire taire. Pourquoi ? Autrefois vu comme un simple trublion sans grande importance, Alexeï Navalny serait aujourd’hui considéré comme une véritable menace par les autorités. « Ils savent qu’ils n’ont plus le soutien massif qu’ils disent avoir à la télévision, analyse Ivan Jdanov, l’un des rares collaborateurs d’Alexeï Navalny à ne pas encore avoir été incarcéré ou assigné à résidence. Et quand ils voient des dizaines de milliers de personnes dans la rue, ils comprennent que ce mythe est en train de s’effondrer, que de plus en plus de gens sont en train de rejoindre l’opposition. »
Alexeï Navalny serait donc devenu trop dangereux pour le Kremlin, qui aurait décidé de s’en débarrasser, soit en le tuant (comme l’affirme l’opposant), soit en le poussant à l’exil, soit en le jetant en prison. Mais d’autres raisons peuvent être avancées pour expliquer l’obstination du Kremlin à écarter l’opposant. Pour Alexander Baunov, du Centre Carnegie de Moscou, Alexeï Navalny aurait franchi une ligne rouge en accusant Vladimir Poutine d’avoir commandité son empoisonnement l’été dernier.
« Vladimir Poutine avait personnellement autorisé l’entourage d’Alexeï Navalny à le rapatrier en Allemagne pour qu’il soit soigné. En échange, il s’attendait à ce que Navalny respecte certaines limites. Or, dès qu’il a été guéri, il a déclaré que c’était Poutine qui avait ordonné son empoisonnement… Il l’a accusé, et c’est peut-être pour cette raison que Poutine s’acharne contre lui ! »
La pression de la rue…
Face à l’acharnement judiciaire qui s’abat contre lui, Alexeï Navalny a joué la carte de la rue et des manifestations. Avec succès, puisqu’à l’appel de l’opposant, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans plus d’une centaine de villes russes deux week-ends consécutifs. Une mobilisation sans précédent qui a été suivie et même précédée d’une répression policière sans précédent, elle aussi.
Arrestations massives parmi les manifestants (plus de 5 600 ce dimanche, selon l’ONG russe OVD-Info), perquisitions, assignations à résidence et condamnations parmi les proches et les soutiens de l’opposant, amendes infligées aux réseaux sociaux qui ne retireraient pas les appels à manifester : le pouvoir russe fait tout pour « tuer dans l’œuf » un mouvement de contestation que l’opposant espère, lui, installer dans la durée. Et la réponse des autorités augure d’une décision de justice peu favorable à Alexeï Navalny, le pouvoir judiciaire en Russie évitant de façon quasiment systématique de se mettre en porte-à-faux avec les décisions du pouvoir politique.
… et des sanctions
Dans son bras de fer avec le Kremlin, Alexeï Navalny peut également compter sur le soutien des pays occidentaux – et d’une nouvelle administration américaine qui se veut plus ferme à l’égard de la Russie. Mais, à Moscou, la menace de nouvelles sanctions ne semble plus impressionner grand monde. « Il y a des sanctions qui sont très destructrices pour l’économie d’un pays, explique Alexander Baunov. Celles qui ont été prises, par exemple, contre l’Iran, avec un embargo commercial sur le pétrole. Mais rien de tel n’est envisagé pour le moment par les pays occidentaux. Ces deniers peuvent bien inventer de nouvelles sanctions ciblées, ce n’est pas ça qui peut faire peur au Kremlin. »
Selon de nombreux observateurs, une seule décision pourrait faire regretter au Kremlin cet acharnement contre Alexeï Navalny : la suspension de Nord Stream 2, le projet de gazoduc dans la mer Baltique… Mais ce lundi 1er février, à la veille de cette comparution cruciale pour l’avenir d’Alexeï Navalny, l’Allemagne a redit qu’elle n’avait nullement l’intention de renoncer à ce projet.