RFI s’intéresse ce matin au fléau des conflits fonciers en RDC. La mise à l’écart, la semaine dernière, du ministre des Affaires foncières par intérim, Emmanuel Ilunga, a remis cette problématique, qui engorge les tribunaux congolais, sur le devant de la scène. Accusé d’avoir détourné l’équivalent de 9000 euros et d’avoir outrepassé ses prérogatives en tant qu’intérimaire en recrutant du personnel, le ministre dénonce une campagne de « calomnie ». Selon lui, s’il a été mis à l’écart, c’est pour avoir ouvert « la boîte de Pandore » en essayant de rétablir dans leurs droits des citoyens qui se disent victimes de spoliations de leurs parcelles ou autres biens immobiliers par des personnalités influentes, civiles ou militaires. Et ce, à travers une commission baptisée « Commission Etienne Tshisekedi ».
En un mois d’existence de la Commission, le ministre dit avoir reçu pas moins de 300 dossiers. D’après des documents consultés par RFI, le scénario est souvent le même : des particuliers, qui affirment avoir été délogés de force du jour au lendemain malgré leur titre de propriété par des « spoliateurs puissants », souvent assure le ministre des « hommes politiques » ou des « généraux », ou encore des particuliers bénéficiant de « complicité au sein de l’État », explique-t-il.
Certains cas datent de plusieurs décennies, d’autres des derniers mois. Selon nos informations, début avril, la Commission a même été saisie par les avocats de la République tchèque qui affirme avoir été spoliée de plusieurs immeubles. Le ministre n’aura pas eu le temps d’évaluer la validité de leur réclamation.
Au moment de sa mise à l’écart vendredi dernier, il affirmait avoir résolu une vingtaine de dossiers, le plus souvent au terme de discussion « à l’amiable », en « toute discrétion », « mais le système, déplore-t-il, est difficile à déboulonner ». Quelques jours plus tôt, dans un courrier que RFI a pu consulter Emmanuel IIunga s’était adressé au président Felix Tshisekedi en personne. Il disait subir des « menaces » et des « injures » et demandait l’appui du chef de l’État pour régler 6 dossiers impliquant de hautes autorités et des hommes d’affaires, resté sourd selon ce document aux sollicitations du ministère.
Reste à savoir quelle suite sera donnée désormais aux travaux entamés par la Commission. Précisons que le Premier ministre a démenti, par la voix de sa cellule de communication, que la mise à l’écart du ministre intérimaire des Affaires foncières, Emmanuel Ilunga, soit liée de près ou de loin au travail de cette commission et dément avoir exercé des pressions pour qu’elle cesse ses travaux.
Ecoutez le témoignage de Jean-Paul Boekwa
L’un des conflits fonciers examinés par cette Commission Etienne Tshisekedi oppose un architecte congolais, qui occupait une parcelle depuis 27 ans avant d’en être chassé l’an passé, à un conseiller du Premier ministre qui assure lui que le bien appartient à l’État et qu’il le loue désormais en toute légalité.
Il y a une dizaine de jours, le ministre des Affaires foncières à travers la Commission Etienne Tshisekedi a donné raison à l’occupant historique mais du côté du ministre de l’Urbanisme on maintient que le bien fait partie du domaine privé de l’État. L’État congolais semble se contredire dans cette affaire.
« On m’a spolié ma maison, depuis que j’ai quitté chez moi j’habite dans un couvent… injustement… » Il y a un an, Jean-Paul Boekwa vivait avec sa femme dans une luxueuse villa sur trois étages dans un quartier huppé de Kinshasa. Aujourd’hui, il n’ose même plus s’en approcher. « Ça me fait très peur parce qu’on vous dépouille de tout, trente ans d’une vie en une journée, et si on vous voit à côté peut-être que ça va donner des mauvaises idées…»
Tout est parti, dit-il, d’un conflit avec son locataire début 2018. Ce dernier refuse soudain de payer son loyer au motif que la parcelle appartiendrait, selon le ministère de l’Urbanisme, à l’État congolais. Monsieur Boekwa est accusé d’avoir fabriqué un faux titre de propriété. La police le déloge, puis dit-il, un mois plus tard un général prend possession des lieux.
« C’est ce jour-là qu’ils ont vidé complètement la maison. Ils ont tout pris : les œuvres d’art, mes voitures, tout ce que j’avais… »
En mai 2018, la justice pénale donne pourtant raison à Mr Boekwa. Mais rien n’y fait. C’est un conseiller de l’actuel Premier ministre qui occupe désormais la parcelle. Il dit la louer légalement à l’État.
Jean-Paul Boekwa se dit victime d’une véritable mafia. « J’ai un jugement, j’ai un certificat et monsieur vit chez moi, je n’en reviens pas ! Nous sommes des faibles devant les puissants ! »
La semaine dernière, le ministère des Affaires foncières a de nouveau tranché en faveur de Mr Boekwa. Mais le ministère de l’Urbanisme campe sur sa position car entre-temps l’État congolais a porté l’affaire devant un tribunal civil pour tenter cette fois de faire annuler le titre de propriété de Mr Boekwa. Une bien « étrange contradiction » au sein même de l’État congolais aux yeux de son avocat qui juge la procédure « irrégulière ».
La spoliation: un mécanisme au service des puissants
Jean-Claude Katende, président en RDC de l’ASADHO, l’association africaine de défense des droits de l’Homme, nous explique le mécanisme de ces spoliations. Un processus qui se répète sous tous les régimes depuis Mobutu, avec très peu de possibilités de recours judiciaire. « Même dans le cas où vous avez tous les documents, si vous avez été déguerpi irrégulièrement, parce que la maison a intéressé un dignitaire du régime ou de l’armée, la justice devient inopérante parce qu’elle ne peut pas agir contre ceux qui sont au pouvoir ».
Selon cet avocat du barreau de Lubumbashi, même lorsque les victimes possèdent des titres de propriété en bonne et due forme, il leur est difficile d’obtenir gain de cause en justice. Moins encore lorsque, et cela arrive souvent dit-il, les familles n’ont pas de titre de propriété.
En République démocratique du Congo, la plupart des personnes n’ont pas de documents, tout simplement parce qu’elles sont propriétaires, mais ne connaissent pas la procédure qu’il faut suivre pour obtenir les documents, régulièrement