Aux Etats-Unis, la paralysie du gouvernement fédéral est entrée dans sa cinquième semaine. 800 000 employés fédéraux, dont près de la moitié sont contraints de travailler, ne touchent plus leur salaire. A Washington, ils commencent à trouver le temps long.
De notre correspondante à Washington,
Une quinzaine de personnes étalent dans la bonne humeur des tapis de yoga sur le sol, dans une salle de sports d’un quartier bourgeois de Washington. Toutes sont employées par l’administration fédérale et contraintes à l’inactivité par la paralysie partielle du gouvernement. Aujourd’hui, le cours est gratuit. « Je voulais faire quelque chose pour ces employés qui tournent en rond en attendant de reprendre leur travail », explique la professeur Jen Dryer, « le yoga apporte du calme, de la sérénité, permet de respirer et de se détendre, c’est une activité parfaitement adaptée à leur situation. Ils sont privés de revenus et voient les factures s’accumuler, c’est un facteur de stress important ».
Pour Sandra dont l’époux travaille dans le privé, la question des ressources n’est pas encore primordiale, mais l’inactivité forcée est pesante, et ce cours est le bienvenu. « On cherche tous quelque chose à faire pour rester actifs, il y a beaucoup d’échanges de tuyaux, sur les endroits où on peut aller, ou sur les cours de sport gratuits, toutes sortes d’activités qui nous permettent de rester occupés », explique la jeune quadragénaire avant d’enchainer les postures sur son tapis. Beaucoup de salles de sports, de cafés, de restaurants offrent des réductions ou des prestations gratuites pour les salariés du gouvernement affectés par l’impasse budgétaire. Après le cours de yoga, Marie a rendez avec un de ses amis employé de la NASA, lui aussi cantonné chez lui «J’essaye d’avoir une activité en dehors de la maison tous les jours : aller boire un café quelque part, suivre un cours de yoga, mais je ne peux rien planifier. À tout moment, le gouvernement peut nous rappeler au bureau. Il faut donc s’organiser chaque jour pour le lendemain», constate-t-elle.
La croissance américaine affectée
Le métro qui mène au centre de Washington est désert aux habituelles heures de pointe. 40% des usagers qui y transitent normalement sont des employés fédéraux. L’agence qui gère les lignes souterraines de la capitale assure perdre 400 000 dollars de pertes chaque jour à cause de la paralysie de l’administration. Sur les grandes avenues qui sillonnent le cœur de la capitale fédérale, les parkings, les restaurants, les boutiques souffrent aussi de la fermeture des bureaux du gouvernement. Même les économistes de la Maison Blanche reconnaissent que le « shutdown » a des conséquences sur le taux de croissance américain.
Sur Pennsylvanie Avenue, les locaux de World Kitchen grouillent de monde. L’organisation, qui distribue habituellement des repas dans les zones touchées par des catastrophes humanitaires, a décidé d’ouvrir une cantine gratuite pour les employés fédéraux qui ne sont pas payés. « Nous sommes installés entre le Congrès et la Maison Blanche, c’est un choix symbolique » déclare Alexandra Garcia salariée de l’association, qui distribue quelques cinq mille repas par chaque jour au cœur de la capitale fédérale. Les bénévoles en cuisine sont pour la plupart des salariés du gouvernement contraints à l’inactivité. « Pour l’instant je tiens le coup financièrement, mais pour combien de temps ? Je ne sais pas…», soupire une employée d’un ministère tout proche. « Nous devons faire attention à chaque centime dépensé. Un repas cela n’a l’air de rien, mais c’est une aide précieuse. » Certains employés fédéraux, étranglés par l’accumulation de factures et l’absence de revenus, cherchent des solutions alternatives. « Aujourd’hui j’ai passé un entretien pour devenir professeur remplaçant » raconte une femme dans la file qui mène au comptoir de distribution. Et d’une voix chargée d’émotion elle ajoute : « Est-ce qu’il faut que quelqu’un se suicide pour que la situation soit prise au sérieux ? C’est tragique. J’étais furieuse au début, maintenant je suis juste triste ».
Des employés fédéraux désemparés
Dehors la file s’étend sur plusieurs dizaines de mètres. Ellen est tout au bout, derrière le coin de la rue. Réquisitionnée au bureau, cela fait deux jours qu’elle vient déjeuner ici. « Mon mari et moi travaillons tous les deux depuis plus d’un mois sans percevoir notre salaire », explique-t-elle, « nous allons devoir emprunter, peut-être nous inscrire au chômage pour toucher des prestations que nous devrons rembourser quand nous serons enfin payés.» D’un ton las où vibrent des accents de colère, la quinquagénaire poursuit : « Être utilisés comme des pions pour remplir une promesse de campagne, nous donne l’impression qu’on n’a aucune valeur. Les gens riches du Congrès ne devraient pas être payés non plus, comme nous…Et le président ne devrait pas toucher d’argent, c’est tout ce que j’ai à dire… ». Ellen essuie discrètement une larme. Un homme à ses côtés lui prend le bras en signe de compassion. « C’est vraiment injuste», lâche-t-il, « nous sommes tous des serviteurs du gouvernement, et nous sommes pris en otage par notre employeur. Cette crise me laisse songeur : pourquoi continuer à travailler pour une administration qui affiche autant de mépris pour ses employés ?»
Au fonds de l’avenue déserte se découpe la silhouette de l’imposant bâtiment du Congrès. Les négociations entre les démocrates et la Maison Blanche sont toujours au point mort. Nancy Pelosi a rejeté les dernières propositions de Donald Trump qui souhaite échanger la construction de son mur à la frontière contre une extension du permis de séjour des « dreamers», ces clandestins arrivés aux États-Unis pendant leur enfance et temporairement régularisés sous l’administration Obama. Dans son allocution ce samedi 19 janvier, le président américain n’a pas eu un seul mot pour les employés fédéraux.
Rfi