Selon les Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance arabo-kurde soutenue par les Occidentaux, les jihadistes retiendraient encore des familles en otage. Les FDS annoncent « un ralentissement des combats », afin d’éviter les pertes civiles. Mais la bataille pour la libération du dernier bastion du groupe Etat islamique se poursuit.
Avec notre envoyé spécial à Baghouz, Sami Boukhelifa
Depuis la colline du jebel Baghouz, seul point culminant de la région, les blindés des Forces démocratiques syriennes mitraillent les positions des jihadistes en contrebas. Abrité derrière un tas de pierres, le commandant Mirvan Qamishlou n’a qu’une seule crainte : l’enlisement.
« Notre progression est très lente. Il y a une multitude de tunnels, des centaines voire des milliers de tranchés. C’est la stratégie de Daech. Les jihadistes se terrent. Ils mènent des actions éclair et retournent aussi vite dans leurs trous. »
La coalition internationale menée par les Américains semble avoir du mal à percer et à soutenir les FDS au sol de manière efficace pour éviter que la bataille autour du dernier fief de l’Etat islamique ne s’enlise. « La première difficulté, c’est que les troupes qui sont compactes ne sont pas forcément bien équipées, bien motivées pour aller au combat ; l’autre élément c’est que l’on fournit des feux aériens puissants, et au bout du compte, c’est très long. Ce qu’il se passe c’est que les forces de la coalition ne prennent pas de risques. Les risques sont transférés à d’autres : les troupes locales ou éventuellement la population civile lorsque cela dure trop longtemps et lorsque les frappes deviennent trop massives. C’est ça aussi qui freine considérablement les opérations : la présence de la population, quand on essaie d’éviter de toucher », explique Michel Goya, ex-colonel de l’armée française et expert en stratégie militaire.
Arme à la main, Mirvan Qamishlo reste toutefois confiant. La prise, dimanche, du mont Baghouz, marque un tournant dans la bataille.
« Le mont Baghouz est une position stratégique. A partir d’ici, avec nos armes lourdes, nous couvrons nos troupes qui mènent des incursions. Nous avons une vision d’ensemble. Mais je sais que la bataille va durer encore un bon moment. Parmi les jihadistes, il y a encore des combattants étrangers qui n’accepteront jamais de se rendre. »
Les FDS ralentissent les combats pour épargner les otages
Au loin, des colonnes de fumée noire s’élèvent de Baghouz. Sur les rives de l’Euphrate, le réduit du groupe Etat islamique fait à peine un kilomètre carré. C’est là que seraient retenues les familles, majoritairement des épouses et des enfants de jihadistes. C’est pour cela justement que les FDS annoncent « un ralentissement des combats », afin d’éviter les pertes civiles.
« Nous avons une unité spéciale sur le terrain chargée d’évacuer la population de Baghouz, explique Mostafa Bali, porte-parole des FDS sur le front de Baghouz. C’est cette unité d’ailleurs qui a évacué des milliers de familles durant les dernières semaines. Dimanche soir, nous avons décidé de ralentir notre progression. La bataille se poursuit mais avec moins d’intensité afin de permettre à notre unité spéciale d’exfiltrer ce qui reste de civils. Nous préférons être prudents. Il reste probablement des gens retenus en otage par l’organisation Etat islamique. Daech utilise les civils comme bouclier humain. Il y a aussi les familles de jihadistes qui ont choisi de rester à Bahgouz, mais nous ne les considérons pas pour autant comme des terroristes. Ce sont des civils et nous devons donc les considérer comme tels ».
Michel Goya pointe toutefois que « quand il faut six mois pour s’emparer d’une bourgade, c’est quand même qu’il y un problème tactique ». « La coalition contre l’Etat islamique a déjà duré plus longtemps que la Première Guerre mondiale pour un adversaire qui n’est pas une superpuissance. L’Etat islamique, c’est quelques dizaines de milliers de combattants ; la coaltion c’est la plus grande puissance militaire que le monde ait jamais connue. Il y a une disproportion des forces » qui ne se traduit pas pour autant par une évolution rapide de la situation.
Et après Baghouz ? La fin du « califat » autoproclamée en 2014 et la victoire des forces anti-jihadistes signeront-elles la fin définitive du groupe terroriste ? « L’issue ne fait pas de doute : ils [les membres du groupe EI] seront réduits comme à Raqqa et à Mossoul. Mais l’EI a passé la majeure partie de son existence dans la clandestinité et il est en train d’y retourner. Il commence déjà en Irak notamment à mener un combat beaucoup plus clandestin (multiplication des attaques, des attentats). La guerre n’est pas terminée. »
Rfi