Témoignage : M. Sarr, psycho-sociologue guéri du Covid-19, alerte sur les dangers de la stigmatisation

Aujourd’hui, le Coronavirus est devenu la maladie la plus redoutable et la plus redoutée dans le monde. Cette pandémie a fini par semer la peur et la panique dans le monde. Si des milliers de personnes en meurent, des milliers en guérissent. Mamadou Sarr, psycho-sociologue, fait partie de ce lot. Il est totalement guéri du Covid-19. Cet habitant de Mariste 2, qui pense avoir contracté la maladie au cours d’une mission au Burkina Faso, a été hospitalisé le 30 mars 2020 et est sorti hier, mercredi 8 avril. Pour lui, le plus dur n’a pas été d’être malade mais plutôt la stigmatisation qu’on subit. Ce qui lui fait craindre que les autres potentiels porteurs du virus en arrivent à refuser de se signaler pour ne pas subir la même chose, augmentant ainsi le risque de contribuer à la transmission communautaire tant redoutée. Témoignage.

Les premiers symptômes

« Je travaille dans la protection de l’enfant. J’ai dû attraper la maladie au Burkina Faso où j’étais en mission. C’est dans ce pays que j’avais commencé à développer les premiers symptômes. C’est-à-dire la toux, la fièvre avec des courbatures intenses. Quand j’ai eu ces symptômes-là, mon réflexe c’était d’appeler ma famille et de leur en faire part. Je n’étais pas certains que j’étais contaminé mais, j’ai eu le réflexe de dire à ma femme de partir chez ses parents avec les enfants. Si je n’avais pas procédé ainsi, j’aurais, peut-être, contaminé toute ma famille. Au retour, je suis volontairement resté confiné pendant 15 jours puisqu’on disait qu’il fallait se confiner 14 jours, durée correspondant à la durée d’incubation. Et, après le 15e jour, j’avais décidé de sortir du confinement. Mais c’est là que j’ai eu l’information, sur la base d’un témoignage, que le virus peut rester dans l’organisme de l’être humain plus de 21 jours. Pour ne pas prendre de risque, j’ai alerté les autorités sanitaires. Elles ont envoyé une équipe, qui m’a fait le prélèvement et il s’est avéré que j’étais positif. »

Le poids social et la forte stigmatisation

« Il y a toute une présentation autour de la maladie. Quand on est porteur du virus, il y a tout ce contexte social, cet environnemental qui rendent la maladie plus difficile à gérer. Personnellement, c’est ce qui a pesé sur moi et qui rendu à un moment donné, la gestion de la maladie un peu difficile. Ici, quand on entend dire qu’une personne est atteinte d’une maladie infectieuse, on a souvent tendance à faire comme si son infection résultait d’un acte délibéré et inconscient et on développe un sentiment de rejet qu’on à son endroit. C’est quand les gens sont venus faire le prélèvement que les rumeurs ont commencé à circuler. C’est en ce moment que tu commences à sentir le regard de l’autre peser sur toi.

Dans mon quartier, dans mon bâtiment, je l’ai tout de suite senti. Quand j’ai été contrôlé positif, avec le protocole qui demande qu’une ambulance vienne te chercher à la maison, ça laisse court à beaucoup de suspicions. Moi, personnellement, je pouvais gérer mais souvent ce sont des propos qui concernent votre famille et c’est là où se trouve le problème. Il y a énormément de stigmatisation, parfois à la limite de la violence. Les Sénégalais ne tolèrent pas les maladies infectieuses. Il y a une stigmatisation très forte à l’endroit des personnes qui ont une maladie infectieuse et en particulier ce coronavirus. Parfois, ce sont des gestes ou des propos à votre endroit qui vous rappellent tout le temps que vous avez été malade, même après votre guérison ou même si les tests se révèlent négatifs. Dès l’instant que tu as été testé, avant que le résultat ne soit connu, rien qu’avec le fait que l’équipe soit venue faire un prélèvement, cette violence commence à s’exercer sur toi. Pour moi, c’est la facette de la maladie la plus difficile à gérer, au-delà du fait qu’on a été interné. Nous avons une société qui vous juge par le regard. C’est qui m’a motivé à sortir de l’ombre et à faire ce témoignage. Parce qu’il y a eu beaucoup de gens qui ont eu la maladie, qui sont guéris aujourd’hui et qui ne veulent pas se révéler au grand public alors qu’ils auraient pu être important dans la communication. Ils ne veulent pas que les gens sachent qu’ils ont été porteurs du virus. »

La solution communautaire pour éviter la transmission communautaire

« Je pense qu’il faut qu’on arrive à déconstruire tout cela pour que chacun se dise qu’il n’y a absolument aucune honte à choper ce virus et qu’il ne faut pas avoir peur d’alerter les autorités sanitaires quand on ressent les symptômes. Sinon, le danger c’est que les potentiels porteurs du virus risquent d’avoir peur de se signaler et finissent par être les vecteurs de la transmission communautaire. S’il y a quelque chose que j’ai retenu du discours du président de la République, c’est quand il disait que ce n’est pas une maladie honteuse. Il a raison. Maintenant, si on laisse cette stigmatisation prendre de l’ampleur, il y aura des gens qui auront du mal à déclarer leur maladie. Je connais une personne qui avait développé des symptômes et, à un moment donné, a préféré sortir de chez elle pour aller carrément en zone rurale. On me rapporte aussi qu’une des patientes guéries a été obligées de quitter son propre appartement à son retour par ses voisins qui ont refusé qu’elle aménage à nouveau chez elle après avoir été déclarée guérie. Un autre exemple : quand j’ai été diagnostiqué positif, il y a eu une enquête sociale qui consistait à voir toutes les personnes avec qui j’ai été en contact. Il y a eu, malheureusement, une personne qui, quand on l’a appelée, m’a rappelé pour me dire de ne pas en parler parce qu’elle ne veut pas, que ses amis, avec qui il a tout le temps ensemble, sachent qu’elle a été en contact avec moi. Et cette personne-là, j’en suis certain, si elle avait développé des symptômes de la maladie, elle ne serait pas aller vers les autorités sanitaires. Il y a aujourd’hui un quartier de la banlieue qu’on désigne par l’expression « le quartier du corona » parce qu’une personne y a été diagnostiquée positive. Vous imaginez bien que ceux qui habitent autour de ce quartier, en entendant cela, auront peur de se signaler quand ils auront les symptômes et représenteront un grand risque pour toute la communauté.

La stigmatisation pour moi, c’est un très grand pan du problème que les autorités doivent gérer avec sérénité. C’est très important. Il faut qu’on arrive à décomplexer tout cela et qu’on se dise que pour éviter la transmission communautaire, il faut trouver une solution communautaire. Il faut arriver à toucher par une bonne approche et une bonne communication de proximité, tous les leaders à la base de la communauté et arriver à en faire de vrais relais auprès de chacun. Mais pour que leur message passe, il faut aussi qu’ils aient toute la bonne information au-delà du fait qu’il faille se laver les mains, porter un masque, etc. »

Auteur : Emedia