Toni Morrison, grand nom de la littérature afro-américaine, est morte à l’âge de 88 ans. Lauréate du prix Nobel de littérature en 1993, elle reste à ce jour la seule auteure noire à avoir reçu ce prix prestigieux. Avec ses romans La Chanson de Salomon et Beloved, elle a apporté un ton nouveau à la littérature afro-américaine. Toni Morrison était célèbre dans le monde entier.
C’est une des voix les plus puissantes de la littérature contemporaine qui vient de s’éteindre. L’Américaine Toni Morrison avait su donner une visibilité littéraire aux Afro-Américains et dessiner une histoire complexe et inédite des États-Unis. Ses livres sont hantés par le racisme, la ségrégation, les non-dits, les traumatismes de l’enfance.
Descendante d’une famille d’esclaves, Toni Morrison devient professeur d’anglais et de littérature et publie son premier roman à 39 ans. The Bluest Eye (L’Oeil le plus bleu en français) raconte l’histoire d’une petite fille afro-américaine des années 1930 qui rêve d’avoir des yeux bleus. Car elle imagine que si elle était aussi jolie que son idole, l’actrice Shirley Temple, elle serait capable d’enrayer l’extrême violence de son environnement familial. Ce premier roman passe inaperçu, mais le second Sula est sélectionné pour le National Book Award tandis que le troisième Le chant de Salomon, ample saga sur le retour au sud et aux racines, publié en 1977, lui apporte la célébrité.
Une enfance pauvre
Toni Morrison était née à Lorain dans l’Ohio dans une famille ouvrière catholique de quatre enfants et avait passé son enfance dans le ghetto de cette petite ville sidérurgique près de Cleveland. Et c’est sa grand-mère qui lui parlera du folklore et des traditions des Noirs du Sud, des rites, des divinités, ce qui nourrira sans doute sa littérature.
Toni Morrison devient professeur, éditrice. Son triomphe de romancière arrive en 1987 avec Beloved, un million d’exemplaires vendus. Le livre sera adapté au cinéma grâce à son amie Oprah Winfrey, grande prêtresse de la télévision américaine.
Elle reçoit le prix Pulitzer pour ce 5e ouvrage. Beloved est inspiré de l’histoire vraie et atroce de Margaret Garner, une mère infanticide hantée par le fantôme de sa petite fille qu’elle avait égorgée pour lui éviter l’esclavage. Ce roman est dédié aux soixante millions de victimes de l’esclavage, une mémoire qu’elle ne cessera d’interroger.
Ce qui sous-tend également toute l’œuvre de Toni Morrison c’est le sentiment de révolte intacte jusqu’au bout, notamment contre les violences policières contre les jeunes noirs, contre le racisme, l’injustice.
Malgré son immense succès mondial, la passion, le combat sont restés intacts. Son franc-parler aussi comme quand elle avait qualifié avec humour en 1998 le président Bill Clinton de premier président noir des États-Unis. Il présente toutes les caractéristiques des citoyens noirs, précisait-elle. Un foyer monoparental, une enfance pauvre, une grande connaissance du saxophone et un amour de la Junk food digne d’un garçon de l’Arkansas.
La consécration littéraire arrive en 1993. L’académie suédoise lui décerne le prix Nobel pour l’ensemble de son œuvre, son expressivité, sa puissante imagination teintée de surnaturel. Son style précis, violent et lyrique.
En 2012 elle publie son dixième roman. Home raconte le retour de la guerre de Corée d’un soldat noir jeté sur les routes de son enfance dans l’Amérique ségrégationniste des années 50. Elle le dédie à son fils Slade décédé deux ans plus tôt d’un cancer et avec lequel elle avait publié plusieurs livres pour enfants.
Son onzième et dernier roman, God Help the Child ( Délivrances en français ) raconte l’histoire d’une enfant repoussée dès sa naissance par sa mère « mulâtre au teint blond » à cause de sa peau « noire comme la nuit ».
Toni Morrison, inlassable conteuse de l’Amérique noire
Les personnages et les descriptions dans ses livres se basaient sur l’essence pure des Noirs et de notre histoire. Elle réussissait à donner vie à ces personnages en puisant dans l’esprit de nos ancêtres.
L’accession à la présidence des États-Unis de Barack Obama lui avait permis pour la première et la seule fois, expliquait- elle, de se sentir vraiment Américaine. Le premier président noir des États-Unis l’avait décorée en 2012 de la médaille de la Liberté, l’une des plus hautes distinctions civiles aux États-Unis.
L’hommage de Barack Obama
Dans son hommage, Barack Obama a qualifié ce mardi la romancière de « trésor national »
« Toni Morrison était un trésor national, aussi bonne conteuse que captivante en personne quand elle figurait sur la page. Son écriture représentait un superbe et profond défi à notre conscience et à notre imagination morale. Quel cadeau de respirer le même air qu’elle, ne serait-ce que pour un temps », a écrit l’ancien président sur Twitter.