Tourisme en zones à risques: le Quai d’Orsay n’a pas toujours le dernier mot

Jean-Yves Le Drian a réaffirmé samedi soir que les deux otages français enlevés au Bénin se trouvaient dans une zone à risque. « Je souhaite, après cet exemple, que les touristes français respectent intégralement les conseils aux voyageurs » donnés par le Quai d’Orsay, a fait valoir le ministre. Ces zones sont répertoriées sur le site de France Diplomatie mais cela est-il toujours vraiment justifié ? La diplomatie a ses exigences que ne partage pas forcément le voyageur.

C’est un paradoxe du tourisme moderne : les destinations à risque zéro sont de moins en moins nombreuses, mais de l’Ethiopie à la Birmanie en passant par la Russie, les pays autrefois complètement fermés peuvent aujourd’hui être visités. Sur son site, le Quai d’Orsay dispense ses conseils aux voyageurs, un point de passage obligé pour s’informer de la situation sur place, en matière de sécurité bien sûr, mais aussi concernant les précautions de santé, le risque environnemental, les modalités d’entrée et de séjour et les us et coutumes locales.

D’un simple coup d’œil sur la carte du monde proposée par le ministère, on relève la présence accrue des zones rouges dites « fortement déconseillées » et des zones orange qui sont pour leur part « déconseillées sauf raison impérative ». En vert, c’est-à-dire pour les zones où une « vigilance normale » est requise, seuls subsistent les pays de l’UE, les Etats-Unis, quelques pays d’Amérique du Sud comme l’Argentine et l’Uruguay, le Canada, l’Australie, la Russie, la Chine et le Japon. Ailleurs, il reste des zones jaunes, une nouvelle couleur utilisée depuis le début des années 2000 pour désigner les régions à « vigilance renforcée ». Y figurent aussi bien le Brésil, le Chili, l’Indonésie, la Thaïlande et les pays d’Afrique australe.

La carte “Conseils aux voyageurs” datée du 14 mars 2019.
Ministère français des Affaires étrangères
Faux policiers en Espagne, pickpockets en Italie

Epidémies, terrorisme et forte criminalité, autant de risques qui ont vite fait de dissuader le touriste et de lui faire préférer une destination plus reposante. Mais à lire les fiches de conseils aux voyageurs élaborées par le Quai d’Orsay, on comprend vite qu’il n’est parfois pas nécessaire d’aller très loin pour s’exposer à de possibles risques. Des vacances en Espagne ? « La région de Madrid connaît de nombreux cas de vols opérés par de faux policiers », prévient le ministère. Un week-end à Rome en amoureux ? Oui, mais sans ignorer que « les vols à la tire sont fréquents dans les grandes agglomérations » où il convient de « fermer les portières et les vitres de son véhicule, même lorsque l’on circule en ville ». Un principe de précaution qui rend les déplacements étouffants en période estivale !

Les recommandations et avis du Quai d’Orsay pour chaque pays et région du globe font foi, en tout cas auprès de la plupart des voyagistes qui proscrivent toute zone rouge dans leurs catalogues. En se rendant au Salon mondial du tourisme qui s’est tenu à Paris entre le 14 et le 17 mars, force est de constater que les consignes émises par le ministère sont suivies à la lettre par une majorité de professionnels du secteur touristique. « Franchement, il y a une forte demande sur les zones en rouge, mais nous ne les faisons pas », avertit Issa Smatti, l’un des responsables depuis 25 ans de l’agence Nomade Aventure. Se présentant comme le numéro 3 français du voyage, l’agence spécialiste du séjour aventure promet à ses clients des escapades « en dehors des sentiers battus » mais « en total respect avec les consignes du Quai d’Orsay », nous explique-t-on sur le stand du voyagiste. Un alignement parfait sur le ministère, qui procède également d’une collaboration constante et étroite entre les agences et les diplomates. « On est en relation permanente avec le Quai d’Orsay, on fait des réunions, on échange avec la cellule de crise. Récemment, nous avons posé des questions sur l’Iran et la région de Kerman. J’ai envie de voir si cela va évoluer, si le sud de Kerman va sortir de la zone rouge. Ils nous répondent par la négative, en énumérant différentes raisons. Des choses que nous ne voyons pas mais qu’eux voient », assure Issa Smatti.

Le Quai d’Orsay est-il objectif sur les zones rouges ?

« Nos conseils aux voyageurs sont élaborés selon des procédures intégrant l’ensemble des informations relatives aux risques que peuvent rencontrer nos compatriotes en voyageant à l’étranger. Il est tenu compte du risque terroriste, des menaces qui ciblent nos ressortissants ainsi que des mesures prises par les autorités locales. Les zones formellement déconseillées sont celles où le risque est très élevé et généralisé », explique-t-on de source diplomatique au ministère des Affaires étrangères. Est-ce à dire que les rares voyagistes rencontrés sur le salon et qui proposent crânement des vacances en zone rouge ne sont pas fiables ? « Les zones rouges, c’est une responsabilité du Quai d’Orsay. Sont-ils objectifs ? Moi, personnellement, je ne crois pas à l’objectivité de la zone rouge, sauf quand il y a un pays en guerre », annonce Mohamed Torche, fondateur de l’agence Horizons Nomades qui depuis près d’une trentaine d’années organise des voyages dans le monde entier, quelle que soit la couleur attribuée à la zone par la diplomatie française. « On va dans des pays qui sont enflammés et qui méritent d’être vus. Mais pas pour défier les zones rouges ! C’est parce qu’on connaît le pays », affirme-t-il.

Horizons Nomades comme Nomade Aventure s’appuient sur leur solide expérience et leur parfaite connaissance des destinations pour garantir un séjour sans risque. Zone orange ou rouge, il est hors de question de s’y rendre seul. Le voyageur est encadré en permanence, entouré d’un guide et éventuellement d’un interprète, les autorités locales sont prévenues, rien n’est laissé au hasard. « Les gens ne partent pas en se disant qu’ils prennent des risques, ils partent en toute sérénité », explique Mohamed Torche. « Nos clients se posent des questions avant. Ce ne sont pas des gens qui prennent des décisions inconsidérées. On donne des infos en amont pour qu’ils partent en confiance », renchérit Issa Smatti.

« Nous prévenons les autorités sur place, ce sont des zones sécurisées »

La plupart des voyagistes appartenant à de grands groupes comme c’est le cas pour Nomade Aventure racheté il y a quinze ans par Voyageurs du Monde, sont généralement soumis à une charte éthique dont les termes excluent tout voyage en zone rouge. Pour se rendre dans une contrée « fortement déconseillée », il convient de s’adresser à des indépendants, ce qui est le cas de Horizons Nomades. « On a une grande expérience sur le Sahara et notamment en Algérie. En toute responsabilité, on fait des voyages à Djanet, qui est rouge pour le Quai d’Orsay. On obtient les visas tout à fait facilement et les séjours se passent très très bien ! » assure Mohamed Torche. Un point de vue que ne partage pas Issa Smatti : « On dit qu’il ne se passe peut-être rien dans le sud algérien sauf qu’il y a des caravanes d’immigration qui remontent, avec peut-être des gens qui viennent de Syrie, d’Irak, on ne sait pas. »

Selon Issa Smatti, les zones orange sont maintenues comme telles parce que le Quai d’Orsay ne veut pas que les gens s’y rendent seuls. Ils doivent être pris en charge par des spécialistes, comprenez des agences de tourisme. « Dans les zones que nous proposons et que nous avons repérées sur place, les voyageurs sont entourés par des guides, des interprètes, nous prévenons les autorités sur place, ce sont des zones sécurisées », nous explique Issa Smatti. Ce qui lui permet par exemple de proposer des voyages au Pakistan dans la vallée de Hunza, en zone orange, tandis que Shiraz et la vallée de Swat, en pleine zone rouge, sont évidemment tenues à l’écart. « Entre Islamabad et les zones où nous allons, nous n’utilisons pas la route car elle passe en zone rouge », tient à préciser Issa Smatti, preuve s’il en fallait que l’agence choisit scrupuleusement ses destinations.

Voyage dans un pays qui n’existe pas

Les touristes qui passent leurs vacances dans des zones sensibles, rouges ou orange, sont tout sauf des inconscients. Ce type de séjour ne saurait être mis sur le même plan que ceux organisés en zone de guerre. La zone à risque n’est pas un prétexte en soi, bien souvent l’objectif reste avant tout le dépaysement, et plus encore l’accès à des richesses culturelles uniques, loin du tourisme de masse. « La clientèle qu’on a sur le sud algérien n’est pas la clientèle qui va hésiter entre les Baléares, Djerba ou l’Algérie », prévient Mohamed Torche.

Malgré la recrudescence des zones rouge sur le site du Quai d’Orsay, les situations internationales ne sont pas toujours figées et peuvent parfois évoluer favorablement. « En Ethiopie, il y a un moment où la zone du volcan Erta Ale était en rouge. Avec l’agence Aventures & Volcans, Horizons Nomades étaient les deux seules agences à maintenir cette destination. Finalement, ça a bien payé puisqu’après un moment le Quai d’Orsay a remis la zone en jaune », se souvient-il, avant d’ajouter non sans malice que son agence monte aussi des séjours « dans un pays qui n’existe pas, le Somaliland où vous avez la grotte de Las Geel qui contient les plus belles peintures rupestres de toute l’Afrique de l’Est. »

Autoproclamé indépendant de la Somalie en 1991, le pays reste à ce jour non reconnu par la communauté internationale… et ne peut donc être classé sous aucune couleur.

♦ Article initialement publié le 19 mars 2019, mis à jour le 11 mai 2019

Ariane, le fil à la patte des voyageurs

Mis en place par le Quai d’Orsay, Ariane est un service réservé aux ressortissants français, qu’ils vivent sur le territoire national ou à l’étranger. Le service permet via une inscription rapide d’enregistrer son voyage touristique en indiquant les lieux de passage, son numéro de téléphone portable, et le nom d’éventuels accompagnants. Si au cours du séjour la situation du pays le justifie, Ariane expédie des consignes de sécurité par e-mail ou SMS. Une personne de contact préalablement désignée peut également être prévenue le cas échéant. Quelque 500 000 français disposeraient d’un compte Ariane (gratuit), soit 15 fois plus que lors du lancement du service en 2013.

rfi