À la fin de 2018, Interpol a publié son rapport analytique sur l’état de la criminalité transnationale organisée en Afrique de l’Ouest, dans le cadre de ses travaux sur le projet Enact. Selon le rapport, l’Afrique de l’Ouest «représente la principale plaque tournante des véhicules volés exportés d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord». Une plaque dont le centre névralgique est la capitale du Sénégal. En effet Dakar a été marquée par les enquêteurs d’Interpol comme l’un des ports les plus exploités par des groupes criminels opérant sur ce marché en Afrique de l’Ouest. Une position malheureuse de la capitale sénégalaise que les autorités en charge de la sécurité intérieure du pays regrettent. Selon la Division des investigations criminelles (Dic), le trafic de voitures est devenu une activité de plus en plus importante depuis 2016.
Plus de 100 véhicules haut de gamme volés aux Usa, un ressortissant guinéen en est le cerveau
En septembre 2016, le Federal Bureau of Investigations (Fbi) des États-Unis a mené des enquêtes au Sénégal pour retrouver les membres d’un réseau criminel soupçonné de faire circuler des véhicules de luxe à Dakar. Selon les informations de Enact, il s’agit d’un réseau dirigé par un ressortissant guinéen et qui aurait volé plus de 100 véhicules haut de gamme aux États-Unis, dont la majorité aurait été expédiée au Sénégal. Cet incident a été suivi de nouvelles arrestations de ressortissants sénégalais basés à la fois au Sénégal et en France. L’arrestation d’un trafiquant sénégalais notoire à Dakar, en 2016, a conduit les forces de l’ordre à un parking souterrain, où huit véhicules de luxe étaient dissimulés.
LES RANGE ROVER ET LES BMW X6, LES PREFEREESDES TRAFIQUANTS
Les Range Rover et les Bmw X6 semblent être les véhicules de luxe préférées des trafiquants. En tout cas, selon le document, ces deux marques sont les plus fréquentes parmi les voitures volées et envoyées au Sénégal. La plupart d’entre ces voitures viennent d’Europe, notamment de France et, dans une moindre mesure, d’Amérique du Nord.
Selon Enact, le choix de la route France-Sénégal par les trafiquants s’explique par les relations de longue date entre les deux pays. En tant qu’ancienne puissance coloniale, la France a été une destination principale pour les migrants sénégalais, qui étaient estimés à plus de 300.000 en 2015. Aussi, la France est également relativement proche du Sénégal d’un point de vue géographique.
Selon un responsable des douanes sénégalaises, le trafic international de véhicules prend différentes formes. Les plus courantes sont les escroqueries d’assurance. Cette méthode, dit-il, implique les propriétaires de véhicules de luxe en France, par exemple, organisant le vol d’un véhicule qui a été secrètement vendu à un trafiquant. De cette manière, le propriétaire souhaite être remboursé par l’assureur. La seconde forme de trafic implique le vol de véhicules en Europe et aux États-Unis. Alors que la troisième forme implique la location de voitures auprès d’agences en Europe, puis leur expédition ou leur transport vers le Sénégal via l’Espagne et la Mauritanie.
L’AFRIQUE DE L’OUEST PRINCIPALE PLAQUE TOURNANTE DES VEHICULES VOLES
Les voitures de luxe sont souvent équipées de traceur, ce qui permet de localiser les véhicules en cas de vol. Une source proche d’un réseau de trafiquants a déclaré à Enact que des trafiquants utilisent des machines polonaises, dont le coût est estimé à environ 60.000 €, pour détruire les traceurs. Une fois que les voitures volées ont atteint le Sénégal, elles sont soumises à des contrôles et procédures de routine. Dans le passé, les criminels obtenaient une plaque d’immatriculation – ou parfois même une volée – avec une relative facilitée, car il n’existait aucune procédure de vérification sur les lieux permettant de vérifier si la voiture avait été volée ou non.
Ainsi, avec l’attention internationale croissante, les efforts visant à renforcer les systèmes de vérification ont été intensifiés au Sénégal. Désormais, toutes les voitures entrant dans le pays – que ce soit par le port ou par la terre – doivent d’abord passer le dédouanement. Le propriétaire doit se rendre à la Dic, où les véhicules sont comparés à une base de données Interpol. S’il s’avère qu’un véhicule a été volé, il est immédiatement confisqué par la police. Mais si le véhicule a été acquis légalement, le Dic délivre un certificat au propriétaire. Le certificat est soumis au service de la circulation, qui fournit ensuite à la voiture une plaque d’immatriculation.
LES LIMITES DU SYSTEME
Le nouveau processus de vérification présente toutefois de nombreux défauts, car il encourage les trafiquants à vendre leurs voitures immédiatement après le dédouanement au port. Cela nuit aux personnes qui achètent involontairement des véhicules volés à bon prix dans le port de Dakar. Dans de nombreux cas, les victimes de ce type d’escroquerie se retrouvent en prison ou sont forcées de subir de longues procédures pénales.
DAKAR EN PASSE DE PASSER DE HUB À ZONE DE TRANSIT
Pour contourner les nouvelles stratégies mises en place par le gouvernement sénégalais et Interpol, les réseaux criminels ont changé de cap. Le nombre de voitures volées envoyées directement à Dakar a considérablement diminué. Dakar semble être de plus en plus utilisé comme une zone de transit pour les véhicules volés en direction de la Gambie, du Mali et de la Guinée-Bissau, où le commerce semble lié à des trafiquants de drogue. Selon un responsable des douanes sénégalaises, les voitures qui transitent par Dakar sont protégées par le droit international de la circulation et ne sont donc soumises à aucun contrôle de la part d’Interpol ou des douanes. Dans les pays de destination, les véhicules ne sont soumis à aucun contrôle avant de recevoir une plaque d’immatriculation. Dans une certaine mesure, cela donne aux trafiquants la garantie qu’ils pourront vendre leurs voitures et blanchir de l’argent au Sénégal, selon le responsable.
Le trafic international de véhicules volés est une illustration du côté sombre de la mondialisation. Le Sénégal paie le prix fort à cause de sa position géostratégique et son accessibilité via son port. Pour contenir ce marché illicite en pleine croissance, Enact indique que le gouvernement sénégalais doit non seulement renforcer la surveillance au port et aux frontières, mais également renforcer la coopération avec les pays voisins et les pays d’origine des voitures volées.
Sidy Djimby NDAO
jotaay.com