Pour endiguer la pandémie de coronavirus, l’Europe a choisi de se confiner et l’Afrique lui a emboîté le pas. Le problème se pose pourtant en termes bien différents, selon que l’on habite à Paris ou Abidjan. Il est temps que nos dirigeants fassent preuve d’indépendance et d’originalité, et proposent enfin une véritable éducation populaire.
La Côte d’Ivoire est un pays jeune, à l’image de tous les pays d’Afrique. Sa pyramide des âges ne ressemble pas à celle des pays occidentaux, et toute réflexion solide pour l’exécution d’une politique publique doit en tenir compte. « Les pays ayant une population jeune doivent investir davantage dans les écoles », apprenait-on au collège. On dirait que nos dirigeants ont séché les cours !
L’épidémie de coronavirus apparaît dans ce théâtre. Panique générale ! L’Occident se confine et se ferme (ce n’était déjà pas facile d’y aller avant). Comme un chien devenu fou parce que son maître a peur, l’Afrique fait de même. À l’exception remarquable du Bénin, tous ses dirigeants répètent au mot près les discours des leaders européens. Quand Manu dit « con… », Sall répond « … finement ». Quand Angela crie « fermez… », une chorale Cedeao répond « … les frontières ». Tremblez d’effroi, tremblez de peur ! (Bonjour Karaba.)
Pyramide des âges
Puisque la peur est distillée par des chiffres, opposons-lui des chiffres. Au 30 mars, en France, l’âge moyen des testés positif au coronavirus était de 62,5 ans, l’âge moyen en service de réanimation était de 64 ans, et 84 % des personnes décédées étaient âgées de 70 ans et plus.
C’est le moment de ressortir la pyramide des âges – souvenez-vous, celle qu’on étudie en classe de quatrième – et de comparer. En France, 20,3 % de la population a plus de 65 ans – c’est 1 habitant sur 5. En Côte d’Ivoire, 3 habitants sur 100 appartiennent à cette tranche d’âge. Autrement dit, le coronavirus est une maladie de la pyramide des âges, et les angoisses de Chamalières ne sont pas véritablement celles de Guibéroua !
Le nord de l’Italie compte un nombre record de personnes âgées en Europe, le coronavirus n’y pose donc pas les mêmes problèmes qu’en Chine, où le virus est apparu. Alors imaginez-vous l’Afrique !
Là commence mon vrai point. Accrochez-vous ! En raison de l’âge de la population en Occident, le coronavirus y est un problème très grave. Il pose un défi civilisationnel, et questionne son mode de vie, sa société. L’Afrique n’est pas concernée de la même façon pour la simple raison que, depuis soixante ans, l’incurie de ses hommes politiques, l’avidité des places financières, les foutaises des plans d’ajustement dits structurels, toutes les ambitions à la petite semaine d’aventuriers sans foi ni loi ont déjà fait le travail : il n’y a plus de vieux à tuer sur ce continent.
En Afrique, l’espérance de vie ne dépasse pas 62 ans. Le Niger et l’Ouganda ont 15 ans d’âge moyen ! Oui, vous avez bien lu, et vous pouvez vérifier. L’Afrique a 20 ans. Chaque jour, sa jeunesse est un atout vendangé parce que la mort précoce est un talent continental. Un quinquagénaire à Bouaké est un miraculé. Dans mon Babi natal, depuis la fac, on m’appelle « vieux père Gauz ». Une des chansons qui font danser les assemblées religieuses s’intitule Mon nom est écrit là-haut là-bas. Le gars ou la go qui fait la liste ne chôme pas. (Bonjour mon petit Arafat.)
Pas la même guerre
« Devoir vivre dans le voisinage de sa propre mort, la contempler en tant que réelle possibilité. Telle est, en partie, la terreur que suscite le confinement chez beaucoup. » J’ai lu à haute voix cette phrase d’Achille Mbembe à ma bande d’artisans de Grand-Bassam, et on a ri. Ils sont convaincus que l’auteur est gaulois ou anglo-saxon, parce que « vivre dans le voisinage de sa propre mort » est notre sort depuis des lustres. Cadeau de nos politiques !
On comprend très bien les peuples meurtris d’Europe et d’Amérique. On est solidaires, et on sait qu’ils vont s’en sortir, eux qui depuis si longtemps savent penser à eux seuls, à leur aisance matérielle, eux qui ont couru le monde des siècles durant et qui ont bâti la préciosité de leur vie sur la négligence de celle des autres. Ils vont s’en sortir. Ils ont le matériel politique, historique et culturel pour.
Nous ne vivons pas le même combat, nous ne faisons pas la même guerre que ceux qui ont travaillé si dur pour que leurs populations vivent le plus longtemps possible en profitant des bienfaits de leur système. Définitivement non. Il n’y a pas de vieux à tuer chez nous. Pauvre coronavirus !
Ainsi, il ne peut pas y avoir chez nous la même réaction contre l’épidémie qu’en Allemagne ou en Espagne. Sans propositions fines, on ne peut pas confiner une population, au demeurant peu menacée, qui n’a pas plus de deux repas en réserve. Sans propositions fines, on ne peut pas confiner un individu qui ne peut pas trouver à manger s’il ne sort pas de chez lui. Sans propositions fines, on ne peut pas confiner de la même façon un jeune Abobolais et un vieux Munichois.
Les dirigeants africains ratent une belle occasion de faire preuve d’intelligence, d’originalité, d’indépendance, de fabriquer un discours subtil, d’imposer une nouvelle hygiène intellectuelle et sanitaire. Le moment est idéal pour proposer une véritable éducation populaire en lieu et place des médiocres et coûteuses communications gouvernementales.
Amateurisme de haut niveau
Politique vide du Covid, amateurisme de haut niveau. Les autres trouveront, et on suivra. En attendant, effrayons-nous de leurs psychoses. En réalité, les dirigeants du continent ont une réaction de classe. Classe sociale, classe d’âge, ils sont plus près des Européens qu’ils admirent que des Africains qu’ils dirigent. En moyenne, un président africain est âgé de 64 ans et demi, il est au pouvoir depuis onze ans et dirige des gamins de 20 ans qui ne vont pas dépasser la soixantaine.
En guise de conclusion, et pour que les grands penseurs ne montent pas sur leurs petits canassons, je vais préciser les choses que ce texte ne dit pas :
– Il ne dit pas que c’est bien fait pour l’Europe.
– Il ne dit pas que le confinement est une mauvaise chose.
– Il ne dit pas que le Covid-19 ne tue pas de jeunes.
– Il ne dit pas qu’il n’y a pas de malades du Covid-19 en Côte d’Ivoire.
À ceux qui racontent que cette crise va changer les choses, qu’il y aura un avant – et un après -, à vous qui découvrez la critique de la société de consommation et confiez les lendemains meilleurs aux soins d’une molécule d’ARN, je rappelle juste cette date : 2008… et ce proverbe malinké : le chien ne change jamais sa façon éhontée de s’asseoir.
Auteur : Jeune Afrique