Ce jeudi entre en vigueur le chapitre III de la loi Helms Burton, une loi américaine votée en 1996 qui permettra notamment aux exilés cubains d’engager devant des tribunaux américains des poursuites judiciaires contre des entreprises étrangères installées à Cuba, sur des terres qui auraient été spoliées après la révolution cubaine. L’UE, qui considère que l’application de cette législation est « contraire au droit international », a réagi par le recours à la loi de blocage.
Mercredi, Donald Trump a nettement accentué la pression économique sur Cuba en limitant les voyages et les transferts d’argent américains, tout en ouvrant la voie à des milliers d’actions en justice contre des entreprises étrangères présentes sur l’île socialiste.
Faisant fi des menaces de représailles commerciales lancées par l’Union européenne, premier partenaire économique de La Havane, Washington a encore plus nettement tourné le dos au rapprochement entamé sous le mandat du président démocrate Barack Obama.
« Nous soutenons les patriotes pro-liberté de cette région », a déclaré le conseiller à la Sécurité nationale de la Maison Blanche John Bolton, sous les applaudissements nourris d’élus d’origine cubaine et d’exilés qui avaient participé au débarquement de la baie des Cochons, rassemblés à Miami.
Plus tôt, le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, avait annoncé que les États-Unis appliqueraient, à partir du 2 mai, le chapitre III de la loi Helms-Burton, datant de 1996.
Suspendue depuis plus de deux décennies par les présidents américains – démocrates comme républicains – pour justement ne pas froisser leurs alliés, cette loi doit permettre, notamment aux exilés cubains, de poursuivre devant les tribunaux fédéraux américains les entreprises qui ont réalisé des gains grâce à des sociétés nationalisées après la révolution de 1959.
Premières plaintes
Ils s’estiment lésés de plusieurs dizaines de millions de dollars. Javier Garcia Bengoechea et Mickael Behn sont les premiers à utiliser le chapitre III de la loi Helms-Burton. Dans leur viseur, la compagnie de bateaux de croisière américaine Carnival Cruise Lines, qui opère des liaisons maritimes vers Cuba.
Javier Garcia Bengoechea, affirme être l’héritier du port de Santiago de Cuba, Mickael Behn, revendique la propriété des docks du port de La Havane, comme l’explique leur avocat Nick Gutierrez.
« Nous avons déposé deux plaintes contre la compagnie qui est l’un des plus gros employeurs de la région. Mais cette compagnie a continué à utiliser ces propriétés volées à des Américains à Cuba. Bien qu’elle ait des licences pour effectuer des liaisons vers Cuba, elle n’a pas les licences pour trafiquer sur des propriétés volées à des citoyens américains en toute connaissance de cause. »
Selon l’avocat Nick Gutierrez, des entreprises du monde entier seraient concernées. « Pour ces deux clients, nous déposerons des centaines de plaintes contre d’autres compagnies de croisières. Contre une entreprise chinoise qui utilise le port de Santiago, mais aussi contre des hôtels européens, des compagnies minières canadiennes, des industriels anglais et allemands, donc il y aura des centaines de plaintes. »
La loi Helms-Burton vise à étrangler Cuba financièrement. L’activation de son chapitre III pourrait avoir de sérieuses conséquences sur les investissements étrangers.
« En finir avec Cuba »
« C’est une attaque contre le droit international et contre la souveraineté de Cuba et d’États tiers », a réagi le ministre cubain des Affaires étrangères, Bruno Rodriguez.
ANALYSE
Cuba, allié indéfectible du Venezuela de Nicolas Maduro, est clairement dans la ligne de mire de Donald Trump qui veut reconquérir l’électorat de Floride et se positionne déjà en fonction des élections de 2020 aux États-Unis. Et Cuba fait aussi partie de l’équation vénézuélienne, comme le souligne à RFI Christophe Ventura, directeur de recherche à l’Institution de relations internationales et stratégiques (Iris) : « Cuba est indissociable du dossier vénézuélien. Du point de vue de Washington, c’est théorisé comme ça. Attaquer le Venezuela aujourd’hui, c’est faire tomber Cuba demain. Et le vrai objectif, c’est d’en finir avec Cuba parce que ce sera un peu le chef d’œuvre – si vous me pardonnez l’expression –, pour Trump, qui pourra dire qu’il est « celui qui a fait tomber Cuba après que Cuba nous a nargués pendant 60 ans à quelques kilomètres de nos côtes » »
L’UE « regrette » et réagit
De notre bureau à Bruxelles,
« L’Union européenne regrette profondément l’activation de la loi Helms-Burton, une décision qui viole les accords américano-européens de 1997 et 98 », a réagi ce jeudi matin Federica Mogherini, la haute représentante de la politique extérieure de l’UE à l’entrée en vigueur de cette loi américaine jamais réellement appliquée. L’UE va contrer l’application de la loi américaine sanctionnant les entreprises qui commercent avec Cuba.
Les Européens annoncent des contre-mesures pour s’opposer aux effets de l’activation de la loi Helms-Burton qui « sape la confiance et la prévisibilité du partenariat transatlantique ». La réponse européenne consistera à activer un texte dénommé statut de blocage ou loi de blocage, texte censé protéger les entreprises de l’UE.
La loi de blocage comporte trois volets. Elle interdit d’abord aux entreprises européennes de se conformer aux effets dits extraterritoriaux des sanctions américaines, c’est-à-dire par exemple de fournir des éléments de preuves pour une procédure judiciaire. Ensuite, la loi permet aux entreprises d’être indemnisées si elles sont condamnées à verser des dommages. Enfin, elle annule les effets en Europe de toute décision de justice qui serait basée sur la loi Helms-Burton.
Dans la pratique, cette loi de blocage de l’UE a été invoquée une seule fois en Autriche il y a douze ans et sa seule invocation avait amené un arrangement hors tribunaux. C’est aussi cette loi de blocage qui est utilisée par l’UE depuis la réintroduction des sanctions américaines contre l’Iran.
Rfi