Trump-Kim à la frontière: rencontre «historique» ou «coup médiatique»?

Au lendemain de la rencontre Trump-Kim à la frontière intercoréenne, les réactions fleurissent de toute part. Il s’agit pour certains d’une « page d’histoire » quand les autres n’y voient qu’une opération de communication.

La rencontre sur la frontière était « historique », et la décision de Donald Trump « courageuse », salue ce matin la presse d’État nord-coréenne, qui diffuse des dizaines de photos de la poignée de main entre Kim et Trump, rapporte notre correspondant à Séoul, Frédéric Ojardias.

Ce sommet a créé une « confiance sans précédent » entre les États-Unis et la Corée du Nord, ajoute Pyongyang, qui confirme que les négociateurs des deux pays vont reprendre les réunions de travail pour discuter d’un accord de dénucléarisation, après des mois de blocage.

« Confiance mutuelle »

La presse sud-coréenne aussi salue dans son ensemble ce sommet surprise, et espère une reprise des pourparlers nucléaires. « Une page d’histoire a été écrite », estime le quotidien conservateur Joongang, qui rappelle que « la confiance mutuelle se construit à travers la communication et des contacts constants ».

Kim Jong-un « aurait pu éviter la rencontre, s’il n’avait pas la détermination de reprendre le dialogue », écrit le Korea Times. Le Korea Herald se fait plus prudent et rappelle que parvenir à « la dénucléarisation et (à) la paix véritable nécessite davantage qu’un « coup médiatique » ».

L’opposition démocrate sceptique

« Un coup médiatique » c’est aussi ce que pointe du doigt l’opposition démocrate aux États-Unis, qui dénonce les égards avec lesquels Donald Trump traite un dictateur qui n’a encore concrètement cédé sur rien, rapportenotre correspondant à New York, Grégoire Pourtier.

Les candidats démocrates à la présidentielle sont à peu près tous sur la même longueur d’onde. Se rappelant ses menaces de « feu et de fureur » contre la Corée du Nord, ils ne peuvent pas dénoncer une initiative bien plus diplomatique de Donald Trump. Mais beaucoup regrettent l’improvisation et l’inconséquence qui semblent guider cette relation Trump-Kim.

« Je pense qu’il faudrait mieux se préparer en amont, et tenir Kim pour responsable des engagements qu’il a pris lors du sommet de Singapour, a pointé l’ancien ministre d’Obama, Julian Castro. Je ne pense pas qu’il soit approprié pour les États-Unis de continuer de rencontrer de façon erratique un dictateur qui n’a pas respecté ce qu’il avait dit il y a un an. »

« Attirer les médias »

C’est ainsi le Nord-Coréen qui mène le jeu, estiment certains. Donald Trump pense évidemment le contraire, et il compte bien capitaliser sur une image de faiseur de paix. Pour Bernie Sanders, il s’agit surtout de la poudre aux yeux, contradictoire avec d’autres prises de position.

« Je ne veux pas simplement que ce soit une simple photo, pour attirer les médias du monde entier, a tancé le sénateur du Vermont. Que va-t-il se passer demain et après-demain ? À l’heure actuelle, alors qu’il rencontre Kim Jong-un, Trump est toujours aussi provocateur et envisage presque une guerre avec l’Iran. »

Le président américain prend en fait le contre-pied de son prédécesseur Barack Obama, et il faudra attendre un peu avant de mesurer le succès, ou pas, de ses stratégies envers Pyongyang ou Téhéran.

Pékin au centre du jeu

Mais s’il y en a bien un qui tire son épingle du jeu avec cette rencontre, c’est Pékin. Le principal allié de la Corée du Nord s’est félicité de la reprise du dialogue entre Washington et Pyongyang, et ce n’est peut-être pas sans arrière-pensées. Avec cette rencontre, la Chine revient au centre de l’échiquier, explique notre correspondant à Shanghai, Simon Leplâtre.

Car avant la poignée de main de Donald Trump et de Kim Jong-un à la frontière, le président américain s’est entretenu avec son homologue chinois lors du G20 au Japon. D’après la presse chinoise, Xi Jinping aurait indiqué à Donald Trump que la Chine était prête à jouer un rôle constructif pour aider au dialogue entre les deux États.

Il y a quelques mois, lors de la rencontre Trump-Kim au Vietnam, c’était le président sud-coréen qui jouait les entremetteurs, mais l’échec de cette rencontre a rendu à la Chine son rôle clé dans les négociations.

Négocier avec la Chine

Il y a dix jours, Xi Jinping effectuait sa première visite d’État en grande pompe en Corée du Nord. Une manière de rappeler que la Chine, premier partenaire économique et alliée de la Corée du Nord, garde la main sur le dossier.

C’est ce que Xi a dû rappeler à Donald Trump samedi à Osaka, et ce n’est sans doute pas un hasard si la première visite d’un président américain en Corée du Nord a eu lieu juste après l’annonce d’une trêve dans la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis. Si Trump veut une victoire diplomatique en Corée du Nord, il devra négocier avec la Chine, autant qu’avec Pyongyang.
RFI