Depuis le 12 juillet, la police turque a arrêté plus de 6 000 migrants, dont une majorité de Syriens, vivant à Istanbul de manière « irrégulière ».
Avec notre correspondante à Istanbul,
C’est la première fois que la Turquie prend de telles mesures, alors qu’elle accueille depuis des années plus de trois millions et demi de Syriens, dont près de 550 000 à Istanbul.
Beaucoup d’observateurs font le lien avec la défaite du parti du président Recep Tayyip Erdogan, lors des élections municipales à Istanbul en juin. L’accueil des Syriens s’était imposé comme un sujet majeur de préoccupation chez les électeurs et des violences anti-réfugiés inédites avaient même éclaté fin juin dans un arrondissement d’Istanbul. La politique de portes ouvertes pratiquée pendant des années par les autorités d’Ankara fait l’unanimité contre elle et suscite d’autant plus de rancoeurs que l’économie va mal, avec une inflation et un chômage élevés.
Les mesures de fermeté du gouvernement
Ces derniers jours, les Syriens d’Istanbul qui ne se sont pas enregistrés évitent de sortir de chez eux. Les récents coups de filet, inédits depuis l’arrivée des premiers réfugiés il y a huit ans, interviennent sur fond de montée du sentiment anti-Syriens. Ils surviennent également un mois après le revers du parti au pouvoir à l’élection municipale d’Istanbul.
Selon le chercheur Omar Kadkoy, spécialisé dans ces questions, il y a un lien direct : « Le gouvernement, avec ces mesures de fermeté et son application stricte des règles à l’encontre des Syriens qui ne sont pas enregistrés, envoie un message pour dire : « Même si nous avons perdu les récentes élections municipales, nous gardons le contrôle » ».
Des non-Syriens sont également concernés par cette vague d’arrestations.Pour eux, une arrestation signifie une expulsion pure et simple. Sur les plus de 6 000 personnes arrêtées depuis le 12 juillet, 2 600 sont des Afghans.
L’opposition également mal à l’aise avec les réfugiés
D’où qu’ils viennent, les migrants arrêtés ne peuvent sans doute pas compter sur les adversaires d’Erdogan : cela fait longtemps que l’opposition turque – en particulier le parti CHP dont est issu Ekrem Imamoglu, nouveau maire d’Istanbul – fustige le gouvernement pour sa politique à l’égard des réfugiés syriens. Le nouvel élu en avait fait l’un de ses thèmes de campagne et depuis son élection, il a dit plusieurs fois qu’il considérait le sujet comme l’un des trois plus grands problèmes d’Istanbul, avec les difficultés économiques et les embouteillages.
Ekrem Imamoglu ne s’est pas exprimé sur les arrestations, mais on sait qu’il est favorable à des mesures contre les Syriens qui résident ou travaillent dans l’illégalité et qu’il dénonce lui aussi la prolifération des enseignes en arabe – interdites par la préfecture d’Istanbul depuis début juillet.
Du côté des actions locales, il a promis de concentrer ses efforts sur les plus vulnérables – les femmes et les enfants. Mais il est toujours question, dans ses propos, de protection et non d’intégration. Soit exactement la logique des autorités turques vis-à-vis des Syriens ces huit dernières années.
Un statut fragile pour les Syriens de Turquie
Les arrestations illustrent d’ailleurs la fragilité du statut des Syriens de Turquie. Légalement, ils ne sont pas « réfugiés », mais sous « protection temporaire ». Un statut qui leur offre certains droits, mais les oblige à résider dans la province où ils ont été enregistrés.
« Le statut de protection temporaire ne mène personne nulle part… Ni les Syriens, ni le gouvernement, ni les Turcs. Nous souffrons d’un manque de politiques d’intégration. Les arrestations récentes ne signifient pas que, d’un coup, les capacités du gouvernement pour faire appliquer les règles ont augmenté. C’est juste que, jusqu’ici, il ne souhaitait pas les faire appliquer » explique Omar Kadkoy.
Cette semaine, la préfecture d’Istanbul a lancé un ultimatum aux Syriens qui vivent dans la mégapole alors qu’ils sont enregistrés dans une autre province : ils ont jusqu’au 20 août pour quitter Istanbul.
Les autorités démentent en revanche avoir renvoyé des Syriens dans leur pays, alors que plusieurs ONG affirment avoir recensé des dizaines de cas.