Turquie, élections législatives à un tour et premier tour de la présidentielle et coup double pour le président sortant Recep Tayyip Erdogan qui a tout emporté. Il était crédité de 52,5% des voix selon l’agence officielle Anadolu après dépouillement de 98% des bulletins. Toute la soirée dimanche l’opposition a contesté les chiffres, parlé de fraudes, mais c’est jeu set et match pour le président turc qui écrase l’opposition et son nouveau chef de file Muharrem Ince.
avec notre envoyée spéciale, Anissa el-Jabri et notre correspondant Alexandre Billette
Il avait gagné en quelques semaines le statut de révélation, de star de la campagne de l’opposition. Premier à pouvoir défier Erdogan sur le terrain de l’art oratoire, à répondre à ses attaques et à faire rire. Dimanche, après la fermeture des bureaux de vote, on n’a plus entendu la voix de Muharrem Ince, lui qui faisait et c’était une première, vibrer des foules entières d’opposants au président sortant.
Muharrem Ince, surnommé «l’apprenti» par Erdogan, s’est contenté d’un message, tard dans la soirée. Quelques mots brefs presque secs. «Ce n’était pas une campagne équitable, mais je reconnais la victoire de Recep Tayyip Erdogan». Une déclaration plus longue de l’ex-professeur de physique est attendue ce lundi. Peut-il construire sur sa nouvelle notoriété ou sa campagne n’a-t-elle été qu’un exutoire pour les anti-Erdogan ? Elle a en tout cas buté sur la polarisation du pays. Selon un observateur de la vie politique turque, Muharrem Ince n’a jamais su trouver les mots pour s’adresser à l’électorat conservateur…
Pour Muharrem Ince, la campagne n’a pas été équitable mais il appartient aux observateurs évidemment d’apporter un jugement complet : les irrégularités, intimidations et violences relevées ce dimanche ont-elles réellement modifié le résultat ? Ce qui est sûr, c’est que jamais la couverture médiatique n’a été équilibrée. Tous les discours du président ont été intégralement retransmis quand les autres candidats ont à peine eu accès aux écrans. Sans parler du leader du HDP, le parti de gauche pro-kurde, Selahattin Demirtas, qui a fait campagne de sa prison.
«élargir toujours plus le champ des droits et des libertés»
A quoi ressemble le paysage politique en Turquie ce matin ? Il faut noter une très forte progression de l’extrême droite : le MHP, allié de l’AKP le parti au pouvoir, atteint les 11%. C’est plus que leur ex-membre Meral Aksener, ex-ministre de l’Intérieur, qui avait quitté le parti pour créer le sien. Pour l’unique femme candidate c’est un échec cinglant : 7 et demi % des suffrages. De l’autre côté de l’échiquier politique, satisfaction pour le HDP, puisque le parti pro-kurde passe la barre des 10% et revient au Parlement.
Avec un record de participation près de 90% ce dimanche, le «reis» a donc gagné son pari. Il a tenu deux discours cette nuit, taclant les « vieilles » démocraties occidentales où l’on vote beaucoup moins… « En seize ans, on a lutté contre la tutelle militaire, la junte, les putschistes, les interventions extérieures dans notre politique et notre économie, déclarait-il dimanche soir.Nous ne permettrons jamais de remettre en question les progrès démocratiques et économiques auxquels nous sommes parvenus ! Nous continuerons à renforcer la légitimité de la justice avec plus d’indépendance et d’impartialité ! Nous sommes déterminés à élargir toujours plus le champ des droits et des libertés, et à consolider notre démocratie ! »
Une concentration unique des pouvoirs
Recep Tayyip Erdogan va encore pouvoir affermir son contrôle du pays d’autant que ce lundi matin il va étrenner les nouveaux supers pouvoirs votés lors du référendum constitutionnel du printemps dernier : chef de l’Etat, chef du gouvernement, chef de parti et chef de la majorité parlementaire… La séparation des pouvoirs déjà bien mise à mal ces deux dernières années c’est fini. Recep Tayyip Erdogan a entre les mains l’exécutif et le législatif, il va aussi avoir le pouvoir judiciaire avec la nomination de la moitié des hauts magistrats. Une concentration unique…
Ce lundi matin la presse, qui est essentiellement pro-gouvernementale, se réjouit de cette « victoire du peuple » comme le dit un quotidien, une « victoire historique » dit un autre, la « révolution du 24 juin » pour le quotidien islamo-nationaliste Yeni Safak qui titre « et s’est reparti ». Peut-être un cri de soulagement après une campagne qui a été quand même bcp plus difficile que prévu pour Recep Tayyip Erogan.
rfi